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Smart Cities: une nouvelle perspective pour les Balkans occidentaux?

Les villes génèrent aujourd’hui un pouvoir d’attraction extrêmement puissant et deviennent en conséquence des acteurs incontournables de la mondialisation. C’est donc également au niveau des municipalités que la réflexion du monde de demain doit être menée. C’est en ce sens que chercheurs, ingénieurs, investisseurs et responsables politiques locaux travaillent ensemble à la mise en place de Smart Cities villes intelligentes dans lesquelles les nouvelles technologies permettent un mode de gestion efficace offrant à la population une meilleure qualité de vie malgré leur densité et la forte activité qu’elles génèrent. La compétitivité d’un pays se mesure donc en partie par la capacité de ses grandes villes à être performantes.

Ainsi, si les Balkans occidentaux veulent renforcer leur attractivité et leurs performances, il leur est nécessaire de mettre en place une stratégie de développement centrée sur la dépollution des villes et le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) piliers du monde de demain, notamment avec l’arrivée de la 5G sur le marché puisque cette technologie favorise une rapidité inédite dans la gestion des données permettant d’accroître les possibilités de gestion de l’urbanisation des villes. Cependant, de tels changements peuvent s’avérer extrêmement difficiles à mettre en place, notamment au sein de pays qui peinent à attirer des capitaux et qui demeurent victimes d’une importante « fuite des cerveaux » vers l’Ouest.

Qu’est-ce qu’une Smart City ?

D’après la CNIL, la ville intelligente ou Smart City se définit comme un nouveau concept de développement urbain. Il s’agit d’améliorer la qualité de vie des citadins en rendant la ville plus adaptative et efficace, à l’aide de nouvelles technologies qui s’appuient sur un écosystème d’objets et de services. Le périmètre couvrant ce nouveau mode de gestion des villes inclut notamment les infrastructures publiques (bâtiments, mobiliers urbains, domotique, etc.), les réseaux (eau, électricité, gaz, télécoms), les transports (transports publics, routes et voitures intelligentes, co-voiturage, mobilités dites douces – à vélo, à pied, etc.), les e-services et e-administrations.

Le concept de Smart City regroupe donc des champs d’actions extrêmement larges et divers. C’est en sens que Rudolf Giffinger, expert en recherche analytique sur le développement urbain et régional à l’Université Technologique de Vienne, classe les villes intelligentes selon « six critères principaux« .

  • Économie intelligente ;
  • Mobilité intelligente;
  • Environnement intelligent ;
  • Habitants intelligents ;
  • Mode de vie intelligent ;
  • Administration intelligente.
Une seule ville centre-est européenne dans les 25 premières ville du classement: Vienne en 10ème position.

Ainsi, les Smart Cities sont conçues d’après une conception néoclassique de la croissance, c’est-à-dire une croissance de long terme dont les principaux moteurs sont la technologie, le capital et la main d’oeuvre. C’est pourquoi les Smart Cities se dotent massivement d’outils issus des NTIC et des centres financiers importants afin d’attirer investissements et personnels qualifiés.

L’Europe est par ailleurs un leader dans ce domaine. Dans le classement des Smart Cities établit depuis six ans par l’IESE Business School of Barcelona, sept des villes du top dix sont européennes. Cette tendance est vérifiée également dans le top 50 où plus de la moitié des places sont occupées par des villes européennes dont deux villes d’Europe centrale : Vienne (10ème) et Prague (47ème). Cependant, les Balkans Occidentaux semblent rester en marge de cette tendance. Malgré ce retard par rapport au reste de l’Europe, il semble que les pays balkaniques ont compris l’importance de développer des projets « smart » pour leurs villes. On peut observer plusieurs initiatives en faveur de villes intelligentes dans la région, reportées sur le site Smart Balkans entre autres. Ainsi, les Balkans Occidentaux semblent entamer un tournant vers une gestion plus « intelligente » de leur ville grâce à l’utilisation des NTIC.

Des perspectives encourageantes

Au cours de la dernière décennie, de nombreuses initiatives pour la mise en place de Smart Cities dans les Balkans, , initiées par les sociétés civiles ou les gouvernements locaux,  ont vu le jour. Un véritable désir de changement est perceptible comme en témoigne la multiplication des conférences autour du sujet dans les capitales balkaniques. Des événements auxquels se joignent les acteurs du secteur privé ou de la recherche mais aussi des « conseillers » étrangers. À Belgrade, le ministre en charge de la technologie et de l’innovation, le maire de la capitale et le PDG de la plus grosse compagnie d’énergie de Serbie Elektroprivreda Srbije sont les invités d’honneur de la Smart City See conferences tenue l’année précédente.

Cet élan de la part des élites politiques et économiques est accompagné par un désir de changement venant de la société civile. En effet, les populations des principales villes balkaniques souffrent notamment de la pollution et de la mauvaise gestion des déchets. De ce fait, de nombreuses initiatives ont émergés au cours des dernières années. De nouvelles associations en faveur d’un mode de vie plus écologique comme Green Balkans ou Youth for Climate sont désormais visibles. De surcroît, plusieurs fonds et entreprises internationales se sont déjà positionnés en faveur de la mise en place de villes intelligentes dans les Balkans comme Schneider electrics qui participe et finance plusieurs conférences sur les Smart Cities dans la région tout comme la fondation allemande Friedrich Naumann Stiftung qui a organisé plusieurs conférences et workshops dans le but d’aider les villes concernées à amorcer un changement efficace dans ce domaine appellant notamment à davantage de collaboration entre les pouvoirs publics et les starts-ups.

La France n’est pas en reste et c‘est également dans le but d’accompagner les Balkans dans leur transition vers des villes plus « intelligentes » que l’Agence Française de Développement (AFD) a collaboré avec l’Institut du Développement Durable et des Relations Internationales (IDDRI). Les deux instituts ont publié un guide permettant d’aider les autorités locales à amorcer une transition numérique efficace et en lien avec les défis auxquels les villes doivent faire face. Un autre exemple de l’implication française se trouve à Prishtina où un accord bilatéral pour l’aide au développement du traitement des eaux usées de la ville a été signé entre l’Ambassade de France au Kosovo et le Maire de la capitale.

Dans ce domaine, Belgrade se positionne comme un bon élève. Les autorités encouragent la venue de nouvelles entreprises par la mise en place de lois et de procédures facilitant les démarches et leur installation dans la ville, incitant notamment l’installation d’entreprises de la tech par la création d’un « Technology Park ». Le complexe a l’ambition d’accueillir mille ingénieurs et plus de cent compagnies de la tech. Ce parc est construit en collaboration avec le gouvernement serbe, la ville et l’université de Belgrade. La France a également collaboré directement avec les villes afin d’apporter son expertise. D’autres capitales balkaniques sont également en train de mettre en place leur transition comme Sarajevo avec la Smart City Initiative initiée par l’UNDP. Les pays des Balkans Occidentaux se trouvent encore dans une situation économique transitoire marquée par un manque d’infrastructures. Ce stade de développement est une chance à saisir pour la mise en place de villes intelligentes grâce à une certain liberté d’innovation à saisir. Cela pourrait permettre à terme de rendre ces villes plus compétitives et plus durables, en bref, adaptées au monde de demain.

…Malgré de nombreux défis à relever

Si un tournant a bien été amorcé en faveur de la construction de « villes intelligentes », les Balkans Occidentaux font face à de nombreux défis qui ralentissent cet engouement. On remarque en effet que malgré la volonté de nombreux acteurs économiques et politiques, les pays balkaniques peinent à attirer des investisseurs. Les investissements directs étrangers sont en effet bien plus faibles que dans le reste de l’Europe et la région repose en grande partie sur le soutien financier de l’Union Européenne. Or, sans investissements massifs, la mise en place de projets aussi ambitieux que des villes intelligentes est compromise.

Au-delà du manque d’investissement, les Balkans souffrent d’une corruption endémique. De ce fait, lorsque des capitaux affluent dans la région, une partie n’est pas redistribuée efficacement, diminuant sensiblement à la fois l’influence des investissements et la volonté de certains partenaires de verser ceux-ci. Si des efforts sont faits pour enrayer la corruption par certains pays comme la Bosnie-Herzégovine, avec la forte implication de sa Cour de Justice, force est de constater qu’elle demeure encore trop présente.

Ce problème de corruption engendre un autre problème inhérent aux pays des Balkans Occidentaux: le manque de transparence. Les gouvernements sont notamment peu enclins à mettre en place des politiques transparentes ce qui réduit drastiquement la confiance des citoyens dans leurs gouvernants. Ce manque de transparence est particulièrement problématique dans la mise en place de Smart Cities puisqu’elles supposent en effet une utilisation intensive des NTIC associée à un besoin de protection des données personnelles et individuelles important. Les récents développements politiques en Serbie ne peuvent que renforcer l’inquiétude de la population en ce sens. Un rapport de l’OSCE a notamment pointé du doigt l’utilisation frauduleuse de données personnelles par les autorités dans le cadre des récentes élections. De surcroît, les influences chinoise et russes dans la région inquiètent les citoyens qui n’ont aucune garantie sur la manière dont leurs données seront traitées. L’arrivée de la 5G sur le marché accroît évidemment davantage ces inquiétudes. La compagnie de télécom chinoise Huawei a déjà signé avec la ville de Belgrade un contrat pour l’achat de caméras de surveillance (avec reconnaissance faciale) pour l’ensemble de la ville, faisant craindre un renforcement des pratiques autoritaires plutôt qu’un tournant vers une gouvernance « intelligente » et démocratique.

Enfin, les pays balkaniques souffrent du phénomène de la « fuite des cerveaux » c’est à dire de la fuite des travailleurs qualifiés vers l’Ouest. Les grands ingénieurs, chercheurs ou analystes ne font généralement pas carrière dans la région. Or, sans ce personnel qualifié, il est difficile de mener une réflexion efficiente sur la mise en place de Smart Cities et d’innover dans ce domaine. On estime qu’environ 36 000 personnes ont quitté la Croatie, 80 000 ont quitté la Bosnie-Herzégovine, 200 000 Kosovars vivent déjà dans l’UE et 1,2 Millions de serbes (sur 7 Millions) comptent quitter le pays prochainement sans y revenir. C’est un cercle vicieux qui affaiblit donc considérablement les pays des Balkans occidentaux dans leur développement économique, social et politique.

Cependant, nous l’avons vu plus haut, le monde de la tech attire encore dans la région et les investissements dans ce domaine peuvent laisser espérer une porte de sortie au cercle vicieux dans lequel sont enfermés les Balkans. À titre d’exemple, la compagnie Gjirafa, l’équivalent kosovar de Google, a déjà levé 6,7 Millions de dollars en 2018. On peut donc espérer que la tech pourra permettre une forme de retour des cerveaux et les Smart Cities pourront ainsi se développer et permettre à ces pays d’être à nouveau compétitifs.

Dans les Balkans, du fait de l’émigration, la population baisse dans la majeure partie des pays. Source: Radio Free Europe.

En définitive, si les défis que doivent relever les pays des Balkans Occidentaux sont nombreux et colossaux, il existe une véritable perspective de développement pour les projets de Smart Cities. À l’aide des investissements des pays de l’Union Européenne, d’une véritable implication des politiques et des entreprises de la tech, les Balkans peuvent espérer devenir une région compétitive sur le marché et développer leur propre expertise dans le domaine des nouvelles technologies dans la décennie à venir. Pour cela, le développement des villes doit se coupler à une réponse politique forte en faveur d’un développement de la démocratie et de la transparence.

Ainsi, les investissements étrangers en provenance de l’Union Européenne et ses pays membres doivent s’accélérer afin de permettre aux villes balkaniques de posséder les liquidités nécessaires aux investissements en faveur de Smart Cities. Cet afflux de liquidités permettra de créer un cercle vertueux limitant la fuite des cerveaux vers l’Ouest et favorisant l’innovation. Les pays de l’Union Européenne pourraient également favoriser la mobilité intra-européenne en incitant ses jeunes à s’installer dans les pays des Balkans afin de travailler (notamment à la mise en place des villes connectées).

Le développement des villes balkaniques pourrait faire émerger une vision spécifique de la ville de demain, propre à la région et à ses enjeux, notamment communautaires, dont le fonctionnement et la conception devront être en accord avec le désir et les besoins de ses citoyens.


Bertille Meauzé

Bertille Meauzé est étudiante en deuxième année à SciencesPo Lille. Elle a séjourné six semaines en Serbie l’été dernier où elle a effectué une action de solidarité internationale au sein d’une association serbe sensibilisant aux problématiques environnementales et promouvant le multiculturalisme auprès de la jeunesse serbe. Depuis, elle a développé un fort intérêt pour la région des Balkans occidentaux et souhaiterait intégrer par la suite un Master d’Affaires Européennes avec une spécialisation sur l’Europe de l’Est. Par ailleurs, elle s’est engagée au sein du Bureau des Internationaux de Sciences po Lille où elle a pu échanger et entretenir un lien avec des étudiants de cette région.

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