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Le terrible exode de la jeunesse bulgare

Par Georgi GANCHEV

L’émigration : un phénomène dramatique pour l’Europe de l’Est

En Europe, les débats portant sur les phénomènes migratoires sont principalement centrés sur les immigrants d’origine africaine ou moyen-orientale qui s’installent en Europe pour établir leur vie. Pourtant, nous ne parlons pas beaucoup des pays européens pour lesquels le problème n’est pas l’immigration mais plutôt l’émigration. La région la plus affectée par ce phénomène étant l’Europe de l’Est. 

Selon le dernier rapport de l’ONU sur le recul de la population, les 10 premiers pays dont la population diminue le plus rapidement sont des pays de l’Europe de l’Est, dont 7 de ces pays sont aussi membres de l’Union Européenne (Bulgarie, Croatie, Estonie, Grèce, Hongrie, Lituanie, Roumanie). L’élément ayant facilité ce phénomène est bien évidemment le principe de libre circulation des personnes, une des quatre libertés fondamentales de l’Union Européenne. De plus, le rapport contient des statistiques inquiétantes comme, par exemple, le fait que la population de la Roumanie a diminué d’environ 10% depuis 2007. Un autre exemple vient de Croatie puisque le pays a perdu 230 mille personnes entre 2013 et 2017 (sur une population de 4 millions d’habitants). La situation dans les autres pays de l’ex-bloc communiste n’est pas très différente. La fuite des citoyens les plus qualifiés vers des meilleurs emplois à l’étranger suscite légitimement de plus en plus d’inquiétude.

Il est important de déterminer quelles sont les raisons de ce phénomène au niveau européen. Pour ce faire, nous allons observer le cas de la Bulgarie, pays dont la population recule le plus rapidement en Europe.    

Retour sur l’histoire de l’émigration bulgare 

L’émigration des bulgares vers les pays de l’Ouest n’est pas un phénomène nouveau. C’est évident lorsqu’on s’intéresse à la diaspora bulgare. En effet, il y a actuellement plus de 8 millions de bulgares qui habitent en dehors du pays. Il s’agit d’une communauté active comme le prouve l’existence de plus de 1000 organisations aidant à l’intégration des émigrés bulgares (loisirs, religion, etc.). En analysant l’histoire de la Bulgarie – après la libération du pays par l’Empire Ottoman en 1878 – nous observons trois grandes vagues d’émigration. Sans inclure l’émigration des Turcs de Bulgarie pendant l’infâme ‘processus de régénération’ (възраждане/văzraždane en bulgare). Il s’agissait d’un virage nationaliste pris par le pouvoir communiste dans les Années 1970-1980 visant à assimiler par la force la population musulmane du pays (ciblant particulièrement les Bulgaro-turcs, les Pomaks, les Roms et les Tatars)

La première vague d’émigration survint après la Première Guerre Mondiale, la deuxième après le changement du régime dans les années 1940, et la troisième à nouveau après le changement du régime dans les années 1990. Selon les statistiques, les destinations préférées de ces émigrés ont toujours été les Etats-Unis et les pays d’Europe de l’Ouest. Il existe un grand nombre de recherches portant sur ces trois vagues d’émigration dans lesquels les académiciens examinent les habitudes de vie des émigrés bulgares après leur relocalisation. Les résultats de ces recherches mettent en évidence que la majorité des bulgares se sont installés dans les pays occidentaux (États-Unis en tête), et que la majorité d’entre eux occupent des postes de travail d’un niveau très bas (tant au niveau du salaire que de la qualification). 

Malgré tout, il reste une vague d’émigration à propos de laquelle personne ou presque ne parle, celle apparue après l’adhésion de la Bulgarie à l’UE. Après 2007, nous n’appelons plus la relocalisation des bulgares dans l’UE une émigration, on l’appelle libre circulation des personnes au sein de l’Union Européenne, une liberté garantie par les traités fondateurs. Une liberté qui a beaucoup d’avantages mais aussi d’importants inconvénients. 

La première question que nous devons nous poser se situe autour des raisons ayant produit cette émigration. Ensuite, nous devons voir quels sont les résultats et les conséquences de ce phénomène et au final quelle est la voie à suivre pour le futur, et comment nous pourrions améliorer la situation. 

Les raisons de l’émigration bulgare

Il existe plusieurs raisons pour l’émigration des bulgares. Ainsi, on évoque parfois une éducation qui fonctionne sous un système archaïque avec des professeurs qui doivent former la future génération du pays, mais qui adoptent pourtant des attitudes toujours fermées – dans l’esprit de l’ancien régime. On évoque également les problèmes de corruption et les limites que celle-ci pose pour la réalisation professionnelle des citoyens bulgares. Et finalement on parle aussi des standards de vie comme une des causes principales.  

Concernant l’éducation, la Bulgarie est le pays avec le plus grand nombre d’universités par habitant en Europe (51 universités pour un peu plus de 7 millions d’habitants). Cela s’explique notamment par la politique du gouvernement qui accorde des subventions importantes aux universités. Avoir beaucoup d’universités n’implique pas forcément une éducation de qualité, bien au contraire. Ici nous trouvons une similarité avec la France, dans la mesure où l’admission en première année à l’université est presque automatique. Néanmoins, la qualité de la formation dispensée diffère largement par rapport à la France. 

Aujourd’hui la jeunesse bulgare décide de quitter son pays pour suivre ses études en Europe de l’Ouest. Cette jeunesse attirée par l’éducation des universités européennes forme la part la plus importante des migrants bulgares. 

Quant à la corruption, la Bulgarie et la Roumanie sont considérés comme les pays les plus corrompus de l’Union Européenne. De fait, ces pays sont surveillés par des mécanismes de la Commission Européenne dans le cadre de la lutte contre la corruption et du respect de l’état de droit. Vous pouvez ainsi vous demander, comment cela peut influencer l’émigration vers les pays de l’Ouest?La corruption en Bulgarie existe à tous les niveaux de l’administration et impacte quotidiennement les citoyens. La corruption entraine des phénomènes quotidiens d’injustice pour les bulgares. Ainsi, les Bulgares – mêmes motivés et entreprenant – ne peuvent pas réussir dans un pays étouffé par leur propre gouvernement et son système.

Le dernier exemple de notre liste non-exhaustive des raisons expliquant l’émigration bulgare, est le problèmes des conditions de vie. Même si le taux de chômage demeure très bas (4% en Août 2019), les emplois disponibles sont très mal payés (le salaire minimum étant de 381lv soit 194,84 euros) pour un pays où le coût de vie est de plus en plus proche de celui des pays occidentaux. La Bulgarie est le membre le plus pauvre de l’UE avec un salaire presque 9 fois inférieur à celui du Danemark, pays en tête du classement. 

Par conséquent, il faut désormais analyser les conséquences de cette émigration. Que se passe-t-il dans ce pays où le nombre de bulgares qui habitent en dehors des frontières est quasiment égal à la population habitant toujours dans le pays. 

Les conséquences de l’émigration bulgare

La jeunesse quitte son pays pour toujours ! Ce qui devait être seulement deux années de master en Belgique ou en France se transforme souvent en une expatriation à long-terme. En attendant un jour le retour en Bulgarie, malheureusement ce jour n’arrive jamais pour beaucoup… De nombreux expatriés bulgares (et d’autres nationalités) se reconnaitront dans ce constat. Cependant, ce ne sont pas seulement les jeunes qui quittent le pays, il y a aussi ceux qui ont déjà une formation et qui trouvent un travail en Europe de l’Ouest. Par exemple, les médecins sont ceux qui quittent les premiers la Bulgarie. Enfin, il y a aussi ceux qui n’ont aucune formation qui quittent le pays. Une main d’œuvre qui ne coûte pas très chère est toujours la bienvenue au Royaume-Uni par exemple, où des milliers de bulgares travaillent dans les fermes et les usines.

Ainsi, nous observons une dramatique fuite des cerveaux qui pénalise largement le pays et son développement. Une fuite des citoyens qui ne trouvent en Bulgarie aucune perspective d’avenir. Alors que les forces vives de la nation choisissent l’exode, qui reste en Bulgarie? 

Selon Eurostat, la Bulgarie possède la population qui vieillit le plus rapidement en Europe. Ce ne sont que les parents et les grands-parents de ceux qui échappent la réalité décrite précédemment qui restent dans le pays. 

Malgré tout, les perspectives pour le futur du pays ne sont pas si sombres et la Bulgarie a plusieurs atouts, sur lesquels il faut se focaliser afin d’espérer un développement conséquent du pays. 

La voie à suivre 

Jusqu’à maintenant nous avons reproché à l’UE l’exode la jeunesse bulgare sans prendre en considération toutes les améliorations que l’Union a pu apporter à la Bulgarie. 

Aujourd’hui, la Bulgarie est un pays qui attire de plus en plus d’investissements dans le domaine des nouvelles technologies (notamment du fait de l’externalisation des entreprises occidentales). Bien évidemment, ces investissements sont liés en partie à l’existence d’une main d’œuvre très bon marché, mais sont également justifiés par l’existence d’experts reconnus et à une jeunesse de plus en plus intéressée par ces nouveaux métiers. La spécialisation de la Bulgarie dans ce domaine apparaît dès lors primordiale. 

Il faut aussi travailler sur le retour des expatriés, et notamment de cette jeunesse éduquée dans les pays occidentaux. Il faut les convaincre d’effectuer leur retour au pays afin de participer à son développement.

Les politiques de l’Union Européenne pour le développement des régions sont évidemment essentielles, ainsi que celles favorisant l’innovation. Certains considèrent qu’ils sont la clé pour que la Bulgarie devienne la future ‘silicon valley‘ européenne.

Notre passé et notre présent ne sont pas admirables, cependant une fois les problèmes identifiés il faut travailler tous ensemble pour les résoudre et les surmonter, afin de permettre au peuple bulgare de progresser et de se développer au sein de son pays.


Les propos des auteurs sont personnels et ne peuvent en aucun cas engager la responsabilité juridique de l’Association Europe Créative.

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