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Élections locales: enfin de nouvelles têtes?

Alors que nous commémorerons dans quelques semaines le 25ème anniversaire de la signature des Accords de Dayton, les électeurs de Bosnie-Herzégovine sont appelés aux urnes pour les élections locales. Que pouvons-nous attendre de celles-ci ? Après une campagne électorale traditionnellement étrange – cette année les élections ont été reportées de plus d’un mois pour des raisons budgétaires – les citoyens se rendent aux urnes avec un optimisme prudent, tout simplement las de voir défiler les mêmes promesses ne débouchant sur aucun résultat concret. Bien que ces élections puissent ressembler à tant d’autres, il semble tout de même y avoir un changement notable: de nombreux jeunes d’une vingtaine d’années sont cette année présents sur les listes.

Source: Conseil de l’Europe.

Tout d’abord, il convient de rappeler l’importance des élections locales dans ce pays au système si particulier. En raison de la décentralisation profonde de l’État, la plupart des pouvoirs exécutifs sont en fait entre les mains des entités et des cantons mais aussi des municipalités. Cela signifie que la vie quotidienne des citoyens de Bosnie-Herzégovine – pour les prochaines année – se jouera en partie lors de ce scrutin local.

Majda Ruge, Analyste à l’ECFR, abonde également en ce sens. Selon elle, étant donné que « le système électoral actuel favorise les partis ethno-nationalistes, l’inversion de « state-capture » en Bosnie-Herzégovine devra commencer par un processus ascendant, avec des maires réformistes ou des fonctionnaires cantonaux agissant comme des agents du changement. » Nous n’en sommes aujourd’hui pas encore là. En effet, l’une des raisons pour lesquelles il est si difficile de briser la capture de l’État est que les freins et contrepoids actuels reposent seulement sur le travail d’institutions non-gouvernementales et d’acteurs locaux qui manquent cruellement de moyens financiers et humains.

En Bosnie-Herzégovine, plusieurs initiatives locales – notamment journalistiques – tentent de faire évoluer le système en mettant à jour les dysfonctionnements. En 2018, lors des élections générales, un journal local avait joué un rôle crucial dans la découverte d’un scandale de fraudes électorales organisé via les bulletins de vote par correspondance.

Le journal en question, Žurnal, dispose de journalistes d’investigation qui ont beaucoup écrit (et enquêté) sur l’existence « d’électeurs fantômes », donnant des preuves convaincantes que ce système a été mis en place par des certains partis ethno-nationalistes. Ils ont ainsi découvert des personnes dont l’identité avait été falsifiée afin de les inscrire pour voter en Croatie et en Serbie voisines, bien qu’elles n’y vivent plus ou n’y aient jamais vécu. Ce travail a été crucial pour faire annuler (ou au moins tenter) certains votes falsifiés. Dans le même temps, les personnes détenant une double nationalité ont été sensibilisées à l’importance de vérifier la non-usurpation de leur identité. Malheureusement, certaines personnes l’ont découvert trop tard…

Outre cette falsification d’identité – rendue possible par la fouille des ordures et la découverte de pièces d’identité périmées ou perdues – il existe de nombreuses autres formes de fraude électorale en Bosnie-Herzégovine. Ces problèmes sont notamment traités par un réseau d’ONGs appelé Pod Lupom. Ils ont été les premiers à former des observateurs indépendants pour les élections de 2014. Ceux-ci sont alors déployés afin à surveiller les élections et faire remonter les fraudes électorales constatées. Mentionnons-le par exemple la technique du train bulgare, la disparition de l’encre ou encore l’utilisation de bulletins vides pour inscrire à posteriori le nom du candidat à avantager lors du dépouillement des votes. Si les fraudes sont si nombreuses, c’est notamment parce que la Commission Électorale Centrale (CIK) n’est pas irréprochable dans son fonctionnement, notamment dans la tenue correcte des registres d’électeurs éligibles.

Ces élections locales s’annoncent donc une nouvelle fois problématiques dans leur tenue. Plus largement, n’oublions pas de mentionner le verdict de longue date dit de Sejdic-Finci. Il s’agit d’un verdict de la Cour européenne des droits de l’homme qui déclare que la Constitution de la Bosnie-Herzégovine est une violation des Droits de l’Homme et doit en particulier modifier sa loi électorale parce qu’il ne permet pas aux nationalités non-constitutives d’être candidates à la Présidence. Cet arrêt n’a pas été mis en œuvre, depuis 11 ans, parce qu’il réduirait l’emprise des partis ethno-nationalistes sur le pays.

Cette année, l’élection locale de Mostar – décalée par rapport aux autres – sera particulièrement à suivre. En effet, dans cette ville divisée, aucune élection n’a eu lieu depuis 2012. Cette année un accord pour la tenue d’élections locales a été trouvé entre le SDA et le HDZ-BIH comme nous l’expliquions il y a quelques semaines dans cet article.

Face à cela, le temps est-il enfin venu pour les citoyens bosniens de punir les dirigeants des partis ethno-nationalistes en ne leur accordant pas leur vote ? Ou bien cette élection sera-t-elle plus ou moins similaire aux précédentes ? Rappelons que lors des dernières élections locales, le gouvernement cantonal de Sarajevo avait été formé par une coalition opposée à la mainmise des partis ethno-nationalistes SDA et HDZ. Cette victoire a malheureusement été de courte durée puisque que le gouvernement cantonal a très rapidement perdu sa majorité. Mais cet épisode s’est révélé être une lueur d’espoir pour le pays.

Pour ces élections 2020, l’espoir en Bosnie-Herzégovine vient de la présence accrue de « nouvelles personnalités » sur la scène politique. Mentionnons notamment Sabina Ćudić du parti Naša Stranka qui a su utilisé sa nouvelle popularité pour engager le débat sur les problèmes endémiques que sont la corruption ou la négligence en matière de protection sociale. Ćudić a par exemple dénoncé le centre Pazarić pour maltraitance d’enfants ayant des besoins spéciaux à l’Assemblée cantonale. Un autre personnalité montante, Damir Nikšić, a de son côté exposé comment certains représentants de l’Assemblée ont voté sur la réforme qui était censée rendre les biens immobiliers des officiels transparents. Mentionnons enfin Draško Stanivuković, jeune politicien qui se fait souvent entendre à l’Assemblée de Republika Srpska sur les problèmes de corruption.

Selon l’OCDE, plus de 80% des personnes interrogées en Bosnie-Herzégovine estiment que le gouvernement est sous-performant en matière de lutte contre la corruption, tandis que le budget des institutions de prévention de la corruption et de coordination des politiques n’est que de 0,005% et le personnel ne représente que 0,001% de la population. Les organisations indépendantes comme le Centre pour le journalisme d’investigation (CIN) qui conserve un base de donnés du patrimoine immobilier de l’immobilier des politiciens, tentent d’aider dans ces domaines. C’est un problème récurrent puisque le taux de perception de la corruption en Bosnie-Herzégovine est le plus élevé de la région. Ainsi, ces nouvelles figures politiques pleines de nouvelles idées et de courage politique ne passent pas inaperçues.

Il est difficile de dire combien de personnalités jeunes et dynamiques comme celles mentionnées auparavant figurent sur les listes pour ces élections locales. En effet, il faudrait passer en revue d’innombrables municipalités à travers le pays et cela n’a pas été fait. Mais si nous parcourons les listes des grands centres urbains tels que Sarajevo, Banja Luka ou Tuzla, nous pouvons voir de nombreux nouveaux visages. Ces nouveaux acteurs de la scène politique semblent comme une bouffée d’air frais. Néanmoins, nous devons reconnaître que jeune ne signifie pas nécessairement novateur. En effet, de jeunes visages figurent aussi sur les listes des vieux partis ethno-nationalistes mais, nous pouvons imaginer, qu’ils ne feront rien pour briser le statu quo et le perpétueront.

À l’heure où nous écrivions ces lignes, à la veille des élections, Abdulah Iljazović, candidat dans le District de Brčko, dénonçait déjà une fraude électorale planifiée. Ce dernier est un jeune – précédemment reconnu coupable de trafic de drogue – candidat pour un jeune parti appelé Narod i Pravda (Les gens et la justice). Il a gagné une certaine popularité sur les réseaux sociaux grâce à son honnêteté assumée face à ses précédents déboires, en venant même à déclarer « avec moi, un gramme était toujours un gramme« . Aujourd’hui, tout le monde parle de lui car il vient de dénoncer un groupe lui proposant de « racheter » 130 voix en son nom pour la somme de 6500KM au total (environ 3.300 euros). Il a rapporté l’offre au CIN et a dénoncé les personnes impliqués dans cette action.

De nombreuses questions demeurent pour ces élections. Ces nouveaux visages parviendront-ils à persuader leurs concitoyens de se déplacer massivement afin de voter pour un véritable changement politique tout en parvenant à manœuvrer à travers ce système corrompu ? De plus, s’ils parviennent à atteindre leur objectif politique, seront-ils capables d’incarner ce changement ascendant dont le pays a désespérément besoin ou perpétueront-ils les comportements de leurs prédécesseurs? La défiance du peuple est immense face au système politique national. Pourtant, ce sont bien ces citoyens qui permettront la mise en place de changements radicaux en terme de gouvernance. Le succès n’est pas garanti mais il doit au moins être espéré.


Les propos de l’auteure sont personnels et ne peuvent en aucun cas engager la responsabilité juridique de l’association Euro Créative.

Ana Jovanović

Ana est étudiante en Master à l’Université de Bologne où elle se concentre sur l’Europe de l’Est. Elle est titulaire d’un Baccalauréat en langue et littérature françaises de l’Université de Sarajevo. Au cours de ses études de licence, elle a participé à de nombreux programmes de réconciliation régionale dans les Balkans. Pendant ce temps, elle a également effectué un stage à la Mission de l’OSCE en Bosnie-Herzégovine et au Minority Rights Group International. Enfin, elle est devenue John Lewis Fellow aux États-Unis. Ana s’intéresse au discours médiatique, à la manière dont le monde numérique se transforme en physique mais aussi à la problématique des régimes hybrides et au processus de démocratisation.

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