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L’influence chinoise en Serbie: un danger pour l’Union Européenne?

En mars dernier, au début de la crise de Covid-19 en Serbie, le Président serbe Aleksandar Vučić n’a pas hésité à affirmer que son « frère et ami », le Président chinois Xi Jinping, était le seul capable d’aider la nation serbe face aux défaillances de la solidarité européenne. Par ces termes, Aleksandar Vučić a affiché au grand jour sa volonté de se rapprocher de la puissance chinoise mais aussi son euroscepticisme. Ainsi, l’Union Européenne ne ferait plus figure d’organisation modèle et la Chine se montrerait garante de la sécurité et de la prospérité économique du pays. 

La Serbie est un pays stratégique pour la Chine qui espère atteindre le marché européen, d’où les nombreux investissements permettant de mettre en œuvre ses « Nouvelles Routes de la Soie » tout en modernisant la Serbie. Mais cette nouvelle relation met à mal les liens que cette nation slave a tissés avec l’Union Européenne au cours des deux dernières décennies que cela soit à travers des investissements massifs ou un rôle diplomatique actif dans le dialogue Serbie-Kosovo, indispensable pour la stabilité de la région. Chahutée en Serbie, l’UE ne peut pourtant pas laisser ce pays devenir la porte d’entrée de la Chine en Europe et doit donc s’imposer à nouveau comme un véritable pilier à Belgrade et partout ailleurs dans les Balkans occidentaux.

Un accroissement des liens politiques et diplomatiques

Le bombardement de l’ambassade chinoise à Belgrade par l’OTAN en 1999 a tissé un lien historique entre deux pays pourtant éloignés. Il en a résulté une bienveillance mutuelle qui a très probablement joué son rôle dans l’accroissement des relations diplomatiques à partir des années 2010. La Chine a ainsi pu mettre en place de nombreux partenariats avec la Serbie, se présentant comme une puissance protectrice et tournée vers l’avenir. 

Aujourd’hui, on peut en effet considérer la Serbie comme la nation balkanique ayant signé les accords bilatéraux les plus aboutis avec la Chine. Elle est la seule notamment à posséder un accord militaire depuis 2009 engageant mutuellement les deux pays à défendre l’intégrité territoriale de son allié. En guise d’application concrète, la Chine a récemment livré du matériel militaire à la Serbie – une première en Europe – dont neuf drones armés Wing Loong

Le renforcement de ces liens diplomatiques se traduit aussi par la participation du pays au format 17+1 mis en place par la Chine et rassemblant les pays d’Europe Centrale et de l’Est. L’objectif est ici de mettre en place des accords bilatéraux permettant le développement de la région tout en garantissant le développement des Nouvelles Routes de la Soie chinoise.

Cette bonne entente se traduit également à l’échelle internationale par un soutien indéfectible des deux parties aux positions diplomatiques cruciales de leur allié. Ainsi, le Parti Communiste Chinois n’a pas reconnu le Kosovo et le gouvernement serbe ferme les yeux sur les agissements chinois dans le Xinjiang, malgré le récent émoi international pour le sort des Ouïgours. Il semblerait donc que les deux pays aient mis en place une alliance stratégique forte permettant le développement des relations politiques et diplomatiques, notamment depuis l’arrivée au pouvoir de Vucic qui ne cache pas ses sympathies pour le gouvernement chinois. 

Malgré tout, la Chine emploie également une stratégie sur le long terme pour s’assurer de l’alliance avec la Serbie. De ce fait, le gouvernement chinois a mis en place une stratégie politique ciblée. Ainsi, tous les partis politiques serbes entretiennent une relation formelle ou informelle avec un représentant chinois. Plus concrètement, le département de liaison international du PCC dirigé par Song Tao a établi, lors des sommets 17+1, des forums invitant les représentants de plusieurs partis politiques serbes à dialoguer avec le PCC. Cette stratégie de dialogue entre partis politiques a débuté dès 2009 sous la présidence de Boris Tadić. Grâce à elle, on compte aujourd’hui plusieurs personnalités publiques et Think Tanks serbes promouvant les valeurs chinoises dans le pays. On peut citer par exemple le think tank de l’ancien Ministre des Affaires Étrangères et Président de l’Assemblée générale des Nations Unies Vuk Jeremik: le « Center for International Relations and Sustainable Development ». 

Enfin, la Chine investit massivement dans le renforcement de son soft power en Serbie dans le but de promouvoir ses idéaux et ses valeurs auprès de la population locale. La Chine promeut ainsi sa culture par l’intermédiaire de deux instituts Confucius, l’un à Belgrade, l’autre à Novi Sad, tous deux installés au cours de la présente décennie. Citons également une volonté chinoise de renforcer la coopération académique dans le domaine des technologies, des sciences appliquées et de l’ingénierie. En témoignent les bourses offertes à une centaine d’étudiants serbes pour venir étudier dans ses prestigieuses institutions.

Si la Chine se montre aussi active en Serbie au niveau politique et culturel, il paraît évident que c’est avant tout dans le but d’asseoir son influence dans la région et de mettre ainsi en place les conditions nécessaires à la réalisation de ses propres intérêts économiques en Europe.

Une multiplication des accords économiques et financiers

L’octroi de prêts et les investissements effectués par la Chine sont de véritables opportunités stratégiques pour un pays encore peu développé et en manque d’infrastructures comme la Serbie. D’après l’IRSEM, ces investissements atteindraient 10,3 Milliards de dollars sur la période 2005-2019. Avec cette somme, des travaux importants ont eu lieu, à l’image du pont Mihail Popun inauguré en 2015 ou de la modernisation de centrales thermiques près de Belgrade. Cette « diplomatie des infrastructures » chinoise est extrêmement efficace dans la mesure où elle permet au gouvernement serbe de gagner en popularité tout en bénéficiant d’emprunteurs peu regardant sur les politiques internes mises en œuvre. De fait, la Chine s’est imposée comme un partenaire économique omniprésent de la Serbie aux projets ambitieux. 

La coopération économique se retrouve également à travers la signature de plusieurs accords économiques qui ont permis à la Serbie d’exporter des produits de plus en plus divers à destination de la Chine. La Serbie exporte ainsi du bois, du tabac mais aussi de l’acier ou encore des conducteurs électriques. On estime qu’elle a exporté environ 295 Millions d’euros vers la Chine et qu’elle a importé 2,24 Milliards d’euros de produits chinois en 2019. Ainsi, la balance commerciale est donc largement déficitaire et les bénéfices des relations économiques entre les deux pays sont profondément inégaux, voir dangereux pour la Serbie. 

« Le commerce extérieure de la Serbie en 2019 », Ministère de l’économie, des finances et de la relance, Direction générale du Trésor (2020).

Autre indicateur économique de première importance, les investissements directs chinois. Ceux-ci sont particulièrement offensifs et peuvent engendrer une véritable dépendance de la Serbie à terme puisqu’ils sont principalement dirigés vers les secteurs stratégiques. On peut citer à titre d’exemple le rachat de la firme RTB Bor spécialisée dans l’extraction du cuivre, désormais à 63% chinoise. Ce basculement retire à la Serbie le contrôle d’une matière première pourtant cruciale au développement de la région. Les investissements chinois s’avèrent également peu rentables pour la Serbie puisqu’elle n’en retire que peu de retombées économiques. La Chine importe en effet sa main d’oeuvre et exporte les ressources serbes. De même, les investissements et les liquidités serbes sont exportés vers la Chine par l’intermédiaire des banques chinoises qui se sont massivement implantées (Banque de Chine, China Union Pay, etc.) dans le paysage économique du pays, captant ainsi la majeure partie des bénéfices.  

Aujourd’hui, la Serbie doit déjà 12% de sa dette à la Chine. Ainsi,  si la tentation est grande pour la Serbie de se tourner vers son partenaire chinois au lieu d’entreprendre une transformation structurelle coûteuse, celle-ci risque cependant de devenir totalement dépendante. Son partenariat avec l’UE devient dès lors indispensable au moins sur le plan économique afin de diversifier ses financements et de préserver son autonomie. 

La fourniture d’un système de surveillance par Huawei à la Serbie illustre bien le fait que les relations économiques, outre le développement économique de la Serbie et l’implantation chinoise en Europe, permettent de conforter le renforcement autoritaire de Vučić.

Face à l’offensive chinoise, quelle stratégie adopter pour l’UE? 

Face à l’offensive chinoise en Serbie, l’UE peine de plus en plus à se présenter comme le partenaire privilégié que ce soit auprès de Vučić ou de la population. Pourtant, l’Union Européenne et ses différents États membres restent les partenaires économiques majeurs de ce pays. Une réalité que l’on semble parfois oublier du côté de la Serbie.

« Flux d’IDE et la présence française en Serbie », Ministère de l’économie, des finances et de la relance, Direction générale du Trésor (2020).

Cependant l’UE paie très probablement son manque d’implication politique dans la région alors que l’Union traverse elle-même une crise politique – et de confiance – qui paralyse visiblement le processus d’élargissement avec les pays des Balkans occidentaux. De ce fait, elle tente de faire de la Serbie un partenaire économique tout en évitant de s’imposer trop intensément dans la politique interne du pays en s’abstenant de pointer du doigts les dérives autoritaires de Vučić. Cette stratégie est contestable, comme l’a prouvé l’inexistence diplomatique de l’UE sur le dossier Kosovo-Serbie ces derniers mois. Cependant, face à l’échec américain, une reprise en main semble s’être amorcée et l’UE pourrait jouer à nouveau le rôle de médiateur qui doit être le sien.

Pour revenir sur le devant de la scène, l’UE doit aussi gagner la « bataille des cœurs » face à la Chine et aux autres puissances régionales dans les Balkans occidentaux. Le soft power chinois est particulièrement puissant dans la région et l’UE doit impérativement renforcer sa capacité d’influence. Cela tient en partie à un problème de communication des actions poursuivies dans le pays et de la disponibilité de relais médiatiques efficients. Nous l’avons vu pendant l’épidémie de Covid-19, la Chine a mis en place une communication agressive à travers sa « diplomatie du masque » en relayant massivement les efforts chinois en Serbie notamment par l’arrivée d’un avion contenant du matériel médical à Belgrade. Ainsi, il y a eu l’impression que la Chine via l’envoi de matériel et de personnel soignant était la seule puissance à se soucier de la Serbie. Or, l’Union Européenne a débloqué 93 millions d’euros pour aider la Serbie à lutter contre le virus. Des tactiques similaires sont employées depuis de nombreuses années pour évoquer l’importance des investissements et du rôle de la Chine. L’UE doit ainsi retravailler ses capacités de communication et ses réseaux médiatiques en Serbie et plus largement dans les pays qui lui sont voisins. 

Une seconde possibilité pour l’Union Européenne est de réorienter son action envers la société civile serbe et non plus seulement envers les élites politiques. Il faut d’une part redonner du concret concernant les perspectives d’élargissement européen. Cela pourrait par exemple se faire par une inclusion des citoyens serbes (et par extension des Balkans occidentaux) aux débats relatifs au futur de l’Europe. D’autre part, il faut que l’UE soit capable de soutenir la société civile face aux dérives du pouvoir et notamment au déclin de la démocratie et de l’état de droit. De telles dérives éloignent la Serbie d’une adhésion à l’UE alors que certains politiciens européens les encouragent – au moins indirectement. C’est probablement sur ce point que la réforme du processus d’élargissement doit avant tout se concentrer. 

En définitive, la Chine accroît effectivement son influence en Serbie depuis les années 2010, et ce à tous les niveaux, l’objectif étant de faire de ce pays une avant-garde de sa présence en Europe. Cependant, l’appui chinois reste dans les faits bien moindre comparé au soutien de l’Union Européenne. Ainsi, si cette dernière reste encore aujourd’hui l’acteur numéro un dans le pays, la détérioration de son image et la faiblesse de son influence pourrait lui valoir de mauvaises surprises et notamment une concurrence toujours plus menaçante d’acteurs offensifs comme la Chine. L’UE doit ainsi agir et trouver les moyens de renforcer son action notamment à destination de la société civile.

Enfin, si l’UE et la Chine sont des acteurs omniprésents en Serbie, on ne peut laisser de côté l’influence russe, extrêmement importante, notamment pour des raisons historiques et culturelles. Il est évident que le Président Vladimir Poutine entendra maintenir son influence dans un pays qui fait traditionnellement parti de sa sphère d’influence. 


Bertille Meauzé

Bertille Meauzé est étudiante en deuxième année à SciencesPo Lille. Elle a séjourné six semaines en Serbie l’été dernier où elle a effectué une action de solidarité internationale au sein d’une association serbe sensibilisant aux problématiques environnementales et promouvant le multiculturalisme auprès de la jeunesse serbe. Depuis, elle a développé un fort intérêt pour la région des Balkans occidentaux et souhaiterait intégrer par la suite un Master d’Affaires Européennes avec une spécialisation sur l’Europe de l’Est. Par ailleurs, elle s’est engagée au sein du Bureau des Internationaux de Sciences po Lille où elle a pu échanger et entretenir un lien avec des étudiants de cette région.

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