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Les défis de la Pologne d’aujourd’hui

Lors des élections législatives 2019, le Parti Droit et Justice a remporté une nouvelle victoire, totalisant 43% des suffrages – score le plus élevé de l’histoire de la 3ème République.

Il est difficile de comprendre tous les enjeux de la situation politique en Pologne sans remonter aux divergences qui s’étaient fait jour au sein même de Solidarnosc. Dès l’origine, deux courants s’affrontent au sein du syndicat : sous l’influence des intellectuels venus au soutien du mouvement, certains souhaitent aller à la négociation avec le pouvoir et transformer pas à pas le système ; ils considèrent que l’arrivée de Gorbatchev et les changements profonds initiés en URSS donnaient enfin une chance de voir un mouvement politique réussir une transformation historique, pour peu que sa stratégie soit patiente et cohérente ; d’autres en revanche, échaudés par la répression de 1981, considèrent que l’on ne pouvait ni faire confiance, ni « négocier » avec le pouvoir en place. Ils sont opposés à la « Table Ronde », aux 30% de démocratie des élections du 4 juillet 1989 ; selon eux « on ne discute pas avec le diable ».

Bien que les premiers aient gagné, d’abord en interne, puis en entraînant en quelques années la chute du communisme en Europe Centrale, cette fracture n’a jamais été complètement réglée, et elle constitue depuis l’un des ‘poisons’ de la scène politique polonaise.

La Naissance du PiS

Dès le début des années 90, les affrontements idéologiques entre personnalités et mouvements, tous issus de Solidarnosc, animent chaque élection présidentielle (Lech Wałęsa vs Tadeusz Mazowiecki – premier chef de gouvernement non-communiste par exemple), puis éclatent la scène politique en une multitude de petits partis. A la faveur du retour de la gauche et de la victoire de M. Kwasniewski aux présidentielles de 1995, une grande partie de la résistance historique se rassemble enfin au sein d’une ‘plateforme’, que l’on appellera citoyenne (formellement, les partis y continuent d’exister, Alliance Électorale Solidarité (AWS), Parti Démocrate (PD),…etc…). Mais certains refusent ce rassemblement et continuent à considérer que la sortie du communisme a été pervertie par une compromission avec les cadres de l’ancien régime. Le parti « Droit et Justice » (PiS) est d’ailleurs issue d’une énième scission de l’AWS…

C’est bien entendu cette tendance qui accède au pouvoir d’abord en 2007, puis en 2015, autour du parti « Droit et Justice ». Justice devant être compris comme « se faire justice » et non pas comme valeur morale….

La victoire de ce parti est logique, démocratiquement indéniable : elle s’est construite sur les mécontentements de la société polonaise suite aux changements extrêmement rapides de ces quinze dernières années. Malgré l’adhésion massive de la société polonaise au projet de l’Union Européenne (85% de soutien, là où la France est autour de 60%), les ressentiments peuvent être légitimes : difficultés de tous les gouvernements à moderniser l’administration au même rythme que la société en général, ce qui provoque des décalages (12 000 fonctionnaires affectés à la seule distribution de la PAC !), mais aussi des fissures inquiétantes dans des domaines où la Pologne était traditionnellement forte (les enseignants sont aujourd’hui déconsidérés et trop peu rémunérés, les professions médicales en panne,…) ; absence de vrai projet social basé sur de véritables politiques publiques de solidarité ; déséquilibres territoriaux avec l’est du pays, et dans certains territoires ruraux , entre autres.

Les dernières campagnes

Les campagnes électorales de ces dernières années se focalisent sur de règlements de compte (qui faisait quoi avant 89 ?), sur des questions sociétales et morales dans un pays culturellement très homogène (plus de 90% de la population se reconnaît catholique pratiquante), sur la question nationale, bien sûr, et sur des mesures d’Etat-providence plus que sur un projet durable et solidaire. Nous entendons peu parler d’euros, de défense européenne, de révolution scolaire et de formation de la jeunesse, de réforme profonde de l’administration, par exemple. La question d’un vrai projet autour de la Pologne du XXIème siècle est complétement absente du débat.

Et, malheureusement, à quelques exceptions près, l’opposition formelle (Plateforme Civique (PO)) accepte en général de jouer sur ce terrain, qui, de fait, la condamne à cette fourchette de 20 à 25 % (quasiment le même score qu’en 2015, et ce malgré l’alliance avec le parti Nowoczesna !).

Les scores de ces deux blocs ne constituent pourtant pas l’intérêt majeur de ces élections. Ce qui est intéressant, c’est celui de certains autres partis qui me semblent annonciateurs : le PSL (centre), et la Konfederacja (droite nationale).

Tout d’abord pour une raison de mathématique électorale : en 2015, le PiS a obtenu la majorité absolue des sièges au parlement, bien qu’il n’ait pas eu la majorité des suffrages, grâce à la faiblesse des ‘autres partis’. La ‘prime proportionnelle au vainqueur’ était donc bien plus significative, et a fait passer le PiS de 37,6 % des voix à 51 % des sièges (la PO passant, elle, de 24 % des voix à 30 % des sièges).

Les défis d’aujourd’hui

Aujourd’hui, quatre ans après, le renforcement des autres partis, en particulier de la gauche, qui fait son grand retour au parlement, et des centristes du PSL, va réduire cette ‘prime’. Les résultats globaux sortie des urnes dont nous disposons actuellement (PiS 43,6% ; KO : 27,4% ; PSL : 9,6% ; gauche : 11,6% et Konfederacja : 6,4%) indiquent que cette ‘prime’ devrait passer de plus de 70 sièges il y a quatre ans, à une quarantaine. Nous ne serons définitivement sûrs de la nouvelle configuration en siège que dans la journée. L’enjeu est de savoir si le PiS va disposer de la majorité absolue (230 sièges) ou pas.

Ensuite, ces élections signent la fin du ‘match PiS vs PO’ dans lequel la scène politique polonaise s’est trop longtemps enfermée. Non seulement la confiance retrouvée du côté du centre historique du PSL, un parti présent aussi dans les campagnes et hors des grands centres urbains, est un point positif ; mais aussi celle de la création d’un ‘comité non national’ des samorzadowcy, ces élus locaux, souvent très dévoués et compétents, dont on a pu mesurer la résistance lors des dernières élections locales. Ces derniers ne présentent pas de ‘comité national’, mais se présentent dans un grand nombre de circonscriptions (19) ; ce n’est d’ailleurs pas un hasard si leur chef de file, Robert Raczyniski, maire de Lubin, fait partie de Polska XXI, après avoir également fondé Dolna Slaska XXI (silésie inférieure XXI). Ces mouvements citoyens, certes très vite récupérés, constituent néanmoins les embryons d’un vrai débat démocratique sur une vision d’avenir pour la Pologne : ce sont des élus régionaux et locaux qui en sont à l’origine. Et, à n’en pas douter, il s’agit d’une nouvelle génération d’élus qui prendra tôt ou tard les rênes de la Pologne.

L’analyse fine des résultats dans toutes les circonscriptions permettra sans doute d’évaluer ces nouveaux arrivants. Et, comme je le dis depuis deux ans, le calendrier est intéressant, puisque nous allons à présent vers une élection présidentielle. Les résultats d’aujourd’hui montrent que les voix des trois grands opposants sont plus nombreuses que celles du PiS (49% contre 43,6%). La présidentielle se gagnera donc sans doute ‘au centre’, et certainement sur une personnalité de rassemblement, d’apaisement, et de vision de l’avenir. Une campagne clivante, ni un candidat clivant, ne seront adaptés et des profils rassembleurs vont certainement émerger.

Andrzej Duda, le jeune vainqueur surprise de 2015, est certes historiquement membre du PiS, mais il fait justement partie de cette génération. Il a réussi durant son mandat à s’opposer parfois à son mentor ‘pour le bien de la Nation’ (véto à l’un des votes sur la justice dès juillet 2017), et il pourrait aussi porter une recomposition du parti au pouvoir. Les déclarations dans la nuit de M. Gowin, ou de M. Czarzasty, donnent les prémices de cette nouvelle campagne…

Ce qui se joue en ce moment en Pologne, ce n’est pas le choix entre une politique de résistance ou une politique d’engagement et de soutien au projet européen ; ce n’est pas le choix entre une société soi-disant traditionnaliste ou une société soi-disant moderne ; ce n’est pas le choix entre une société charbon-égoïste et une société durable et responsable ; sur tous ces sujets, non seulement l’immense majorité des Polonaises et des Polonais se retrouve globalement sur le fond, mais surtout la société polonaise contient en elle-même les forces nécessaires au débat, les courants philosophiques et intellectuels capable de gérer ces conflits, qui sont somme toute naturels au regard de l’histoire de ce grand pays dans les trois dernières décennies.

Ce qui se joue en ce moment, c’est où et comment de nouveaux leaders vont apparaître, et se frayer un chemin vers les instances et les responsabilités citoyennes et démocratiques ; ces nouveaux leaders, invisibles aujourd’hui à ceux qui regardent de loin ; ces nouveaux leaders, qui permettront à ce pays de quitter enfin les querelles d’hier, les débats entre les nostalgies des soi-disant ‘gentils’ et les nostalgies des soi-disant ‘méchants’ ; ces nouveaux leaders, qui pourront enfin, avec toutes les forces sociétales, les valeurs humaines et intellectuelles dont ce pays regorge, affronter correctement les défis de la Pologne d’aujourd’hui, pilier d’une Union Européenne à rénover.

C’est la réconciliation de la Pologne avec elle-même.

                                                                                                                                     Frédéric Petit

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