La France est de retour dans les Balkans ! C’est le mot d’ordre qu’on entend à Paris ces dernières années. Si l’on se réfère à l’action de la France dans la région ces deux dernières décennies, cette affirmation ne souffre d’aucune illégitimité. En effet, depuis 2019, la France a amorcé un retour remarqué dans la région. Le Ministère des Affaires Etrangères a mis en place une stratégie pour les Balkans occidentaux tandis que l’Agence Française pour le Développement a commencé son implantation. Les visites officielles se multiplient.
Plus généralement, la France a changé de rhétorique par rapport à la région. Et ce depuis 2022 et l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie. Le discours de Bratislava du Président Macron en est l’illustration la plus singulière. Plus concrètement, c’est la position de la France par rapport au processus d’élargissement de l’Union européenne qui a évolué sensiblement. Traditionnellement sceptique à ce propos, la France revendique désormais un soutien proactif. Le contexte international ayant évolué avec le retour de la guerre sur le continent, la France perçoit l’élargissement comme une nécessité stratégique absolue. Les Balkans ne peuvent faire office de zone grise sans menacer la sécurité européenne et donc les intérêts de la France.
Les doutes subsistent malgré un changement d’attitude remarqué
Le changement d’attitude opéré par la France a été perçu dans les Balkans occidentaux. Cela ne fait aucun doute. Néanmoins, cela n’a pas dissipé toutes les interrogations, accumulées pendant de nombreuses années en raison d’un sous-engagement et la prise de décisions contestables telles que le véto de 2019. Plus encore, ce changement d’attitude français reste surtout concentré sur l’Ukraine et la Moldavie, les Balkans occidentaux demeurant une préoccupation secondaire.
Ainsi, un fort degré de scepticisme demeure dans la région, tant au niveau des autorités que des citoyens, quant au changement d’attitude français. Il faut dire que les résultats concrets de l’évolution française se font peu nombreux. Un constat qui se confirme d’ailleurs par la continuité d’une présence française plus faible que celle de partenaires comme l’Allemagne, le Royaume-Uni ou l’Italie. Cela se voit à tous les niveaux : politique, économique mais aussi par la faible présence d’outils et d’acteurs de la société civile française.
Ensuite, les doutes subsistent du fait d’une attitude jugée parfois ambigüe de la France dans son engagement régional. Parmi les critiques principales subsiste l’impression que la France s’engage de manière inégale dans la région du fait notamment d’une action centrée principalement sur la Serbie. Les critiques portent aussi sur la façon de s’engager de la France, notamment puisque cette dernière privilégie des relations basées quasi-exclusivement sur les autorités nationales. Et ce peu importe les décisions prises par ces dernières. Cela remet ainsi en cause la crédibilité de la France dans ses engagements notamment quand elle s’applique à développer des relations avec des dirigeants négligeant les principes de bonne gouvernance ou les standards démocratiques pourtant des éléments centraux de la politique étrangère française dans la région.
La France tend à être perçue par de nombreux acteurs de la région comme une puissance de plus en plus transactionnelle. Cela remet ainsi en cause la crédibilité de l’action française à s’investir sur le long-terme et de manière positive dans le processus d’élargissement au côté des pays de la région. Certaines décisions récentes viennent appuyer cette perception, tant au niveau économique (contrat de 12 Rafales avec la Serbie) que politique (négociation de l’accord entre la Bulgarie et la Macédoine du Nord).
Enfin, les incertitudes demeurent quant à la capacité de la France à tenir ses engagements en faveur de l’élargissement dans la région du fait d’une opinion publique largement hostile. Pour rappel, l’élargissement ne pourra se faire qu’avec au choix un référendum national ou un vote aux 2/3 du Parlement français. Une issue positive semble impossible à ce jour, alors que les autorités françaises rechignent à faire de l’élargissement un sujet politique au niveau national. Il faut dire que la majorité des forces politiques se positionnent contre cette évolution.
Les développements politiques actuels en France et notamment la popularité de Marine Le Pen et du Rassemblement National, défavorables à l’élargissement renforcent le pessimisme. La perspective d’une victoire en 2027 semble possible voire probable. Cela affecterait très négativement le rôle de la France dans la région.
Trois axes de développement pour la présence française dans les Balkans
Premièrement, pour regagner de la crédibilité dans la région, la France doit traduire ses nouvelles ambitions en développements concrets. Elle doit passer ‘des paroles aux actes’. L’opportunité de la France dans la région repose ainsi en partie sur une mise à jour de la stratégie française pour cette région. Une stratégie renouvelée qui permettrait alors à la France de déployer une ambition renouvelée à travers de nouveaux outils supportés par des financements plus conséquents. La diminution de la présence française en Afrique offre à ce titre des perspectives de renforcement capacitaire (comprendre financier) dans cette région.
Cette stratégie française renouvelée opérerait ainsi à deux niveaux. D’une part, un niveau régional avec une stratégie qui serait remodelée selon l’ambition première de la France dans la région : le soutien proactif au processus d’élargissement. Cela impliquerait ainsi la mise en place d’une stratégie facilitant ces développements (résolution politique des différends, développement économique, aide à la gouvernance, etc.). D’autre part, un niveau national avec la mise en place de stratégies bilatérales répondant à des opportunités nationales en se focalisant sur des besoins et demandes formulés depuis les capitales de la région.
Deuxièmement, la stratégie française pour les Balkans occidentaux doit reposer sur une meilleure communication. Il s’agit ici d’un problème structurant de la présence française dans la région du fait d’une priorité diplomatique de second plan, de moyens financiers limités et de capacités humaines restreintes. Les problèmes de communication concernent à la fois les voix officielles (diplomates) souvent trop discrètes et les voix non-officielles (société civile, entrepreneurs) trop peu nombreuses.
La communication de la présence française et de ses résultats concrets doit se structurer autour d’un comportement plus politique de la part des parties prenantes françaises. Cela implique alors des consultations plus proactives entre les diplomates et les acteurs politiques de ces pays, des visites de haut-niveau plus régulières dans la région et la dynamisation des formats interparlementaires et d’échanges entre collectivités locales. En parallèle, l’approche française sur le plan domestique de l’élargissement et des Balkans doit également devenir plus politique avec le développement d’une communication stratégique à destination des citoyens français.
Troisièmement, le renouvellement de la présence française dans la région doit passer par un soutien plus effectif et structuré envers les organisations de la société civile et les médias indépendants. La France doit ainsi décentraliser ses relations avec les pays de la région en développant des relations plus approfondies avec les acteurs de la société civile de ces pays, pilier incontournable du processus d’adhésion à l’Union européenne.
Cette ambition passe alors par le développement et le financement de programmes ambitieux pour le soutien des organisations à but non-lucratif comme les think tanks ou les associations mais aussi envers les médias indépendants de ces pays. Cela passe aussi par la mise en place de programmes permettant le développement des relations entre les organisations françaises et les organisations de la région et de ces différents pays. Ces relations étant la base d’une stratégie long-terme et de futures initiatives politiques, économiques et culturelles au plus haut niveau.
Visite du Président Macron en Serbie – attention…
La France bénéficie aujourd’hui d’opportunités majeures dans la région des Balkans occidentaux à l’heure où sa vision du voisinage oriental opère une profonde évolution. Si la France veut en bénéficier, elle doit alors changer son approche de la région : revoir sa stratégie régionale, investir des moyens humains et financiers ambitieux et développer un narratif positif sur le plan domestique. Alors la France sera véritablement de retour dans les Balkans.
A ce titre, la visite du Président Macron à Belgrade est importante. Elle pourrait relancer les espoirs d’un engagement français plus visible dans la région et devrait permettre à Paris de réaffirmer son soutien à l’adhésion des pays des Balkans occidentaux dans l’Union européenne. Cette visite, centrée autour de la vente de Rafales à Belgrade et autour de la question du nucléaire civil, traduit plus que cela une volonté française d’engagement stratégique dans la région : assurer la stabilité, contrer les influences extérieures et ancrer la présence française.
Toutefois, cette visite risque dans le même temps de susciter de très fortes critiques depuis les autres États de la région, inquiets du rôle de Belgrade dans la dégradation sécuritaire de la région (particulièrement en Bosnie-Herzégovine et avec le Kosovo). Et aussi depuis la société civile à l’heure où une dégradation évidente des standards démocratiques a lieu en Serbie sous l’impulsion du Président Vučić. Se pose ainsi la question suivante : cette visite, malgré l’impression d’un succès depuis Paris, ne sera-t-elle pas contre-productive pour la présence de la France dans les Balkans occidentaux ?
Directeur général d’Euro Créative, analyste Défense/Sécurité