Aller au contenu

2024 – ‘Quitte ou double’ pour l’Europe centrale et orientale

Euro Créative lance un nouveau format: PECO Hebdo. Une lettre d’information bimensuelle qui couvre l’actualité en Europe centrale et orientale. Depuis 2022, Euro Créative a été moins visible sur les réseaux sociaux et sur son site web, mais cela ne signifie pas pour autant qu’Euro Créative a été inactif. Nous espérons que ce format permettra de retrouver une certaine régularité dans l’interaction avec notre audience. L’utilisation du terme PECO ne manquera pas de faire réagir.

Cette première édition de PECO Hebdo nous offre l’opportunité d’esquisser quelques perspectives pour l’année 2024 concernant l’Europe centrale et orientale. Avec les enjeux géopolitiques actuels et les tensions persistantes dans le système international, 2024 s’annonce comme une année cruciale pour la région, tout comme pour le reste de l’Europe. Elle sera caractérisée par une palette de dangers potentiels, mais également par des opportunités à saisir. En ce sens, 2024 représente une année pivot pour les pays de la région: soit ils parviennent à naviguer habilement à travers les défis actuels, renforçant ainsi leur position et jetant les bases d’un avenir prometteur, soit leurs faiblesses seront mises en lumière, les exposant alors à des dangers existentiels pour les années à venir. Quitte ou double!

Depuis février 2022 et l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie, on entend souvent dire que le centre de gravité de l’Union européenne se serait déplacé vers l’Est. Il est indéniable que l’attention s’est effectivement déplacée vers l’Est, avec quelques années – ou décennies – de retard. Cependant, pour l’Europe centrale et orientale, l’objectif n’est pas tant le déplacement du centre de gravité. Il s’agit plutôt de déterminer dans quelle mesure ces nations seront en mesure de renforcer leur influence au sein de la communauté euro-atlantique, une influence cruciale pour garantir leur sécurité et leur prospérité.

Dans cet article, nous avons choisi d’identifier dix thématiques qui seront déterminantes pour l’Europe centrale et orientale en 2024. Ces dix enjeux contribueront, en partie, à la capacité des pays d’Europe centrale et orientale à influencer les prises de décision et les développements de la communauté euro-atlantique. L’année 2024 apparaît donc comme une année charnière pour évaluer la capacité d’adaptation des Européens de l’Est et du Centre aux défis majeurs du XXIe siècle. Cette liste n’est bien évidemment pas exhaustive.

  • Guerre en Ukraine: La guerre en Ukraine restera évidemment au sommet des priorités pour les pays de la région. Et en premier pour l’Ukraine. À ce jour, aucune perspective de fin de conflit n’est en vue alors que le front demeure actif sans offensive majeure depuis plusieurs mois. Pour l’Ukraine, 2024 sera une année défensive, car elle ne dispose pas des moyens nécessaires pour lancer une nouvelle contre-offensive. Les bombardements terroristes russes se poursuivent, tandis que les craintes de pénuries humaines et matérielles (notamment en munitions) préoccupent à la fois les Ukrainiens et les Européens ces dernières semaines. Une victoire de l’Ukraine est impérative pour la sécurité du continent. En l’absence de celle-ci, la région serait exposée aux ambitions impérialistes russes. La plupart des dirigeants de ces pays n’ont d’ailleurs aucun doute à ce sujet, alors qu’ils préparent leurs opinions publiques à un possible conflit de haute intensité avec la Russie au cours des prochaines années en cas de défaite ukrainienne. La Moldavie et la Géorgie se retrouveront ainsi en première ligne, tandis que les pays baltes ainsi que la Pologne ou la Roumanie se trouveraient également dans une situation précaire. Les Balkans risquent aussi une déstabilisation par la Russie. Malgré des ressources monétaires et financières limitées, les pays de la région continueront de soutenir l’Ukraine. Nombre d’entre eux demeurent parmi les principaux donateurs par PIB et devraient maintenir cet engagement. Par exemple, l’Estonie consacrera 0,5 % de son PIB à la défense de l’Ukraine chaque année. Cependant, les contributions de ces pays, aussi généreuses et constantes soient-elles, ne suffiront pas. Les pays d’Europe centrale et orientale doivent donc concentrer leurs efforts sur la capacité à persuader leurs alliés occidentaux les plus puissants de maintenir, et plus encore d’augmenter leur aide à l’Ukraine (États-Unis, Royaume-Uni, Allemagne, France notamment). À cela s’ajoute le cas de certains pays qui troublent le soutien européen a l’Ukraine, notamment la Hongrie et plus récemment la Slovaquie. Leurs dirigeants invoquent alors les narratifs pro-Kremlin de paix immédiate (comprendre capitulation de l’Ukraine) et vont même dans le cas de la Hongrie jusqu’à bloquer l’unité européenne en ce qui concerne les sanctions, l’assistance militaire ou les paquets d’aide financière. D’autres pays pourraient-ils suivre cet exemple ? Certains responsables populistes pourraient utiliser cette rhétorique lors des élections européennes et nationales a venir dans la région.

 

  • Élections et avenir de la démocratie: 2024 est une année d’élections à l’échelle internationale, et cela s’applique également à l’Europe centrale. En plus des élections européennes, il n’y aura pas moins de six élections générales (Autriche, Croatie, Géorgie, Lituanie, Macédoine du Nord et Roumanie), sept élections présidentielles (Croatie, Géorgie, Lituanie, Macédoine du Nord, Moldavie, Roumanie et Slovaquie) et cinq élections locales (Bosnie-Herzégovine, Hongrie, Pologne, République tchèque et Roumanie). Comme dans d’autres pays occidentaux, bon nombre de ces nations sont confrontées à une montée des partis radicaux et/ou populistes, en particulier d’extrême droite. Il sera donc nécessaire de surveiller de près des pays comme la Roumanie (AUR, SoS), l’Autriche (FPO) ou encore la République tchèque (retour de Babis et ANO pour les élections générales de 2025). À cela s’ajoutent les problèmes actuels concernant la démocratie et l’état de droit. En particulier, deux pays seront à surveiller de près cette année: la Hongrie et la Slovaquie, où les atteintes aux principes fondamentaux persistent (en Hongrie) ou reviennent sur le devant de la scène (Slovaquie). La Pologne constitue un autre cas particulier, où le nouveau gouvernement a fait du retour de l’état de droit une priorité. Les développements initiaux montrent que ce retour est complexe, alors que les autorités n’hésitent pas à s’accorder certaines libertés controversées. Il s’agit là d’un jeu dangereux, sans garantie de succès. Plus généralement, la société civile reste active et n’hésite pas à se mobiliser pour exprimer son mécontentement, notamment en Slovaquie depuis le retour de Fico au pouvoir mais aussi a Budapest. Dans le même temps, les pressions de l’UE, bien que partielles, semblent plus efficaces qu’auparavant. Une raison simple et évidente: l’aspect financier bien sûr qui est désormais au centre du mécanisme de conditionnalité affectant la distribution des fonds européens.

 

  • Alliance Atlantique: La relation transatlantique constituera sans aucun doute l’un des enjeux majeurs de l’année 2024. Cette importance découle de la détérioration du contexte international, avec l’accentuation de la menace russe pour la sécurité européenne, la montée des tensions en Asie et au Moyen-Orient, associée à des doutes de plus en plus grands concernant la garantie de la protection américaine. Ce dernier élément étant suivi particulièrement activement en Europe centrale et orientale alors que les signaux d’inquiétude se multiplient. En témoigne le blocage politique de l’aide a l’Ukraine depuis plusieurs mois. Un retour de Donald Trump à la Maison Blanche pourrait remettre en question les fondements de la sécurité transatlantique tels qu’établis depuis la fin de la guerre froide. L’ancien président, favori des sondages à ce jour, n’a pas dissimulé son intention de remettre les pendules à l’heure concernant le soutien américain envers la sécurité européenne. Cela pourrait-il conduire à une remise en question de l’article 5 de l’OTAN ou à la fin du déploiement de soldats américains sur le flanc oriental? Sans doute pas. Néanmoins, un retour de Trump ne ferait qu’accroître les tendances isolationnistes des États-Unis et leur volonté de se concentrer sur l’Asie et la menace chinoise. Pour les pays d’Europe centrale et orientale, cela souligne la nécessité de revoir leur approche stratégique en complétant les garanties de l’OTAN par des renforcements européens. Cependant, il est plus probable d’assister à une concurrence européenne pour le soutien américain, avec une bilatéralisation des relations impliquant notamment des achats de matériel américain, dans l’espoir de convaincre l’allié des avantages du maintien de sa présence en Europe. Une chose est certaine, les pays d’Europe centrale et orientale généralement bons élevés en termes de dépenses militaires devront encourager leurs allies a atteindre l’objectif des 2% le plus rapidement possible. Le sommet de Washington DC sera a suivre attentivement. Enfin, il ne faut pas oublier que certains pays comme la Hongrie ou la Serbie font du retour de Trump un impératif politique dans l’espoir d’une évolution du système international propre à certaines de leurs ambitions stratégiques.

 

  • Élargissement et intégration européenne: Il s’agit là d’une question de premier plan pour les pays d’Europe centrale et orientale. Et plus particulièrement pour les pays candidats, qu’ils aient obtenu le statut récemment ou depuis de trop nombreuses années. Depuis 2022 et l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie, le processus d’élargissement est à nouveau au centre de l’attention. Même si le narratif n’est pas celui-ci dans les pays des Balkans occidentaux. Des progrès remarquables ont été réalisés avec l’ouverture des négociations d’adhésion pour l’Ukraine et la Moldavie, l’octroi du statut de candidat pour la Géorgie et la Bosnie-Herzégovine, ainsi que la levée des visas pour le Kosovo. De nombreux pays d’Europe centrale et orientale militent en faveur de l’élargissement. Certains soutiennent l’adhésion de tous ces pays (pays baltes), d’autres se concentrent principalement sur les Balkans (Hongrie, Autriche, Croatie), tandis que certains favorisent particulièrement l’adhésion de l’Ukraine (Pologne) ou de la Moldavie (Roumanie). Cependant, les conséquences de l’élargissement suscitent déjà un débat politique animé dans ces pays. Certaines forces eurosceptiques ont exprimé leur opposition, tandis que certains dirigeants ont tout simplement bloqué le processus. Le cas de la Bulgarie vis-à-vis de la Macédoine du Nord met en lumière des différends territoriaux utilises pour des agendas politiques, tandis que l’opposition hongroise à l’égard de l’Ukraine met en évidence des problèmes plus profonds. L’une des préoccupations est la peur – exagérée ou réelle – d’une concurrence de la part de ces futurs États membres avec ceux d’Europe centrale et orientale. Orban a ainsi évoqué l’appréhension de devoir couvrir les frais, la Hongrie et les autres Etats de la région passant ainsi de bénéficiaires à contributeurs au budget de l’UE. Un argument remis en cause par de nombreuses études. Nous pouvons également évoquer la compétitivité économique, illustrée en partie par les manifestations des agriculteurs et des transporteurs des régions frontalières concernant le fret ou l’exportation du blé et d’autres ressources. De plus, la perspective de l’élargissement s’accompagne d’un approfondissement de l’UE, autrement dit, de la poursuite de l’intégration européenne, demandée par de nombreux pays d’Europe occidentale, notamment l’Allemagne et la France. Cependant, de nombreux pays d’Europe centrale et orientale continuent de s’opposer à des progrès dans ce domaine, notamment en ce qui concerne le principe d’unanimité pour les questions de politique étrangère. Ainsi, l’élargissement ne sera pas si simple même pour les pays qui le soutiennent sur le papier, étant donné qu’il représente une garantie de sécurité et des perspectives commerciales pour eux.

 

  • Développement et croissance économique: Malgré les crises économiques et financières de 2008-2010, l’épidémie de covid-19 et la guerre en Ukraine, la croissance et le développement économique demeurent à l’ordre du jour en Europe centrale et orientale. Bon nombre des économies de la région maintiennent un taux de croissance positif depuis plusieurs années (sauf circonstances exceptionnelles). C’est notamment le cas des grandes économies telles que la Pologne ou la Roumanie, qui sont devenus des pôles d’attraction économique incontournables en Europe. Néanmoins, l’année 2024 ne s’annonce pas simple avec un contexte économique qui demeure morose. Outre la poursuite de la guerre en Ukraine – qui pèse sur le prix de l’énergie ou de l’alimentation, entretenant ainsi l’inflation – les problèmes économiques de l’Allemagne constituent une préoccupation particulièrement importante pour la région. Cela concerne notamment des pays en partie dépendants de l’industrie automobile allemande, tels que la Hongrie ou la Slovaquie. D’autres indicateurs problématiques incluent le manque de main-d’œuvre et la baisse de compétitivité, liés à une augmentation du coût de la vie et au développement économique. Plus généralement, les économies des pays d’Europe centrale et orientale doivent veiller à croître de manière soutenue alors qu’elles se trouvent dans une situation intermédiaire, et ainsi éviter le « piège des revenus intermédiaires » (middle income trap), cercle vicieux des économies en voie de haut développement. Cela nécessitera la mise en place de stratégies économiques à plus long terme, impliquant un effort particulier dans la recherche et le développement. L’innovation constitue un enjeu capital pour ces pays dans le futur. Des réussites existent dans la région – et pas seulement parmi les pays baltes – et elles doivent être reproduites. L’autre domaine d’attention est la réduction des disparités régionales entre des capitales économiques très attractives et de plus en plus riches, et des régions de plus en plus pauvres qui se dépeuplent, notamment les régions orientales des pays de la région. À cet égard, notamment pour les pays frontaliers de l’Ukraine, la future reconstruction du pays représentera une opportunité à saisir en ce qui concerne le développement économique régional.

 

  • Connectivité: Les enjeux de connectivité continuent de faire cruellement défaut dans la région, impactant à la fois le développement économique et la sécurité, en particulier en ce qui concerne les infrastructures de mobilité, du numérique et de l’énergie. La connectivité nord-sud pose particulièrement problème, de la mer Baltique à la mer Noire. Ce problème a été identifié par le projet Initiative des Trois Mers, porté notamment par la Pologne et la Roumanie sous le haut-patronage des Etats-Unis. Cependant, les investissements concrets font défaut et une vision stratégique commune n’a pas encore émergé au niveau européen. La guerre en Ukraine et les besoins de reconstruction pourraient changer la donne, mais cela nécessite des financements plus importants, notamment de la part des pays d’Europe centrale et orientale, ainsi qu’une attention stratégique accrue de la part des pays d’Europe occidentale. Parmi les chantiers cruciaux figurent les interconnexions énergétiques entre les pays de l’UE et les pays candidats à l’adhésion. Des pays comme la Pologne, la Grèce ou la Croatie commencent à jouer un rôle dans le domaine du gaz, mais un travail considérable reste à faire concernant l’électricité, qu’il s’agisse de sa distribution en réseaux ou de sa production via le nucléaire civil et les énergies vertes, ainsi que les infrastructures de transport, notamment pour et entre les pays baltes. La construction du Rail Baltica est en cours et permettra à la fois le transport de passagers et la mobilité militaire en cas de conflit avec la Russie dans les années à venir.

 

Sécurité économique: La sécurité économique est un enjeu de plus en plus central qui revêt une importance croissante. Les crises du Covid et la guerre en Ukraine ont ainsi mis en évidence l’importance de percevoir l’économie, notamment son indépendance dans les secteurs stratégiques, en termes de sécurité. Ainsi, les puissances rivales continueront à être au centre de l’attention. Les Européens, notamment ceux d’Europe centrale et orientale, ont en partie atteint leurs objectifs en matière de sécurité énergétique en mettant rapidement fin à leur dépendance envers la Russie. Certains pays comme l’Autriche ou la Hongrie demeurent toutefois problématiques a cet égard. Ensuite, le sujet de la Chine reste un problème moins visible en France mais tout aussi important, car il concerne des secteurs stratégiques tels que les minéraux rares ou l’industrie lourde et les technologies disruptives. Les investissements étrangers dans les secteurs stratégiques, notamment entrepris par la Chine et dans une moindre mesure par la Turquie, doivent donc être surveillés. Un exemple récent est le contrat chinois avec les autorités bulgares concernant la construction d’une autoroute, qui perturbe la concurrence au sein de l’UE et utilise même les ressources de l’UE. Des projets similaires ont été mis en place en Croatie ou au Monténégro ces dernières années. L’un des aspects majeurs sur lesquels il faut agir collectivement est le développements d’outils de gouvernance plus transparents et sécurisés à l’échelle des Etats membres (et pays candidats) et de l’UE. Cependant, la sécurité économique ne représente pas uniquement des défis pour cette région, elle offre également des opportunités. En effet, pour l’Occident, l’un des principaux enjeux économiques des prochaines années sera le rapatriement des chaînes d’approvisionnement dans les zones proches (near shoring). Dans cette perspective, de nombreux pays de la région, notamment ceux qui ne sont pas membres de l’UE et les régions les plus pauvres des pays de la région, auront la possibilité d’attirer des usines et de participer à la revitalisation économique de leurs territoires.

 

Démographie: La démographie demeure un enjeu majeur pour la région, avec des taux de natalité parmi les plus bas d’Europe et des taux d’émigration parmi les plus élevés. Le renouvellement démographique n’est parfois même pas assuré. Ces pays perdent continuellement des habitants, parfois dans des proportions alarmantes. Pour des pays comme l’Estonie, la Lettonie ou la Slovénie, la question de leur avenir se pose clairement. Cette crise démographique est accentuée dans certains pays, notamment ceux des Balkans par le manque d’opportunités économiques et les faibles progrès en termes de gouvernance, incitant les jeunes à partir à la recherche d’un avenir meilleur ou les privant des conditions matérielles nécessaires pour fonder une famille. Cette crise démographique renforce également les mouvements populistes voire les tentations nationalistes pour les habitants restés au pays, qui voient leur région se dépeupler. Pour répondre à cette crise démographique, des programmes d’encouragement ou d’incitation sont mis en place, visant à favoriser une augmentation du taux de natalité et/ou à faire revenir les jeunes partis se former et vivre ailleurs. Cependant, les succès de ces programmes varient considérablement et ne garantissent en aucun cas la résolution de cette crise. Cela a un impact significatif sur le marché du travail, avec dans l’ensemble des pays de la région une pénurie de main-d’œuvre qui ralentit la croissance économique. Ces pays ont alors opté pour l’emploi de main-d’œuvre étrangère et offrent des conditions d’accueil favorables aux travailleurs étrangers, notamment en provenance d’Asie du Sud-Est, du Népal ou des Philippines par exemple. Cette approche contraste avec les positions souvent radicales des gouvernements de la région sur l’immigration.

 

Questions sociétales: Comme ailleurs en Occident, la polarisation s’accroît en Europe centrale et orientale, tant sur le plan politique que sur celui des questions sociétales, divisant les générations, les territoires urbains et ruraux, ainsi que les classes socio-économiques. Cette situation impacte les débats autour des grandes questions sociétales. Bien que les sociétés de la région soient généralement conservatrices, une partie d’entre elles adopte des mœurs plus libérales ou progressistes au fil des ans. Ainsi, de nouvelles tendances sociétales ont émergé ces dernières années, telles que la baisse de la pratique religieuse dans des pays traditionnellement liés à l’Église, comme la Pologne, la Roumanie ou la Grèce. Cette évolution se poursuit en 2024, et nous pouvons nous attendre à de nombreux débats sociétaux de haute valeur symbolique sur des sujets tels que le droit à l’avortement (notamment en Pologne), l’égalité des genres (notamment en ce qui concerne la ratification de la convention d’Istanbul) ou encore les droits LGBT. Ces questions divisent profondément les sociétés d’Europe centrale et orientale. Les initiatives progressistes de certaines forces politiques trouvent généralement une réponse forte parmi les forces politiques les plus conservatrices au point de devenir des thèmes électoraux majeurs. Par ailleurs, ces questions sociétales sont souvent des facteurs de division au sein des coalitions au pouvoir, surtout dans les pays où ces coalitions doivent composer avec des partis politiques issus d’un large spectre idéologique. Cela a été le cas récemment en Lettonie et en République tchèque, et cela devrait attirer l’attention cette année, notamment en Pologne. De plus, les débats sociétaux dans ces pays sont souvent repris au sein de l’Union européenne, à Bruxelles, pas toujours de la meilleure manière. Les sociétés de ces pays se transforment profondément depuis près de 30 ans, et cela suscite d’intenses débats sociétaux dans des sociétés qui demeurent extrêmement proactives, comme nous pouvons le constater régulièrement lors des manifestations. Il est nécessaire que ces débats demeurent nationaux.

 

  • Influence au sein de l’UE « Top Jobs »: L’un des principaux enjeux pour les pays d’Europe centrale et orientale en 2024 est de capitaliser sur leur plus grande visibilité depuis 2022. Suite à l’invasion à grande échelle de l’Ukraine, ces pays se sont positionnés comme des acteurs incontournables au sein de l’UE et de la communauté euro-atlantique. Ils ont mieux anticipé le risque d’une Russie autoritaire et révisionniste à leurs frontières et ont réagi plus rapidement en fournissant une aide considérable à l’Ukraine. Cependant, cela ne peut occulter une réalité dérangeante: ces pays demeurent peu influents à ce jour. Depuis la chute de l’URSS et leur adhésion à l’UE et à l’OTAN, une situation de statu quo s’est installée. D’un côté, certaines puissances principales, la France par exemple, n’ont pas daigné s’intéresser à ces nouveaux pays et aux opportunités qu’ils pouvaient représenter, à l’exception de leurs intérêts économiques qu’ils ont su maximiser à différents degrés. En réponse, les pays d’Europe centrale et orientale ont généralement adopté une position attentiste, ayant des difficultés à développer des perspectives à long terme et à influencer les débats stratégiques. Plus précisément, ces pays doivent être plus proactifs dans de nombreux domaines : proposer des initiatives, forger des coalitions, maintenir la pression sur leurs alliés, etc. Ils doivent continuer le travail accompli depuis 2022-2023, jouant un rôle positif dans le renforcement du projet européen et des institutions euro-atlantiques, qui leur offrent la seule garantie de sécurité dans un système international de plus en plus instable. De nombreux indicateurs montreront si ces pays gagnent ou non en influence. L’un des indicateurs les plus faciles à identifier sera celui des nominations aux « top jobs », notamment au sein de l’OTAN, du Conseil européen ou encore de la Commission européenne. De nombreux candidats issus de ces pays ont exprimé leur volonté d’assumer de grandes responsabilités, mais ces postes devraient être rares. Il semble que la Première ministre Kaja Kallas soit la mieux placée pour satisfaire cette ambition en devenant potentiellement Présidente du Conseil européen ou Haute Représentante de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. D’autres personnalités régionales semblent également en mesure d’influer au niveau européen, telles que le Président roumain Klaus Iohannis, le Premier ministre grec Kyriákos Mitsotákis ou encore le Premier ministre croate Andrej Plenković. Ils doivent leur notoriété notamment à leur habileté (et leur réussite politique) au sein du groupe PPE, un modèle à suivre pour les représentants d’autres familles politiques européennes.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *