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L’affaire « Reket » : épilogue judiciaire d’une affaire de corruption

Par Matthias Vazquez.

Le Tribunal de Skopje a rendu le 18 juin 2020 son verdict dans une des affaires judiciaires des plus marquantes – débutée il y a quasiment un an – dans cet état des Balkans occidentaux qu’est la Macédoine du Nord. Le pays est régulièrement épinglé par les instances européennes et internationales qui y dénoncent une corruption latente et se manifestant régulièrement, souvent par la mise en lumière de scandales, comme dans le cas de cette affaire, surnommée « Reket ». Une courte rétrospective s’impose toutefois, tant elle semble abstruse. 

En 2015, un Bureau d’Investigation Spécial (SPO – Special Prosecutor’s Office) est formé, en réaction aux affaires de corruption d’État impliquant l’ancien Premier Ministre du pays, Nikola Gruevski, qui s’est par la suite enfui en Hongrie, après avoir été condamné par la justice de son pays. Une Procureure Spéciale, Katica Janeva, est nommée à sa tête. Elle démissionnera en juillet 2019, suspectée d’être elle-même mêlée à des affaires de corruption. 

Une vidéo est publiée le mois suivant par un journal italien, La Verità, tournée quelques mois plus tôt chez un richissime homme d’affaire macédonien controversé, du nom d’Orce Kamcev. On y voit deux hommes, Bojan Jovanovski (alias Boki 13), et Zoran Milevski (alias Zoki Kičeec) quittant le domicile de Kamcev avec un sac prétendument rempli d’un million d’euros en liquide. 

Il se trouve que Kamcev est inculpé par le SPO sur certaines affaires de corruption, et que ces deux hommes seraient venus lui extorquer cet argent, en échange d’une promesse de l’aider à éviter une peine de prison, ou au moins à obtenir une peine plus légère. Et ce, en utilisant leur prétendue influence sur la Procureure Katica Janeva, chargée de l’affaire. Une proximité rapidement confirmée par les enquêteurs, malgré les dénégations des protagonistes, et ce, enregistrements audio à l’appui.

L’enquête révélant des faits de corruption, de blanchiment d’argent, et mettant en lumière ces montages et arrangements financiers illégaux, Zoki est d’abord condamné en décembre 2019 à 3 ans de prison ferme. C’est ensuite, quelques mois plus tard, que le tribunal de Skopje condamne en première instance les deux autres protagonistes mis en cause, Boki 13 et Katica Janeva, à 9 et 7 ans de prison ferme, respectivement.

Les deux accusés, qui ont plaidé non coupable, affirment être victimes d’une opération magistrale destinée à les discréditer et à sauver ceux que le SPO avait autrefois poursuivis, soit une « décision politique », mettant en cause la majorité gouvernementale. Ils ont choisi de faire appel du verdict. Boki 13 a également décidé d’ouvrir un nouvel épisode judiciaire, accusant directement le chef de la majorité (et précédent Premier Ministre) Zoran Zaev, et son frère Vice Zaev. Il affirme en effet que ces derniers seraient activement impliqués dans l’affaire de corruption.

En attendant, cette vaste affaire de corruption et d’extorsion (d’où l’appellation « reket », « racket » en macédonien) jette déjà le trouble sur la majorité politique, qui soutenait fermement les activités du SPO, en réponse aux malversations commises par le gouvernement d’opposition quelques années auparavant. Et ce, alors même que le SPO avait été créé en 2015 avec l’appui de l’Union Européenne, dans un contexte de crise politique, justement afin de restaurer la confiance dans le système judiciaire discrédité du pays.

Tandis qu’un gouvernement technique est actuellement en place dans le pays, les citoyens macédoniens se trouvent une fois de plus déçus face à un système qui parait irrémédiablement corrompu, y compris au sein des institutions justement censées s’y attaquer. Et ce, alors que la réforme du système judiciaire est l’une des exigences cruciales formulées par l’Union Européenne pour que le pays puisse continuer à progresser sur la voie de l’adhésion à l’UE, tandis que les négociations d’adhésion ont été, finalement, lancées en mars dernier.

L’équipe du SPO a été totalement démantelée, sur un vote du Parlement macédonien. L’arrestation de Janeva et la peine de prison qu’elle a reçue pourrait envoyer un signal positif en vue de rétablir la confiance des citoyens de la Macédoine du Nord, notamment envers les institutions judiciaires. 

Toutefois, la possible sanction politique pourrait quant à elle venir lors des élections législatives anticipées. Initialement prévues le 12 avril 2020, elles ont été reportées en raison de la pandémie. Elles auront lieu le 15 juillet prochain, en dépit d’une apparente seconde vague de Covid-19. Convoquées par Zoran Zaev face à l’échec initial de l’ouverture des négociations de l’adhésion de la Macédoine du Nord à l’UE lors du Conseil européen d’octobre 2019, elles pourraient ainsi constituer un nouveau couperet pour la majorité gouvernementale.


Les propos de l’auteur sont personnels et ne peuvent en aucun cas engager la responsabilité juridique de l’association Euro Créative.

Matthias Vazquez

Matthias Vazquez est titulaire d’un Master en Sciences des Organisations et des Institutions (Université Paul Valéry Montpellier III). Matthias est établi en Macédoine du Nord depuis 2015 et parle couramment 5 langues dont l’anglais, l’espagnol, l’italien, le macédonien et le serbe. Consultant spécialisé dans la coopération et le développement, Matthias est également Président et fondateur de l’Association Amitié France-Macédoine. Première association française établie dans les Balkans, créée en 2017, elle regroupe aujourd’hui une soixantaine de membres français et francophones, aussi bien en France qu’en Macédoine du Nord. Elle vise à créer des liens entre ces deux pays et entre ses membres, mais aussi en organisant des activités de coopération et d’échange.

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