Entre atlantisme et Europe de la défense : l’autonomie stratégique européenne vue d’Europe centrale

Au-delà des clichés répandus en France, quelles sont réellement les positions des pays d’Europe centrale quant à l’autonomie stratégique européenne et l’Europe de la défense promue par Paris ? Analyse par Aurélien Duchêne, chargé d’études à Euro Créative.

Les pays d’Europe centrale et orientale sont généralement présentés comme les principaux opposants en Europe continentale aux projets de défense européenne, qui seraient perçus au mieux comme inutiles du fait de l’existence de l’OTAN, au pire comme dangereux du fait de leur possible concurrence avec celle-ci. Ils sont aussi considérés comme les principaux contempteurs de l’idée d’autonomie stratégique européenne, qui présenterait le risque – voire le souhait – de se détourner de l’allié américain pour se rapprocher de l’adversaire russe, au service des rêves de puissance de la France et des intérêts ambigus de l’Allemagne, et de substituer à la protection américaine une illusoire protection européenne qui serait de peu de secours pour les pays du flanc Est de l’Europe. L’invasion de l’Ukraine, et l’attitude jugée décevante de la France et de l’Allemagne, auraient plus que jamais conforté les « pays de l’Est » dans leurs soupçons à l’égard des projets européens, et dans leur confiance en la relation transatlantique. Ainsi que nous le montrons ici, la réalité est cependant plus complexe : les recherches qui suivent démontent même certaines idées reçues.

Notons d’abord que les concepts d’Europe de la défense et d’autonomie stratégique ne sont pas seulement interprétés de diverses manières d’un bout à l’autre de l’Europe : ces concepts sont aussi polysémiques (ils n’ont pas la même définition ou ne recouvrent pas le même périmètre, ne serait-ce que chez leurs promoteurs) et évolutifs (ne serait-ce que par rapport au début de la décennie 2020). Avant de détailler leur appréciation parmi les pays d’Europe centrale et orientale étudiés ici, il convient donc de rappeler les grandes évolutions successives de l’autonomie stratégique européenne pour mieux comprendre leur perception par les Etats centre-européens.

L’on peut en effet parler de trois significations différentes de l’autonomie stratégique européenne, depuis la première apparition de ce concept d’origine français dans le Livre blanc français de 1994. La première, dont l’esprit anime la déclaration franco-britannique à l’issue du sommet de Saint-Malo de 1998 et qui s’est retrouvée dans la genèse de la PSDC, « consiste en une forme limitée d’indépendance militaire1 », avec « la gestion de crises internationales par un corps expéditionnaire ». A défaut d’être appelée par son nom, l’autonomie stratégique transparaît dans la question des capacités d’action autonomes. La seconde mouture de l’autonomie stratégique européenne apparaît en 2013 dans des textes de la Commission et du Conseil européens : elle s’étend désormais à l’autonomie industrielle et technologique. C’est d’autant plus le cas la Stratégie globale de l’Union européenne de 2016, qui « consacre définitivement la notion2 ». Dans une même dynamique, l’an 2017 voit à la fois la création du Fonds européen de défense et le lancement effectif de la Coopération structurée permanente (CSP, ou PESCO en anglais).

Enfin, la troisième version de l’autonomie stratégique européenne, portée par Emmanuel Macron à partir de la même année 2017, étend encore la portée du concept et lui donne une nouvelle vigueur dans le débat public. Si l’extension de l’idée d’autonomie stratégique européenne à d’autres domaines ne date pas d’hier, l’autonomie est plus que jamais associée à l’idée très française d’une « Europe-puissance », disposant à la fois de la volonté politique et des moyens de peser dans les affaires du monde comme un pôle plus indépendant face aux autres pôles de puissance, à commencer par la Chine et les Etats-Unis. Et ce d’autant plus que M. Macron accorde à l’autonomie stratégique européenne une centralité jamais vue chez ses prédécesseurs, voire chez les autres dirigeants européens, au point que le concept même d’autonomie européenne devient souvent associé à sa personne.

Le Président français ira même au bout de cette vision en défendant la « souveraineté européenne », et en soulignant dans son pays que l’indépendance de la France passe en divers domaines par celle de « notre Europe » ou par une action « en Européens ». L’on peut d’ailleurs noter que si elle suscite critiques et oppositions, l’idée d’autonomie européenne dans des domaines tels que l’industrie ou les technologies rencontre un accueil plus favorable parmi les autres pays européens. Le terme même de « souveraineté européenne » est ainsi ouvertement repris par les dirigeants allemands, du contrat de coalition de 2021, qui évoque la « strategische Souveränität der Europäischen Union3 » et affirme que « une Union européenne démocratiquement plus solide, capable d’agir et stratégiquement souveraine est le fondement de notre paix, de notre prospérité et de notre liberté4 », aux discours officiels du chancelier Olaf Scholz et de ses ministres à destination de leurs partenaires européens.

C’est la deuxième version de l’autonomie stratégique européenne qui, sur le plan militaire, aura commencé à inquiéter les pays d’Europe centrale et orientale, Pologne en tête : ces derniers y voient alors une quête d’indépendance et de dédoublement vis-à-vis des États-Unis, qui pourrait même pousser à leur retrait au profit d’un pivot vers l’Asie-Pacifique. Ainsi que nous le détaillons plus loin, les États concernés ne s’opposent pas, au contraire, à la première version de l’autonomie stratégique, consistant en une capacité autonome à gérer des crises ou intervenir lorsque les Américains ne le peuvent ou ne le veulent. Il en va de même, à divers degrés, pour l’autonomie dans les domaines économiques évoqués plus haut. C’est bien l’idée d’une autonomie consistant à s’émanciper du protecteur américain au point de se passer de lui ou d’être lâché par lui qui suscite le rejet des pays d’Europe centrale. Qu’en est-il plus largement des préférences des pays d’Europe centrale quant aux projets de défense européenne et d’autonomie stratégique, et aux relations entre l’UE et l’OTAN ?

1) La Pologne, une relation plus évolutive et complexe qu’il n’y paraît aux projets de défense européenne et d’autonomie stratégique du continent

La Pologne est réputée pour son scepticisme, voire son opposition aux projets de défense européenne ou d’autonomie stratégique européenne susceptibles de se faire au détriment de la relation transatlantique ou de sa propre relation avec Washington. Mais avant même l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle coalition pro-européenne en 2023, Varsovie n’avait pas toujours campé sur de telles positions. Loin de là.

Fait largement oublié depuis, le chef du parti national-conservateur PiS et Premier ministre Jarosław Kaczyński avait proposé en 2006 une armée européenne5, affichant une ambition bien au-delà de ce qu’auront évoqué tous les Présidents français depuis le début de la Ve République. Rassemblant 100 000 soldats, cette armée commune aurait été sous la responsabilité politique du Président de la Commission européenne, et le commandement opérationnel de l’OTAN ; de quoi susciter des critiques quant au sérieux de cette proposition, qui revenait à placer une armée européenne sous commandement américain, et faisait l’impasse sur le fait que des membres de l’UE ne faisaient pas partie de l’OTAN6 . En total décalage avec le discours du PiS depuis 2015 et avec l’image que renvoie généralement la posture polonaise sur la question de la défense européenne, cette proposition était motivée par l’idée de pallier le fait que la concentration des Etats-Unis dans leur « war on terror » les détournait de la protection de l’Europe, et même par une quête de compétition avec l’Amérique.

Dans la même logique, M. Kaczyński proposait en 2009 la création d’un poste de président de l’Union européenne, élu pour neuf ans, qui serait notamment doté de la force armée pour pouvoir faire jeu égal, voire tenir tête au Président des Etats-Unis7. En 2011 encore, Jarosław Kaczyński défendait l’idée que l’unité militaire pourrait faire de l’Europe une superpuissance rivalisant avec les Etats-Unis8. Après le retour au pouvoir de son parti PiS, et un tournant plus eurosceptique que jamais et une préférence affichée à la protection américaine plutôt qu’à la défense européenne, Kaczyński (considéré comme plus influent que le président et le Premier ministre) évoquait encore la création d’une superpuissance nucléaire européenne dotée d’un arsenal atomique capable de tenir tête à la Russie9, tout en défendant des réformes renforçant le pouvoir des Etats membres plutôt que ceux de l’Union10.

À la suite de leur accession au pouvoir en 2007, Donald Tusk et son gouvernement pro-européen du parti Plateforme civique menèrent une politique ouvertement pro-européenne en matière de défense : tout en continuant de considérer l’OTAN comme un fondement de la défense du pays, la Pologne engageait des coopérations avec l’Allemagne et la France dans le cadre du triangle de Weimar, et faisait partie des Etats les plus impliqués dans les opérations de PSDC – la PSDC figurant parmi les priorités de la présidence polonaise du Conseil de l’Union européenne en 2011. Certains chercheurs soulignent également une déception vis-à-vis du peu de dividendes que la Pologne retire de son investissement dans l’alliance américaine – ainsi des retombées que Varsovie pouvait attendre de sa participation à la très controversée guerre d’Irak, la conscience d’un désengagement américain au profit de l’Asie-Pacifique qui relègue l’Europe centrale au second plan dans l’agenda américain, et le souhait de mieux peser en Europe en jouant la carte de l’influence militaire11.

C’est à partir du retour au pouvoir du PiS en 2015 que Varsovie réaffirme plus que jamais la primauté de l’alliance transatlantique, au point d’entrer en opposition souvent frontale avec les projets portés notamment par la France. Derrière des décisions spectaculaires, telle que l’annulation en rase-campagne du contrat passé avec la France pour des hélicoptères Caracal, une préférence ostensible accordée au matériel militaires américain ainsi qu’aux relations militaires avec Washington, et des déclarations parfois hostiles envers la politique étrangère et de défense de Paris et Berlin et les orientations de Bruxelles en la matière, Varsovie se distingue aussi par un très faible investissement dans les différents programmes de coopération européenne. Et ce qu’il s’agisse des coopérations rassemblant toute l’UE ou presque, telles que la CSP ou le Fonds européen de défense (la participation au FEDef est particulièrement faible12), ou des coopérations « à la carte », telle que l’Initiative européenne de défense. Comme le soulignait un rapport du Sénat français, le soutien polonais à la CSP et au FEDef, s’il montre que Varsovie ne ferme pas totalement la porte, « est toujours assorti de mises en garde sur la nécessité que les développements européens soient toujours compatibles avec l’OTAN et ne détériorent pas la relation transatlantique ». Les rapporteurs rappellent en outre que l’adhésion polonaise à la CSP avait été « assortie d’une lettre précisant qu’elle se faisait sur la base de la compatibilité avec les objectifs de l’OTAN. Pour l’heure, la Pologne n’est pas encore fortement engagée dans la CSP. Du moins n’y est-elle pas hostile, dans les limites déjà évoquées13 ».

Sur le plan industriel, la rupture en 2016 du contrat Caracal ne s’inscrit pas seulement dans une préférence affichée pour le partenariat militaire avec les Etats-Unis : il s’agit aussi pour la Pologne de rompre avec un projet industriel européen majeur14, et donc avec un pan entier de la quête d’une véritable « Europe de la défense ». Une politique d’autant plus critiquée qu’au moment où le gouvernement nationaliste polonais s’engage vers un rapprochement supplémentaire avec l’Amérique au détriment de la coopération européenne, la position de Washington est celle d’un rapprochement avec Moscou. L’attitude polonaise incarne de 2015 à 2023 le scepticisme envers les projets de défense européenne et d’autonomie stratégique en matière de défense. Sous la présidence Trump, marquée par des tensions et des doutes sur la solidité de l’alliance transatlantique, le gouvernement polonais cultive sa proximité avec l’administration républicaine : outre une proximité idéologique, il s’agit de préserver l’alliance avec les Etats-Unis.

Lorsqu’en 2019, Emmanuel Macron suscite une vaste polémique en décrivant une OTAN « en état de mort cérébrale » et évoqué notamment ses interrogations sur la mise en œuvre de l’article 5 dans un contexte de remise en cause par Donald Trump de fondements même de l’Alliance et d’aventure solitaire de la Turquie, le Premier ministre polonais avait eu les mots les plus durs envers le Président français. Qualifiant de « dangereux15 » pour l’OTAN les propos d’Emmanuel Macron, Mateusz Morawiecki affirmait que les problèmes de l’Alliance ne proviennent pas « de l’ambivalence de M. Trump, mais du manque d’engagement de certains membres européens ». Jusqu’à avancer que les doutes du Président français sur la clause de défense mutuelle pouvaient « amener d’autres alliés à se demander si c’est peut-être la France qui a des inquiétudes quant à sa capacité à s’y conformer16 » et à dire qu’il espérait que les alliés pourraient « toujours compter sur le respect par la France de ses obligations ». Si cette critique au vitriol n’est ni sans arrière-pensées politiques, ni vraiment consensuelle en Pologne même, elle reflète le sentiment qui est celui d’une majeure partie de l’Europe centrale à ce moment-là. De même pour les autres propos de M. Morawiecki à l’occasion :« je pense qu’il est bon de s’interroger sur les raisons pour lesquelles l’OTAN n’est pas celle qu’on souhaiterait. Ce n’est pas faute d’un engagement américain, c’est faute d’un manque de réciprocité de la part de certains alliés européens17 ».

Après l’arrivée à la présidence de Joe Biden, qui entraîne une réaffirmation de la relation transatlantique et de la garantie de sécurité américaine, Varsovie favorise d’autant plus l’OTAN ; l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022 et la réaction jugée trop faible de la France et de l’Allemagne en comparaison du Royaume-Uni et de l’Amérique confirme encore ce choix. S’ajoute une intensification des commandes d’armement auprès des Etats-Unis, du Royaume-Uni et surtout de la Corée du Sud, le tout au détriment des coopérations européennes en matière d’industrie de défense. La défaite du PiS et le retour au pouvoir d’une coalition centriste pro-européenne amorcent cependant un tournant, ainsi que nous le soulignons plus loin.

Au-delà de ces évolutions récentes, quelles sont les caractéristiques de la vision polonaise pour l’autonomie stratégique européenne ? Pour Varsovie, cette autonomie passe par « le maintien d’un partenariat stratégique avec les États-Unis et une coopération étroite dans tous les domaines18 », et la reconnaissance par les puissances européennes comme la France et l’Allemagne du fait que la Russie représente d’abord une menace et ne peut être traitée comme un partenaire de sécurité. L’invasion de l’Ukraine aura conforté Varsovie dans l’idée que le soutien à l’intégration euro-atlantique de l’Ukraine et le refus de coopérer avec Moscou sur l’architecture de sécurité européenne sont « les conditions essentielles » de l’autonomie stratégique européenne – ce qui ne signifie donc là encore pas d’hostilité de principe envers l’idée d’autonomie stratégique.

La Pologne soutient aussi l’autonomie stratégique ouverte – un concept plus conciliant mis en avant par des personnalités telles que Margrethe Vestager, notamment dans la mesure où il s’agit de développer la sécurité économique (comme l’approvisionnement) du continent, d’y rapatrier des productions industrielles, de favoriser son développement technologique. C’est également le cas en matière de défense où Varsovie soutient le développement de l’industrie nationale19  (ce à quoi l’on peut objecter les commandes massives passées auprès des Etats-Unis et de la Corée du Sud contredisent cette volonté, quoique certains contrats visent à produire sur le sol polonais des équipements sous licence, et donc à tirer vers le haut l’industrie nationale).

Les rares débats polonais sur l’autonomie stratégique se concentrent sur le risque de fragiliser la relation transatlantique. Il est notoire que les dirigeants polonais soupçonnent leurs homologues européens promouvant l’autonomie stratégique européenne de vouloir se distancer des Etats-Unis. Une étude de l’European Council on Foreign Relations de 201920 souligne que la Pologne est alors l’un des quelques Etats membres de l’Union européenne où les diplomates et experts des questions de défense s’inquiètent le plus de voir la question de l’autonomie stratégique européenne être un contentieux, qui minerait une relation transatlantique cruciale pour la politique étrangère et la sécurité de la Pologne. Comme d’autres travaux sur le sujet, l’étude souligne que Pologne estime que l’autonomie européenne devrait se concentrer sur la gestion de crise et la stabilisation post-conflit plutôt que sur des sujets militaires plus ambitieux. Cette vision partagée avec tous les Etats d’Europe centrale étudiés ici procède à la fois d’un fort positionnement pro-américain et d’un scepticisme envers la capacité de l’Europe à être plus crédible au plan militaire. Varsovie n’aurait en outre pas suffisamment confiance envers la dissuasion nucléaire Paris et Londres, doutant de la suffisance de leur arsenal comme de leur volonté d’européaniser leur dissuasion, et s’en remet là aussi au parapluie américain.

La Pologne ne serait prête à soutenir plus d’efforts vers l’autonomie stratégique européenne en matière de défense que dans la mesure où ceux-ci complèteraient l’OTAN, c’est-à-dire tant qu’ils ne déboucheraient pas sur un découplage, des doublons, voire de la « discrimination » européenne au détriment des liens transatlantiques. Sous le gouvernement PiS, Varsovie est soupçonnée de ne fournir d’engagement considérable auprès de la CSP que dans l’optique d’influer sur celle-ci et de s’assurer qu’elle ne contrevienne pas à l’OTAN. Depuis le changement de majorité à la tête du pays fin 2023, l’approche davantage pro-européenne de la Pologne en matière de défense n’empêche pas qu’elle continue de voir en l’OTAN et la protection américaine le fondement de sa politique de défense, au besoin au détriment de la quête d’autonomie stratégique européenne.

Fin 2021, un document émanant du ministère des Affaires étrangères polonais et de la chancellerie du Premier ministre (« Une UE plus forte dans un monde turbulent. Contribution au débat sur le concept d’autonomie stratégique de l’UE21 ») montrait une certaine disposition de Varsovie à l’autonomie stratégique européenne. Fût-ce sous une forme différente de celle promue par la France : celle que défend la Pologne se concentre d’abord sur la souveraineté économique, qui passe notamment par la capacité de résilience face aux crises. Sur les questions de défense, le document avance que« dans le domaine de la PESC/PSDC, l’ambition de l’Union européenne devrait être de rester un acteur international fort qui façonne l’ordre politique et économique multilatéral, tout en améliorant sa résilience face aux menaces extérieures22 ».

Un tel objectif devrait être« assuré en partenariat avec des pays partageant les mêmes idées, en particulier dans le contexte américain/transatlantique, mais aussi avec d’autres pays de l’OTAN et des partenaires tels que l’Australie, le Japon et la Corée du Sud ».Du commerce à l’environnement en passant par la défense, l’accent est mis à de nombreuses reprises sur les valeurs occidentales et l’appartenance à une même communauté que les démocraties alliées aux Etats-Unis. Le document résume ainsi la position polonaise :« l’autonomie de l’UE devrait être fermement ancrée dans la communauté transatlantique élargie et ses valeurs23 ». Loin d’être hostile à l’autonomie stratégique, la Pologne veut que celle-ci se fasse au sein d’un bloc occidental dont la relation avec Washington resterait le pilier sécuritaire.

D’aucuns avancent que la Pologne chercherait un renforcement de l’Europe par un partenariat stratégique avec les Etats-Unis, dans l’idée que le choix résiderait entre la marginalisation de l’Europe et la renaissance de l’Occident24. Une vision qui transparaît dans le document cité à l’instant, et qui se retrouvait encore dans l’annonce au printemps 2023 que la présidence polonaise du Conseil de l’Union européenne se concentrerait sur « un renforcement de la coopération avec les Etats-Unis25 » – une priorité sans doute remise en cause par le retour au pouvoir d’une coalition pro-européenne. Dans ce registre, l’on peut par exemple critiquer l’idée répandue dans le débat stratégique polonais que « nous les Polonais construisons une nouvelle architecture de sécurité pour l’Europe et le monde. Nous ne le faisons ni en coopération avec les Chinois ni dans le cadre de discussions avec Vladimir Poutine26 », ou encore que « nous savons aussi, comme le dit Mateusz Morawiecki, qu’il ne faut pas nous libérer de l’étreinte de l’ours russe pour tomber dans celle du dragon chinois27 ».

Ces affirmations s’inscrivent dans le discours porté par Varsovie à partir de fin 2022, selon lequel la Pologne n’aurait pas cédé à la naïveté d’autres pays européens quant aux relations avec Beijing, et que sa volonté de rapprochement avec des Etats-Unis rivaux de la Chine serait d’autant plus préférable à une voie européenne autonome susceptible de déboucher sur un rapprochement avec les Chinois. Mais elles sont tout aussi fausses, voire malhonnêtes, puisque la Pologne se présentait encore au début de 2022 comme cheffe de fil de relations plus étroites entre l’Europe et la Chine. L’on peut également critiquer la centralité donnée ici à la Pologne dans la construction d’une nouvelle architecture de sécurité européenne et même mondiale : outre qu’elle exagère le poids de la Pologne et son degré réel d’initiative, cette affirmation masque aussi le fait qu’à travers un partenariat renforcé avec Washington, Varsovie fait d’abord primer sa relation bilatérale sur toute dynamique européenne. L’idée que « la Pologne mise sur un partenariat stratégique avec les États-Unis, car ils ne nous ont jamais déçus28 », illustre évidemment une opinion consensuelle en Pologne, selon laquelle non seulement les Etats-Unis n’auraient jamais lâché la Pologne – contrairement par exemple aux Français lors de la Seconde Guerre mondiale puis dans leur politique à l’égard de la Russie de Poutine – et seraient plus fiables du fait de leur engagement présent et de leur puissance. Encore largement majoritaire, cette appréciation de l’engagement américain s’accompagne aujourd’hui d’une certaine prudence.

L’arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement pro-européen a débouché sur un aggiornamento plus profond qu’attendu du tropisme pro-américain polonais. Ainsi que le soulignait en février 2023 le journal polonais de référence Rzeczpospolita, « le gouvernement de Donald Tusk se concentre davantage sur la France et l’Allemagne au détriment des États-Unis29 ». Varsovie s’attelle à réactiver le triangle de Weimar, où Paris et Berlin sont prêtes à la traiter « pour la première fois » en partenaire, et s’oriente davantage vers « la construction d’une politique européenne de défense30 ». Concrètement, le nouveau ministre des Affaires étrangères, Radosław Sikorski, a ainsi déjà soutenu publiquement la proposition de Thierry Breton d’un plan à 100 milliards d’euros pour la défense européenne. Evolution plus significative encore, le gouvernement polonais s’ouvre aux idées émises par la France et l’Allemagne pour réformer en profondeur l’Union européenne, notamment en réduisant le droit de veto au sein du Conseil en contrepartie d’une définition de la majorité qualifiée qui serait plus favorable à la Pologne.

Une révolution copernicienne par rapport aux positions défendues par les précédents gouvernements. Si ce changement reste à prendre forme, la Pologne engage ainsi un tournant radical en faveur de la défense européenne : la relation avec les Etats-Unis et l’engagement dans l’OTAN ne seront certainement pas négligés comme piliers de la politique étrangère et de défense polonaise – et le rapprochement avec la France et l’Allemagne ne doit pas nourrir d’attentes démesurées du côté français, mais le pilier européen sera ainsi renforcé. Outre les convictions pro-européennes de la nouvelle majorité, cette réorientation vers un soutien bien plus prononcé aux projets européens est motivée entre autres par la perspective d’un retour à la Maison Blanche de Donald Trump, voire de l’accession à l’Elysée de Marine Le Pen et d’une poursuite de la montée en puissance de l’extrême-droite allemande.

Mais il est impératif de noter que la Pologne s’inquiète à la fois à court terme de l’affaiblissement du soutien américain à l’Ukraine, et d’une inéluctable poursuite du pivot américain vers l’Asie au détriment de l’Europe dans le cadre de la compétition avec la Chine, même en cas de défaite de Donald Trump. Varsovie intègre ici à la fois les limites déjà tangibles de la protection américaine, et donc le besoin de réduire la dépendance à celle-ci, et l’un des principaux arguments avancés par la France et les autres promoteurs historiques de l’autonomie stratégique européenne en matière de défense, et a minima d’une plus grande affirmation des capacités militaires propres de l’Europe. La visite du Premier ministre Donald Tusk à Paris mi-février 2024 aura également montré un rapprochement sensible des positions polonaises et françaises sur les questions européennes, y compris de défense, et la volonté de relancer le partenariat avec la France. Si M. Tusk a souligné qu’il n’y avait « pas d’alternative au partenariat entre l’Europe, l’OTAN et les États-Unis pour faire face aux risques croissants en matière de sécurité », citant la formule « un pour tous, tous pour un » des Trois Mousquetaires de Dumas, l’ouverture aux positions portées par la France et dans une moindre mesure par l’Allemagne est nette. Là encore, la perspective d’un changement radical de la politique polonaise quant aux projets de défense européenne et d’autonomie stratégique européenne paraît crédible.

2) En Tchéquie et en Slovaquie, des positions prudentes mais ouvertes

Tchéquie

La position de la Tchéquie quant à la défense européenne et l’autonomie stratégique européenne est moins connue que celle de la Pologne, à la fois du fait de son moindre poids au sein de l’UE comme de l’OTAN et d’une plus grande retenue des dirigeants tchèques. Elle se rapproche globalement des positions des autres pays d’Europe centrale et orientale, voire d’Europe du Nord, qu’il s’agisse de l’attachement à l’OTAN et du souci de ne pas nuire à la solidité de cette dernière, d’une plus grande acceptation de l’autonomie stratégique sur les sujets économiques ou technologiques que sur les questions de défense, ou d’un réel intérêt pour les coopérations européennes.

Dans les dernières années avant l’invasion de l’Ukraine, la question de l’autonomie stratégique européenne avait peu d’écho dans le débat public tchèque : celle-ci n’avait qu’une influence indirecte dans le cadre d’un plus consensuel soutien au renforcement de l’influence européenne dans le monde, laquelle ne passe pas nécessairement par davantage d’intégration militaire. Les Tchèques consultés par l’étude de l’ECFR citée plus haut sont alors pessimistes sur les efforts de l’Europe pour atteindre une autonomie stratégique, mais souhaitent que celle-ci progresse au service de l’influence européenne31, qu’il s’agisse de fournir un cadre pour des opérations de gestion de crise, d’entrée en premier ou de stabilisation post-conflit, ou de secteurs ambitieux tels que le cyber et le spatial. L’autonomie stratégique devrait être prioritairement renforcée dans des domaines allant des communications au renseignement en passant par les transports, mais un renforcement de la solidarité en matière de défense ne saurait être du ressort de l’UE : à leurs yeux, l’article 5 de l’OTAN suffit pour atteindre l’autonomie stratégique européenne32.

Durant le mandat du Premier ministre Andrej Babiš, dont le populisme eurosceptique s’accompagne d’un certain pragmatisme et d’une ouverture sur les questions européennes, la Tchéquie montre à plusieurs reprises son intérêt pour l’autonomie stratégique européenne, notamment dans le cadre de ses relations avec la France. En 2019, le ministre des Affaires étrangères tchèque Tomas Petricek déclarait ainsi lors d’une conférence de presse avec son homologue Jean-Yves Le Drian que « l’UE doit pouvoir s’affirmer davantage tout en défendant ses intérêts33 », les deux ministres s’accordant sur la nécessité de renforcer l’autonomie stratégique européenne sur le plan militaire « sans impacter négativement l’OTAN ». MM. Petricek et Le Drian affirmaient également dans une tribune conjointe que la défense européenne avait « franchi des étapes décisives au cours des derniers mois pour renforcer l’autonomie stratégique de l’Europe34 », soulignant la contribution commune de la Tchéquie et de la France, et le fait que les deux pays avaient été « parmi les premiers à rejoindre » la CSP.

Cette ouverture à l’autonomie stratégique se poursuit sous le mandat du Premier ministre Petr Fala, eurosceptique modéré dont le gouvernement de coalition inclut les pro-européens du Parti pirate. Avec cependant des précisions quant à l’attachement de Prague aux libertés économiques d’une part, et aux relations avec les pays proches de l’UE d’autre part. Fin 2022, en pleine présidence tchèque du Conseil de l’Union européenne, le vice-Premier ministre Ivan Bartoš rappelle que c’est l’autonomie stratégique « ouverte » qui doit prévaloir35 – rappelant la position polonaise citée plus haut. Le ministre Petr Očko souligne lui qu’il est « très important pour nous de maintenir des contacts étroits avec les États démocratiques partageant les mêmes idées, comme les États-Unis36 », la position gouvernementale étant que l’autonomie technologique de l’Europe passe, outre un renforcement des capacités stratégiques européennes, par une approche plus assurée à l’endroit des pays tiers et par la coopération avec ses alliés démocratiques. On retrouve là encore des similitudes avec la position polonaise décrite plus haut, l’aspect idéologique se doublant de la prise en compte du coût qu’exigerait le développement de capacités technologiques autonomes dans des domaines tels que les semi-conducteurs, et donc de la nécessité de développer des coopérations avec des pays partageant des valeurs et intérêts communs.

Prague veille en effet à une autonomie stratégique ouverte. Entre autres exemples significatifs, la République tchèque fait partie des douze pays signataires d’un non-paper qui, en décembre 2020, au terme d’une année marquée par les débats sur l’autonomie stratégique à la faveur de la pandémie de Covid-19, réclamait notamment le maintien d’une certaine orthodoxie en matière d’aides publiques ou de concurrence, la préservation du libre-échange et de l’ouverture commerciale, et un« engagement total en faveur d’un système commercial multilatéral fort, dont l’OMC est le cœur et qui inclut une coopération trilatérale entre l’UE, les États-Unis et le Japon37 ». La Tchéquie fait également partie des pays qui ont obtenu que les conclusions du Conseil européen d’octobre 2020, qui avait été déterminant pour faire avancer l’impératif de l’autonomie stratégique au niveau européen, incluent entre autres la phrase suivante : « atteindre l’autonomie stratégique tout en préservant une économie ouverte est un objectif clé de l’Union38 ».

La République tchèque fait également partie des pays s’opposant à l’idée, poussée par Emmanuel Macron au sortir de la Conférence sur l’avenir de l’Europe, d’ouvrir rapidement une réforme des traités européens tout en restant ouverts à une future réforme. Elle co-signe aux côtés d’un tiers des Etats-membres un« non-paper »selon lequel« la modification des traités n’a jamais été l’objectif de la conférence [sur l’avenir de l’Europe]. Ce qui compte, c’est que nous tenions compte des idées et des préoccupations des citoyens. Si nous n’excluons aucune option à ce stade, nous ne soutenons pas les tentatives inconsidérées et prématurées visant à lancer un processus d’une modification des traités39 », et qui constitue une véritable douche froide. Cette prise de position importe pour comprendre la vision qu’a la Tchéquie de la défense européenne et de l’autonomie stratégique, dans la mesure où de larges ambitions en la matière nécessiteraient une révision des traités, ne serait-ce qu’en ce qui concerne la politique étrangère ou l’affirmation de compétences de l’Union européenne relatives à la défense40.

L’autonomie stratégique ne faisait pas partie des grandes priorités de la présidence tchèque du Conseil de l’Union européenne au second semestre 2022, là où elle était largement au cœur de la présidence française. Le fait que ce terme n’apparaisse même pas dans un document officiel sur les priorités de la présidence tchèque du Conseil de l’Union européenne41, et se limite à la question du budget 2023 de l’Union dans la présentation synthétique du Service de recherche du Parlement européen (EPRS) sur les dossiers prioritaires de la présidence tchèque du Conseil de l’UE42, en dit long. A noter cependant que le gouvernement tchèque revendique que « la République tchèque, dans le cadre de sa présidence, a abordé la question des prix de l’énergie et de l’autonomie stratégique de l’Union avec une grande détermination43 », citant aussi des avancées dans le renforcement des capacités de défense. Ce dernier point faisait d’ailleurs partie des cinq priorités de la présidence tchèque du Conseil : outre la cybersécurité, qui fait partie des enjeux évoqués plus haut où la Tchéquie est la plus ouverte aux projets de défense européenne, Prague défendait aussi l’ambition d’un renforcement des capacités industrielles européennes pour réduire les dépendances technologiques du continent dans le domaine de la défense44.

La vision qu’a désormais la Tchéquie de l’autonomie stratégique européenne pourrait largement se résumer par ce discours de Petr Pavel d’octobre 2023 :« ensemble, l’Europe et ses partenaires transatlantiques sont encore en mesure de façonner les règles internationales. Il est indispensable de développer une autonomie stratégique ouverte dans des domaines clés. La dépendance à l’égard de fournisseurs d’énergie, de technologies et de matières premières peu fiables ou hostiles s’est déjà révélée coûteuse. Nous devons avoir pour ambition de nous mettre dans une position où il sera trop douloureux pour nos rivaux de nous faire chanter. À cet effet, nous devrions redoubler d’efforts pour approfondir les accords en matière de commerce et d’investissement, avant tout avec des pays du monde entier partageant les mêmes idées45 ». L’on retrouve ici la confirmation de la quête d’autonomie stratégique ouverte, mettant l’accent sur quelques domaines clés et sur la coopération transatlantique.

Dans les jours précédant sa prise de fonction en mars 2023, le nouveau président tchèque Petr Pavel avait annoncé qu’Emmanuel Macron ne s’inscrivait plus dans l’idée d’une armée européenne et s’accordait désormais à celle d’une défense européenne basée sur le pilier européen de l’OTAN, M. Pavel saluant dans cette clarification un « changement raisonnable46 » qu’il applaudissait. L’ancien chef du comité militaire de l’OTAN a affirmé à cette occasion que « la défense européenne ne consiste pas à déclarer que nous avons une armée européenne ou une armée de l’UE47 », clarifiant encore la position tchèque en la matière. L’on peut rappeler ici que l’idée d’une armée européenne avait été défendue officiellement par un dirigeant tchèque quelques années auparavant : en se basant sur les enseignements de la crise migratoire et la nécessité de mieux protéger les frontières internes et externes de l’UE, le Premier ministre social-démocrate Bohuslav Sobotka avait en effet déclaré en 2016 qu’une armée européenne serait indispensable sur le long terme48, soulignant qu’une telle armée commune ne nuirait pas à l’OTAN et lui serait au contraire complémentaire.

S’il ne souhaite pas une armée européenne ou n’y croit pas, le président Pavel estime que l’Europe doit se doter de « facilitateurs stratégiques », tels que les connexions de transport, la logistique, la communication (dont la communication satellitaire citée plus haut), ou le renseignement, pour qu’elle soit capable de conduire des opérations de grande envergure sans dépendre du soutien américain. Constatant que l’Europe dispose du minimum de toutes ces capacités, Petr Pavel estime que sans elles, « la défense européenne n’ira nulle part49 ».

Dans un autre domaine, celui des munitions, Prague s’est évidemment distinguée à travers son initiative de février 2024 : le gouvernement tchèque avait déclaré avoir trouvé 800 000 obus de 122 et 155 mm, et reçu le soutien de 17 pays (dont la France) pour financer leur acquisition. Cruciale pour le soutien à une Ukraine qui manque de munitions face à la guerre d’usure que lui inflige la Russie, l’initiative tchèque a été largement saluée à l’international.« L’heure de gloire de la Tchéquie. Les munitions pour l’Ukraine sont la meilleure chose qui nous soit arrivée en vingt ans50 », pouvait même titrer l’un des principaux médias d’actualité du pays. Illustrant la capacité de la République tchèque à faire ponctuellement preuve de leadership au sein de l’UE et de l’OTAN en entraînant ses alliés sur des sujets précis et concrets, la coalition bâtie par Prague pour acquérir des centaines de milliers d’obus dont les Ukrainiens ont cruellement besoin a aussi entraîné une nouveauté dans le soutien de la France à l’Ukraine. Paris a en effet accepté de participer51 au financement par une coalition essentiellement européenne (dont le Canada était le seul membre non-européen) d’armements hors de l’Union européenne, rompant avec son insistance à ne financer que du« made in Europe »dans une logique d’autonomie et de souveraineté.

A noter, enfin, cette déclaration du président tchèque de l’automne 2023, qui montre à quel point l’attachement d’un pays comme la Tchéquie à la garantie de sécurité américaine et à l’OTAN comme pilier de la politique de défense n’est pas incompatible avec la quête d’autonomie stratégique européenne en matière de défense. Pour Petr Pavel,« le rôle dominant de l’OTAN en tant que fournisseur de sécurité ne doit plus signifier que l’Europe néglige ses obligations en matière de défense52 ». Au-delà de ce rappel classique, le président tchèque avance que« la réduction de la dépendance à l’égard des États-Unis et le développement de catalyseurs stratégiques européens doivent être considérés comme notre contribution à notre partenariat transatlantique53 », illustrant à la fois la vision tchèque et celle d’autres pays d’Europe centrale au sujet de la compatibilité entre le primat atlantiste d’une part, et l’ouverture à la défense européenne et à l’autonomie stratégique européenne d’autre part.

Slovaquie

La Slovaquie présente une position complexe quant à la défense européenne et à l’autonomie stratégique européenne. Comme ses voisins tchèque et polonais, elle est favorable à une autonomie stratégique ouverte, ainsi qu’aux coopérations militaires européennes tout en considérant l’OTAN comme le fondement de sa défense, et reste sceptique quant à la capacité des Européens à réduire sensiblement leur dépendance à la protection américaine en substituant à celle-ci des capacités autonomes. Elle se distingue cependant par un prisme atlantiste moins prononcé, dû aussi bien à la présence d’un courant pro-russe et anti-OTAN bien plus marginal dans les deux pays précités, qu’à une vision parfois différente de la défense européenne au sein des élites europhiles. Bratislava s’ouvre ainsi à un certain degré d’ambition pour la défense et l’autonomie stratégique européennes, au point que comme la Hongrie décrite ci-dessous, elle est parfois décrite comme une exception parmi les pays d’Europe centrale et orientale en ce qui concerne les relations UE-OTAN et les projets pour une défense européenne.

Il convient d’abord de rappeler que la Slovaquie se distingue des trois autres pays étudiés par le fait qu’elle ait rejoint l’OTAN plus tardivement, pour les raisons évoquées précédemment (courants anti-atlantistes voire anti-européens, comportements jugés inacceptables envers des pays alliés…). Alors que pour la Pologne, la République tchèque et la Hongrie, l’entrée dans l’Alliance atlantique en 1999 a précédé l’entrée dans l’Union européenne, la Slovaquie a rejoint les deux organisations la même année (2004). Ceci peut en partie jouer dans la vision qu’a Bratislava des coopérations militaires européennes par rapport à l’OTAN, par rapport à ses trois voisins qui avaient développé des coopérations au sein de l’OTAN avant leur entrée dans l’UE.

En Slovaquie, les débats sur l’autonomie stratégique européenne sont limités comme en Tchéquie voisine. Cependant, la question des coopérations européennes en matière de défense n’est pas négligée. Bratislava aborde d’abord l’autonomie stratégique européenne sous l’angle initial de la conduite d’opérations : comme leurs homologues tchèques, les responsables slovaques interrogés par l’ECFR estiment que l’autonomie stratégique européenne devrait se concentrer sur la gestion de crises, les opérations de stabilisation post-conflits et la capacité à intervenir dans son voisinage, en particulier dans les Balkans occidentaux et en Europe orientale54. Comme d’autres pays européens, la Slovaquie est plus favorable à une quête d’autonomie stratégique dans des domaines civils allant de la politique étrangère à la sécurité ; elle accorde de l’attention aux enjeux scientifiques et technologiques sur lesquels l’UE devrait accentuer ses efforts. Selon l’ECFR, si les dirigeants slovaques ne s’inquiètent pas particulièrement du risque qu’une autonomie stratégique accrue de l’Europe puisse froisser l’allié américain – ce but rejoignant les appels américains à un plus grand partage du fardeau militaire, ils s’inquiètent à l’idée que favoriser davantage les équipements militaires européens dans les acquisitions puisse accroître le coût de celles-ci. L’on peut cependant observer que depuis la publication de l’étude de l’ECFR, la Slovaquie a effectué des commandes d’ampleur auprès de l’industrie européenne, comme détaillé plus haut, ainsi qu’auprès de sa propre industrie s’agissant des obusiers automoteurs Zuzana 2.

Les dirigeants slovaques semblent largement en phase avec leurs homologues tchèques quant à l’idée d’une autonomie stratégique « ouverte », partageant le même souci d’éviter une dérive protectionniste et de préserver à la fois une politique économique libérale et des liens étroits avec les autres démocraties libérales. Ce qui exclut là aussi que l’autonomie stratégique évolue de manière globale en un repli autarcique et une prise de distance avec les Etats-Unis, y compris en matière de défense. Du moins était-ce le cas jusqu’au retour au pouvoir de Robert Fico, la situation étant depuis toujours floue. Allant plus loin sur ce sujet que sa voisine tchèque, la Slovaquie était par exemple signataire d’un non-paper où cinq Etats-membres avançaient que « la responsabilité d’être le fer de lance de l’autonomie stratégique ouverte de l’Union devrait être explicitement incluse dans le portefeuille d’un vice-président exécutif55 ».

En ce qui concerne les réformes jugées indispensables à l’affirmation d’une vraie politique étrangère de l’UE, la Slovaquie avait participé56 aux débats sur un recours accrus au vote à la majorité qualifiée pour les décisions de politique étrangère et de défense, suscités entre autres par la déclaration de Meseberg où la France et l’Allemagne appelaient à « étudier les possibilités de recourir au vote à la majorité en matière de politique étrangère et de sécurité commune, dans le cadre d’un débat plus large sur le recours au vote à la majorité dans les politiques de l’UE57 ». Si elle fait partie, comme la République tchèque, du tiers des Etats membres qui s’opposent à une réforme rapide des traités au sortir de la Conférence sur le futur de l’Europe en mai 202258, la Slovaquie semble faire partie des pays les plus ouverts à une réforme de l’usage du vote à la majorité qualifiée en manière de PESC59.

De manière globale, la Slovaquie affichait des positions plus tranchées que celles de la Tchéquie au sujet de l’autonomie stratégique européenne en matière de politique étrangère et de défense. Dans son document officiel de politique étrangère et européenne de 2020, intitulé « La Slovaquie dans un monde instable », Bratislava résume clairement sa position : « dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) de l’UE, nous soutenons le renforcement des capacités et l’approfondissement de la coopération et des efforts afin de renforcer la capacité d’action de l’UE, son autonomie stratégique et son aptitude à coopérer avec ses partenaires, tout en maintenant l’OTAN en tant que pilier essentiel de notre sécurité et de notre défense collective60 ». Le document souligne aussi la centralité de la PESCO et la participation de la Slovaquie au projet, ainsi que le « soutien à la compétitivité et à l’innovation dans l’industrie de défense slovaque61 » à travers le programme européen de développement industriel dans le domaine de la défense (EDIDP) et le futur Fonds européen de défense. Les partenariats bilatéraux et les alliances de la Slovaquie « découlent de son appartenance à l’UE et à l’OTAN62 », et outre les liens entretenus avec les pays voisins, Bratislava met en avant l’importance de « la mise en œuvre de partenariats stratégiques avec l’Allemagne et la France63 ».

Le fait que les Etats-Unis « continuent à jouer un rôle irremplaçable pour assurer la sécurité de l’Europe, y compris de la Slovaquie64 », illustrant un double ancrage classique parmi les autres pays d’Europe centrale où la garantie de sécurité américaine reste incontournable. Les élections législatives de 2020 avaient ainsi montré la persistance d’un large consensus atlantiste sur les questions de défense, malgré une ouverture aux coopérations européennes65. La victoire aux élections de 2023 de Robert Fico et le retour au pouvoir de ce dernier à la tête d’une coalition ouvertement prorusse et critique du soutien affiché par l’Union européenne et l’OTAN à l’Ukraine rebat évidemment les cartes.

Cependant, comme détaillé plus haut, la politique conduite par le gouvernement slovaque n’est pas toujours fidèle à la rhétorique de son dirigeant. Si Robert Fico peut continuer de déclarer par exemple que l’Ukraine devrait céder des territoires à la Russie pour mettre fin à la guerre66 ou critiquer régulièrement la stratégie occidentale de soutien aux Ukrainiens, son gouvernement continue de vendre des armes à l’Ukraine et s’est engagé à soutenir l’aide financière européenne à cette dernière67. Alors que l’on pouvait s’attendre à une forme d’ostracisation de Bratislava au sein de l’OTAN, le Secrétaire d’Etat à la Défense américain Lloyd Austin louait encore au printemps 2024 le renforcement des relations militaires avec la Slovaquie, que son homologue slovaque s’est engagé à poursuivre68. Il est donc encore trop tôt pour évaluer dans quelle mesure la coalition populiste au pouvoir en Slovaquie depuis l’automne 2023 pourrait faire évaluer la position du pays quant à l’autonomie stratégique, la défense européenne et les relations UE-OTAN.

3) La Hongrie, entre proximité avec les positions des pays voisins et isolement

La vision qu’a la Hongrie de l’autonomie stratégique européenne est souvent réputée plus ouverte que celle des autres pays d’Europe centrale, mais reste à nuancer. Fin 2021, lors d’une conférence de presse conjointe avec le Président français Emmanuel Macron, le Premier ministre Viktor Orbán avait souligné la nécessité pour l’Europe d’une « autonomie stratégique » incluant la défense, et affiché son soutien à « la politique de défense européenne commune, l’énergie nucléaire et un secteur agricole européen fort69 ». A l’occasion d’une audition par la Commission des Affaires étrangères du Sénat français en juin 2023, le ministre hongrois des Affaires étrangères Péter Szijjártó avait appuyé encore cette position en affirmant que« la France et la Hongrie sont d’accord pour dire que l’Europe a besoin d’une certaine forme d’autonomie stratégique et de la capacité de prendre ses propres décisions et de faire respecter ses propres intérêts », ajoutant que si l’Europe« suit constamment les autres acteurs politiques mondiaux, elle sera perdante70 ». Budapest se distingue donc en Europe centrale par un soutien déclaré à l’autonomie stratégique européenne promue par la France.

A notre sens, ces effets d’annonce pourraient viser à se concilier les faveurs de Paris alors que les deux capitales s’opposent frontalement sur des sujets allant de la mise en œuvre de chantiers concrets tels que les budgets européens et des coopérations sectorielles, à leur vision même de la construction européenne ou des valeurs fondamentales de l’Europe. Cette ouverture de la part de la Hongrie peut à l’inverse être contre-productive pour les ambitions défendues par la France : d’une part du fait de l’isolement et de l’image dégradée de Budapest auprès de ses partenaires européens, et d’autre part parce que cette improbable association peut nuire à l’idée même d’autonomie stratégique européenne portée par Paris. La vision hongroise de cette autonomie stratégique diffère en de nombreux points de la vision française, du fait des profondes divergences entre les deux capitales : outre des valeurs politiques différentes, s’oppose la conception française d’une Europe-puissance capable de mieux peser face aux géants américain, chinois et même russe, et la conception hongroise d’une Europe moins intégrée qui ne doit pas tendre vers un super-Etat ou une fédération.

Or, l’idée d’autonomie stratégique européenne telle que promue par la Hongrie fait la part belle au souhait d’une Europe se rapprochant de la Russie et de la Chine – comme le fait la Hongrie à son niveau, au détriment des relations transatlantiques, de l’ordre international libéral et de la solidarité des démocraties face à la montée de puissances autoritaires révisionnistes. Le soutien verbal de Budapest à l’autonomie stratégique européenne défendue par la France risque de renforcer les soupçons envers cette dernière, accusée de chercher à travers l’autonomie européenne un éloignement des Etats-Unis pour retisser des liens avec la Russie et la Chine. Des soupçons déjà renforcés par la volonté d’Emmanuel Macron d’être, durant les premiers mois de la guerre d’Ukraine, un médiateur avec la Russie dans la logique d’une France « puissance d’équilibre », puis par les propos du Président français lors d’une visite en Chine début 2023. L’on peut cependant rappeler d’une part que Paris a moins cherché à entretenir de liens profonds avec Beijing que les pays d’Europe centrale au cours des dernières années, privilégiant en Indo-pacifique des partenaires plutôt rivaux de la Chine, et d’autre part que la France clarifie sa position sur la guerre d’Ukraine avec un soutien accru à Kiev et un durcissement de son ton envers Moscou. De quoi atténuer le risque que le soutien hongrois à l’autonomie stratégique européenne nuise à l’esprit de cette dernière. Et ce d’autant que l’écart entre la vision pour l’Europe du gouvernement français et celle du gouvernement hongrois restent trop opposées pour laisser de la place au soupçon.

Comme le résumait l’étude de l’ECFR de 2019 (antérieure donc aux déclarations de M. Orbán puis de son ministre en faveur de l’autonomie stratégique européenne), « la nature de l’attitude de la Hongrie à l’égard de [l’autonomie stratégique européenne] dépendra de l’évaluation de son impact sur la souveraineté nationale71 ». Du fait de son opposition parfois frontale au renforcement de l’intégration européenne, le gouvernement nationaliste hongrois n’aborde pas la question de l’autonomie stratégique européenne dans ses documents officiels72 tels que des livres blancs, quoique les déclarations politiques citées plus haut aient une certaine portée. Mais il considère que la défense est un domaine où il est « facile de jouer le rôle d’un partenaire constructif73 » pour un coût politique limité, à la différence d’autres sujets où il est contraint par son agenda populiste et eurosceptique. Budapest considère l’OTAN comme son premier protecteur, mais garde à l’esprit que les Etats-Unis se tournent vers d’autres régions du monde. La Hongrie préfère une autonomie stratégique européenne peu ambitieuse, à la fois en ce qui concerne le périmètre d’action – qui ne devrait pas dépasser le voisinage européen – et les sujets traités – qui se concentreraient sur la gestion de crise, voire la cybersécurité. Budapest estime que l’UE ne saurait ni ne devrait rivaliser avec les Etats-Unis en matière de défense, considérant entre autres comme Varsovie et Bratislava que la dissuasion nucléaire est au-delà des sujets que devrait couvrir l’autonomie stratégique européenne, et s’ouvre davantage à l’autonomie sur des sujets civils.

Dans la pratique, la Hongrie conserve cependant des attitudes de blocage jusque que sur la mise en œuvre de l’autonomie stratégique sur des sujets économiques : ainsi de l’approfondissement de ses liens économiques et industriels avec la Chine au détriment de la quête de« de-risking »vis-à-vis de Beijing. Sur le plan militaire pourtant, la Hongrie se distingue de ses voisins d’Europe centrale par un moindre recours à l’industrie de défense américaine pour ses grands programmes d’armement où elle favorise davantage des fournisseurs européens, ainsi que nous le montrons plus haut : quoique ses voisins tchèques et slovaques aient récemment passé des commandes significatives à d’autres pays européens, le contraste avec une Pologne multipliant les contrats d’ampleur avec les Etats-Unis et la Corée du Sud est frappant. Mais l’on peut avancer que la Hongrie, qui se tourne aussi vers la Turquie ou Israël pour des équipements qu’elle pourrait acquérir via des solutions européennes, se tourne aussi moins vers les Etats-Unis pour les mêmes raisons qui l’isolent en Europe et qui ne sont pas reproductibles dans des pays comme la Pologne : réduire sa dépendance à l’égard de Washington l’aide à être moins contrainte à la solidarité transatlantique alors qu’elle s’en écarte de plus en plus ouvertement par sa politique étrangère envers la Russie et la Chine, et surtout son attitude envers l’Ukraine. Comme relevé plus haut, Budapest en est aussi arrivée au point de se voir bloquer l’accès à des armements américains tels que les HIMARS.

Avec le renforcement des capacités européennes de gestion de crise, notamment au sud de l’Europe, le renforcement de la base industrielle et technologique de défense européenne est le principal aspect militaire de l’autonomie stratégique européenne que soutient la Hongrie. Outre le recours à des fournisseurs européens, la Hongrie développe sa propre industrie en partie via des coopérations européennes et une « régionalisation de l’Europe centrale74 » en la matière. Mais elle est on l’a dit sceptique envers les autres aspects militaires de l’autonomie stratégique européenne, et s’oppose aux réformes institutionnelles qui favoriseraient celle-ci, telle que le passage au vote à la majorité qualifiée au Conseil européen pour la PSDC75, bien que sa position vis-à-vis de l’autonomie stratégique européenne puisse être qualifiée de « PSDC renforcée76 ». Considérant l’OTAN comme la pierre angulaire de sa défense, la Hongrie ne voit, comme les autres pays d’Europe centrale étudiés ici, le rôle potentiel de l’UE que de manière complémentaire ; si elle soutient on la dit le développement de la BITD européenne et de capacités d’intervention et de gestion de crise, la Hongrie montre son scepticisme envers l’émergence d’une véritable autonomie stratégique européenne à travers son attitude envers le soutien européen à l’Ukraine, où elle freine voire bloque toute ambition supplémentaire de la part de l’Union européenne.

Vers un tournant de l’Europe centrale pour une défense européenne plus ambitieuse

Ce qui précède montre à quel point il convient de nuancer l’idée d’une hostilité de principe, voire d’une simple méfiance, des pays d’Europe centrale envers l’aspiration à l’autonomie stratégique européenne, et envers les différents projets de défense européenne. Les positions officielles de la Pologne, de la République tchèque, de la Slovaquie et de la Hongrie indiquent en effet une position plus nuancée qu’on ne le dit généralement, tout comme leurs réalisations concrètes. Le réexamen de leurs positions passées apporte même quelques surprises, notamment dans le cas polonais ; les prochains mois et années pourraient en apporter d’autres.

L’année 2022 avait signifié pour beaucoup une « mort cérébrale » des projets d’autonomie stratégique européenne et de défense européenne ambitieuse. Du fait de l’invasion russe de l’Ukraine, du soutien incontournable des Etats-Unis à la résistance ukrainienne, et de l’attitude jugée décevante de Berlin et surtout de Paris, dont le discours en faveur d’une défense européenne plus autonome avait été fortement décrédibilisé par la volonté du Président français de faire jouer à son pays un rôle médiateur de « puissance d’équilibre ». Ce constat clinique était d’autant plus valable pour les pays d’Europe centrale et orientale, qui se voyaient à la fois confortés dans leur préférence atlantiste, dans leur méfiance envers les projets d’une défense européenne alternative à l’OTAN voire concurrente envers celle-ci, et dans leur capacité à exercer un nouveau leadership fût-ce au détriment de celui des pays d’Europe de l’Ouest à commencer par la France.

La situation a fortement évolué. Du fait notamment des limites déjà tangibles de la protection américaine, entre blocage des nouvelles aides à l’Ukraine par le Congrès et perspectives de réélection d’un Donald Trump plus que jamais susceptible de sacrifier la solidarité transatlantique, et de l’évidence que l’Europe doit faire beaucoup plus par elle-même pour éviter la défaite de l’Ukraine et assurer sa propre défense. Les projets de défense européenne ambitieuse et d’autonomie stratégique européenne deviennent ainsi bien plus audibles, notamment parmi les pays d’Europe centrale et orientale. A cette convergence stratégique croissante s’ajoutent le rapprochement, décrit plus haut, de la Pologne avec les positions françaises voire allemandes sur les questions de défense européenne, et le rapprochement de la France avec les positions des pays de la plupart des pays d’Europe centrale et orientale face à la menace russe, le rapprochement ayant accéléré de manière spectaculaire au printemps 2024.

La perspective d’un tournant des pays d’Europe centrale étudiés (a minimade la Pologne et de la Tchéquie) en faveur d’une défense européenne plus ambitieuse et d’une autonomie renforcée de l’Europe en la matière devient ainsi plus crédible que jamais. C’est dans ce contexte que pourrait se construire le nouveau leadership militaire des pays d’Europe centrale au sein de l’OTAN comme de l’UE.

Aurélien Duchêne

Sources :

1 L’autonomie stratégique, cet obscur objet de désir, p. 3. https://www.iris-france.org/wp-content/uploads/2021/10/Analyse-13-Autonomie-strate%CC%81gique-obscur-objet-du-de%CC%81sir-FR-Octobre-2021.pdf

2 Ibid., p. 4.

3 Mehr Fortschritt wagen. Bündnis für Freiheit, Gerechtigkeit und Nachhaltigkeit. Koalitionsvertrag zwischen SPD, Bündnis 90/Die Grünen und FDP, p. 6. https://www.spd.de/fileadmin/Dokumente/Koalitionsvertrag/Koalitionsvertrag_2021-2025.pdf

4 Ibid., p. 104.

5 https://www.ft.com/content/603c955a-6d06-11db-9a4d-0000779e2340

6 https://wiadomosci.gazeta.pl/wiadomosci/7,114873,3716289.html

7 https://www.bruxelles2.eu/en/2009/01/lepresidentdupisforanarmyandapresidentofthestrongue/

8 https://www.eubusiness.com/news-eu/poland-politics.c3t/

9 https://www.dw.com/en/polands-influential-pis-party-leader-jaroslaw-kaczynski-calls-for-eu-reform/a-37435599

10 https://www.dw.com/en/poland-wants-nuclear-weapons-for-europe/a-37449773

11 À l’Est, quoi de nouveau ? Les enjeux de défense européenne vus par les pays d’Europe de l’Est, https://www.jean-jaures.org/publication/a-lest-quoi-de-nouveau-les-enjeux-de-defense-europeenne-vus-par-les-pays-deurope-de-lest/?post_id=49994&export_pdf=1, p. 5.

12 Hélène Masson, « European Defence Fund. EDF 2022 calls results and comparison with EDF 2021 », 17 juillet 2023. https://www.frstrategie.org/sites/default/files/documents/specifique/2023/EDF2022-2021-STATS.pdf

13 « Défense européenne : le défi de l’autonomie stratégique », Rapport d’information n°626 du Sénat, au nom de la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, 03/07/2019, p. 80.

14 https://www.euractiv.fr/section/politique/opinion/la-pologne-joue-un-double-jeu-dans-la-defense/

15 https://www.opex360.com/2019/11/12/pour-le-premier-ministre-polonais-les-propos-de-m-macron-sur-lotan-sont-dangereux/

16 Ibid.

17 Ibid.

18 Giedrius Česnakas and Justinas Juozaitis (dir.), European Strategic Autonomy and Small States’ Security. In the Shadow of Power, p. 74.

19 Ibid., p. 75.

20 https://ecfr.eu/wp-content/uploads/Independence-play-Europes-pursuit-of-strategic-autonomy.pdf

21 « Stronger EU in a turbulent world. Contribution to the discussion on the concept of EU strategic autonomy ».

22 Ibid., p. 5.

23 Ibid., p. 1.

24 https://www.lopinion.fr/international/les-polonais-proposent-un-renforcement-de-leurope-par-un-partenariat-strategique-avec-les-etats-unis-la-tribune-de-eryk-mistewicz

25 https://www.president.pl/news/polands-eu-presidency-to-focus-on-tightening-cooperation-with-us-president-says,67944

26 https://www.lopinion.fr/international/les-polonais-proposent-un-renforcement-de-leurope-par-un-partenariat-strategique-avec-les-etats-unis-la-tribune-de-eryk-mistewicz

27 https://www.lopinion.fr/international/les-polonais-proposent-un-renforcement-de-leurope-par-un-partenariat-strategique-avec-les-etats-unis-la-tribune-de-eryk-mistewicz

28 Ibid.

29 https://www.rp.pl/dyplomacja/art39794971-rzad-donalda-tuska-stawia-mocniej-na-francje-i-niemcy-kosztem-usa

30 Ibid.

31 https://ecfr.eu/wp-content/uploads/Independence-play-Europes-pursuit-of-strategic-autonomy.pdf, p. 37.

32 Ibid., p. 37.

33 https://www.euractiv.com/section/politics/news/germanys-grand-coalition-to-continue-for-now-in-fragile-modus-vivendi/

34 https://cz.ambafrance.org/Tribune-conjointe-de-Jean-Yves-Le-Drian-et-Tomas-Petricek-ministres-francais-et

35 https://www.euractiv.fr/section/economie/news/lautonomie-strategique-europeenne-nest-pas-un-protectionisme-selon-un-ministre-tcheque/

36 Ibid.

37 Éric Van den Abeele, « Towards a new paradigm in open strategic autonomy? », ETUI Research Paper – Working Paper 2021.03, p. 20., https://www.etui.org/sites/default/files/2021-06/Towards%20a%20new%20paradigm%20in%20open%20strategic%20autonomy_2021.pdf

38 Ibid., p. 16.

39 https://www.movimentoeuropeo.it/images/Documenti/Non_-paper_9.5.2022.pdf

40 « Non-paper by Bulgaria, the Czech Republic, Denmark, Estonia, Finland, Latvia, Lithuania, Slovenia, and Sweden on the outcome of and follow-up to the Conference on the Future of Europe », https://www.movimentoeuropeo.it/images/Documenti/Non_-paper_9.5.2022.pdf.

41 https://www.consilium.europa.eu/media/57090/2022-jul-dec-cz-priorities.pdf

42 https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/BRIE/2022/733572/EPRS_BRI(2022)733572_EN.pdf

43 https://vlada.gov.cz/en/media-centrum/aktualne/czech-presidency-of-the-council-of-the-eu-ends–government-presents-achievements-203545/

44 https://www.consilium.europa.eu/media/57090/2022-jul-dec-cz-priorities.pdf

45 https://www.hrad.cz/en/president-of-the-cr/current-president-of-the-cr/public-addresses-and-interviews/the-speech-of-the-president-of-the-czech-republic-at-the-occasion-of-the-opening-ceremony-of-the-academic-year-in-the-concert-hall-tzand-bruges-17386

46 https://www.euractiv.fr/section/politique/news/emmanuel-macron-ne-songe-plus-a-une-armee-europeenne-assure-le-president-tcheque/

47 « Non-paper by Bulgaria, the Czech Republic, Denmark, Estonia, Finland, Latvia, Lithuania, Slovenia, and Sweden on the outcome of and follow-up to the Conference on the Future of Europe », https://www.movimentoeuropeo.it/images/Documenti/Non_-paper_9.5.2022.pdf.

48 https://english.radio.cz/prime-minister-sobotka-calls-creation-eu-army-complement-nato-8216399

49 « Non-paper by Bulgaria, the Czech Republic, Denmark, Estonia, Finland, Latvia, Lithuania, Slovenia, and Sweden on the outcome of and follow-up to the Conference on the Future of Europe », https://www.movimentoeuropeo.it/images/Documenti/Non_-paper_9.5.2022.pdf.

50 https://nazory.aktualne.cz/nejhvezdnejsi-hodina-munice-pro-ukrajinu-je-to-nejlepsi-co-s/r~37c5b558dbc411eebf960cc47ab5f122/?utm_source=Aktu%C3%A1ln%C4%9B.cz&utm_medium=email&utm_campaign=Aktu%C3%A1ln%C4%9B.cz%20-%20Denn%C3%AD%20p%C5%99ehled%20-%207.%203.%202024

51 https://www.lesechos.fr/monde/europe/la-france-contribuera-a-lachat-de-munitions-hors-deurope-pour-lukraine-2080674

52 https://www.politico.eu/article/europe-reduce-defense-reliance-us-nato-czech-president-petr-pavel/

53 Ibid.

54 https://ecfr.eu/wp-content/uploads/Independence-play-Europes-pursuit-of-strategic-autonomy.pdf, p. 72.

55 « Joint Non-paper on Open Strategic Autonomy of the EU Belgium, Finland, the Netherlands, Portugal and Slovakia », https://www.tweedekamer.nl/downloads/document?id=2023D33433.

56 https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/STUD/2022/739139/IPOL_STU(2022)739139_EN.pdf, p. 12.

57 https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2018/06/19/declaration-de-meseberg-renouveler-les-promesses-de-l-europe-en-matiere-de-securite-et-de-prosperite

58 https://www.movimentoeuropeo.it/images/Documenti/Non_-paper_9.5.2022.pdf

59 https://static1.squarespace.com/static/604251cac817d1235cbfe98d/t/639e48315016db44c698eb42/1671317555196/ENGAGE+Working+Paper+16_Analysing+Political+Acceptability+of+Reforms+Among+National+Policymakers.pdf, p. 44

60 https://www.mzv.sk/documents/30297/4238317/Foreign+and+European+Policy+of+the+Slovak+Republic+in+2020+%28unoffcial+translation%29.pdf

61 Ibid.

62 Ibid.

63 Ibid.

64 Ibid.

65 https://euractiv.sk/wp-content/uploads/sites/8/2020/02/NATO_Analysis_Election_2020.pdf.

66 https://www.politico.eu/article/slovakia-prime-minister-robert-fico-ukraine-cede-territory-russia-moscow-invasion-nato-entry/

67 https://www.lemonde.fr/international/article/2024/01/29/en-slovaquie-le-double-langage-de-robert-fico-sur-l-ukraine_6213723_3210.html

68 https://www.defense.gov/News/News-Stories/Article/Article/3693017/austin-lauds-military-ties-between-us-slovakia/

69 https://www.euronews.com/2021/12/14/us-hungary-france-orban

70 https://abouthungary.hu/news-in-brief/fm-europe-needs-strategic-autonomy

71 https://ecfr.eu/wp-content/uploads/Independence-play-Europes-pursuit-of-strategic-autonomy.pdf

72 Giedrius Česnakas and Justinas Juozaitis (dir.), European Strategic Autonomy and Small States’ Security. In the Shadow of Power, p. 192.

73 https://ecfr.eu/wp-content/uploads/Independence-play-Europes-pursuit-of-strategic-autonomy.pdf

74 Giedrius Česnakas and Justinas Juozaitis (dir.), European Strategic Autonomy and Small States’ Security. In the Shadow of Power, p. 192.

75 Giedrius Česnakas and Justinas Juozaitis (dir.), European Strategic Autonomy and Small States’ Security. In the Shadow of Power, p. 213.

76 Giedrius Česnakas and Justinas Juozaitis (dir.), European Strategic Autonomy and Small States’ Security. In the Shadow of Power, p. 192.

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