Cet article a été écrit par Dionis Cenuşa pour notre partenaire New Eastern Europe Journal.
Le premier tour des élections présidentielles en Moldavie est terminé. Plus de 1,3 million de personnes ont voté pour leur candidat respectif. L’ex-Première Ministre Maia Sandu, ainsi que le Président sortant Igor Dodon, vont maintenant s’affronter au second tour le 15 novembre. Un second tour qui était attendu depuis des mois voire des années. Tous deux sont des adversaires politiques depuis 2016 et le sont restés lors de la coalition formée l’année dernière à la suite de la chute du régime oligarchique. Puis, le Parti socialiste de Dodon finit par renverser le gouvernement de Sandu il y a un an.
Lors du premier tour, Sandu a gagné avec 36 %, soit environ 4 % de plus que son principal adversaire. Pour Sandu, cela peut ressembler à une revanche de sa défaite en 2016. Cependant, le deuxième tour sera plus difficile et Dodon a déjà présenté l’arsenal de thématiques et d’outils qu’il espère mobiliser contre Sandu. Cela inclut la lutte contre la campagne de diffamation et de désinformation, qui ressemble à bien des égards aux thèmes des élections de 2016. De nouveaux sujets sont également présents, tels que la Covid-19 et les risques de déstabilisation autour du conflit transnistrien.
La perte d’électeurs
Sandu et Dodon ont reçu ensemble environ 69 % du total des votes, soit 927 501 voix. Dans l’ensemble, le soutien qu’ils ont reçu est inférieur à celui du premier tour de 2016, qui s’élevait à 1 229 702, soit 86 % du total des voix.
Comme le montre le tableau ci-dessous, Dodon a subi une perte de votes importante par rapport à Sandu. Cela est vrai tant en termes de nombre que de part totale des votes. Dodon a perdu environ 240 000 partisans par rapport à 2016. Pour Sandu, la perte a été moins tangible avec environ 61 000 voix. Le recul du taux de participation explique une partie de ces pertes mais pas la totalité. En effet, comparé au premier tour de 2016, 70 000 électeurs de moins se sont rendus aux urnes.
Année | 2016 | 2016 | 2020 | 2020 | 2016/2020 | 2016/2020 |
Catégorie | Votes | Pourcentage | Votes | Pourcentage | Votes | Pourcentage |
Dodon | 680.550 | 47.9% | 439.886 | 32.6% | -240.684 | -15.3% |
Sandu | 549.142 | 38.7% | 487.635 | 36.1% | -61.517 | +2.6% |
La part réduite des votes de Sandu et Dodon s’explique en grande partie par la participation d’autres candidats ayant un profil similaire cette année, comme Andrei Năstase et Renato Usatîi. Năstase est devenu l’un des principaux leaders de l’opposition, avec Sandu au sein de la plateforme anti-oligarchique entre 2015 et 2019. Les 43 924 voix obtenues par Năstase pourraient facilement devenir des voix pour Sandu au second tour. De même, une grande partie des 227 939 votes d’Usatîi provient probablement de ceux qui ont soutenu Dodon en 2016. Notons également que Sandu a bénéficié d’un large soutien au sein de la diaspora du pays puisque 70 % du total des votes exprimés à l’étranger étaient en sa faveur.
Anti-corruption vs déstabilisation: des discours contraires
Le principal sujet utilisé par Sandu contre Dodon est la lutte contre la corruption. Elle a souvent évoqué l’implication de Dodon dans des affaires de corruption, ainsi que les relations financières du Parti Socialiste avec la Russie et l’ancien régime oligarchique. Dans une série de fuites arrangées, des images montrant le président sortant acceptant des pots-de-vin de l’oligarque en fuite Vladimir Plahotniuc ont inondé l’espace public. Ces images n’ont cependant pas donné lieu à une quelconque enquête, car le Bureau du Procureur de Moldavie a contesté la crédibilité de l’information. De toute évidence, d’autres informations préjudiciables ont été rendues publiques avant les élections, afin de compromettre les chances de réélection de Dodon. Cette fois, l’accent a été mis sur la collaboration de Dodon avec les fonctionnaires russes et en particulier les services spéciaux. Contrairement aux allégations de corruption, Sandu n’a pas clairement tenté d’exploiter cet exemple potentiel de trahison à des fins politiques. Dodon a rejeté toute allégation de collaboration, affirmant qu’une campagne de désinformation élaborée était menée depuis l’étranger.
De son côté, Dodon est passé d’une campagne électorale prudente et plutôt neutre à un style nettement plus conflictuel. Il a établi une liste de domaines dans lesquels il doit affronter Sandu. Par exemple, Dodon a relancé la discussion sur les projets d’amélioration des écoles, qui avait commencé à la fin des années 2000. Ce programme a débuté avant que Sandu ne dirige le Ministère de l’Éducation du pays entre 2012 et 2015. Malgré cela, il l’a accusée de contribuer indirectement au démantèlement des écoles rurales et par là même à la destruction de nombreuses communautés villageoises.
De plus, Dodon affirme que le pays est entré dans la pandémie sans être préparé à cause du gouvernement de Sandu en 2019. Ce faisant, il a également ressorti les critiques précédentes concernant le rôle des prédécesseurs de Sandu dans l’affaiblissement des services médicaux de la Moldavie. Le fait de rejeter la responsabilité de la crise actuelle pourrait aider Dodon à réduire les critiques contre la majorité au pouvoir et la mauvaise gestion entreprise par l’exécutif. En même temps, le Président en exercice joue la carte géopolitique de plusieurs façons. Tout d’abord, il essaie de convaincre la minorité russophone que Sandu s’approprie la langue russe à des fins spécifiquement électorales. Deuxièmement, les liens étroits de Sandu avec la politique roumaine sont utilisés pour suggérer qu’elle pourrait remettre en question le droit de la Moldavie à devenir un État. Troisièmement, Dodon a l’intention de cibler son adversaire pour sa position selon laquelle les citoyens moldaves de Transnistrie ne devraient pas être autorisés à voter aux élections par des moyens illégaux, tels que le transport des électeurs. Avec cela, il espère raviver les souvenirs de la guerre et dépeindre Sandu comme une « provocatrice » capable de déstabiliser le conflit gelé.
Enfin et surtout, Dodon espère faire appel au sens à la dignité des électeurs moldaves en affirmant que le pays a besoin de plus d’indépendance vis-à-vis des donateurs occidentaux. Cette position rentre en conflit avec l’appel de Sandu pour plus d’intégration européenne, qui, selon Dodon, porte atteinte à la souveraineté nationale. De la même manière, l’actuel Président a mis en doute la capacité de l’ex-Première Ministre à maintenir des relations étroites avec la Russie en raison de positions critiques formulée par le passé. En réalité, M. Sandu soutient ouvertement une politique étrangère multi-vectorielle à l’instar de celle de M. Dodon, en mettant l’accent sur les liens étroits avec Bruxelles et les voisins de la Moldavie.
Un résultat incertain
Il est difficile de prévoir comment les électeurs se comporteront lors du second tour. Les attitudes de la population face à la désinformation et aux exagérations électoralistes joueront probablement un rôle clé. Cela contraste avec les espoirs et les recommandations formulées par les USA, l’UE ou par les organisations internationales.
Les développements en cours relatifs à la pandémie dans le pays et à l’étranger auront également un impact sur la participation au second tour. Ces dernières semaines ont suscité de nombreuses controverses et les citoyens auront encore plus de mal à décider qui est le candidat le plus compétent. Alors que Sandu peut facilement se vanter de son intégrité politique, Dodon n’a pas d’autre choix que de détourner l’attention du public des questions relatives aux accusations de corruption et de trahison.
Dionis Cenuşa est doctorant et chercheur à l’Institut de sciences politiques de l’Université de Giessen en Allemagne. Il est expert associé au groupe de réflexion « Expert-Grup » en Moldavie et contribue à l’agence de presse IPN en Moldavie depuis 2015.
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Directeur général d’Euro Créative, analyste Défense/Sécurité