Aller au contenu

N’oublions pas l’Ukraine – un point de vue français

Article écrit initialement par Romain Le Quiniou pour notre partenaire ukrainien New Europe Centre (disponible en anglais et en ukrainien). NEC un groupe de réflexion indépendant basé à Kyiv depuis 2017 et dont l’objectif est de promouvoir les normes et les pratiques européennes en Ukraine.

Le 30 avril dernier, une réunion du format Normandie s’est tenue virtuellement entre les Ministres des Affaires Étrangères français, allemand, russe et ukrainien. Une réunion qui n’a pas permis de progresser. Le MAE français n’a publié – pour la forme – qu’un communiqué laconique rappelant la nécessité d’atteindre les objectifs fixés à Paris en décembre 2019. En s’engageant dans le format de la Normandie, le président Macron espère obtenir une victoire diplomatique notable. L’impasse diplomatique dans laquelle se trouvent les quatre acteurs peut donc être frustrante, mais elle ne doit pas être décourageante. Surtout, l’Ukraine ne doit pas être oubliée en France !

Pourquoi la France ne devrait-elle pas oublier l’Ukraine ? Premièrement, fournir un soutien diplomatique constant à l’Ukraine est une nécessité stratégique pour permettre un environnement de sécurité stable en Europe limitant le risque de rapports de force armés. L’Ukraine est depuis plusieurs années victime d’une agression militaire et cette réalité – située à seulement trois heures d’avion de Paris – ne devrait pas être acceptée. En tant que facilitateur et médiateur dans ces négociations diplomatiques, la France doit favoriser la limitation des pertes humaines et la mise en place d’une solution pacifique. Dans le même temps, il faut à tout prix éviter que le Donbass ne devienne un énième conflit gelé à la périphérie de l’UE.

Deuxièmement, si la France ne doit pas oublier l’Ukraine, c’est aussi pour ses propres intérêts. À court terme, l’objectif est une victoire diplomatique à affirmer sur le plan national – l’élection présidentielle est prévue en 2022. À plus long terme, l’objectif est l’apaisement durable de l’environnement de sécurité européen. A ce titre, la Russie est aux yeux du Président français – et d’une partie de son entourage – le maillon indispensable de la reconstruction de l’architecture de sécurité européenne. L’idée est que si les tensions sur le continent diminuent, il sera plus facile de développer l’autonomie stratégique européenne (c’est-à-dire une capacité d’action militaire autonome qui ne ferait pas double emploi avec l’OTAN) souhaitée par la France. La France, en particulier, a lancé l’Initiative Européenne d’Intervention – un projet militaire commun à 14 États européens de l’OTAN et de l’UE. Ainsi, c’est un jeu dangereux mais sans intérêts spécifiques, la France n’y participerait pas.

Maintenant que les principales raisons de maintenir l’Ukraine au centre de l’attention diplomatique de la France ont été exposées, il est temps d’en identifier les modalités. Tout d’abord, le dialogue entre tous les acteurs doit être maintenu. À ce titre, le format Normandie – en complément du Groupe de Contact Trilatéral – reste nécessaire. Toutefois, l’évolution de son format et de ses objectifs doit être prise en compte, et la question de la validité des accords de Minsk II doit inévitablement être soulevée. Dans le même temps, la légitimité du format de Normandie doit être renforcée, la France et l’Allemagne aujourd’hui leaders de facto doivent se poser en tant que véritables représentants des intérêts européens.

Plus généralement, l’européanisation de ce processus diplomatique sera la condition sine qua non de la mise en place d’un système de sécurité européen plus stable. À ce titre, l’Allemagne et la France – toutes deux critiquées pour leurs positions à l’égard de la Russie – devraient renforcer le dialogue sur ce sujet avec leurs partenaires européens et en particulier avec les pays considérés par l’Ukraine comme ses plus proches soutiens tels que la Lituanie ou la Pologne. Ainsi, Emmanuel Macron devrait être conscient qu’une victoire diplomatique individualiste à court terme – aussi tentante soit-elle – serait dramatiquement contre-productive. Une stratégie consistant à faire pression sur l’Ukraine pour qu’elle accepte un accord imparfait ne ferait qu’entraîner une crise politique dramatique en Ukraine et une nervosité accrue chez ses partenaires d’Europe centrale et orientale.

Deuxièmement, le régime de sanctions contre la Russie doit être maintenu. Une fois de plus, la crédibilité internationale de l’UE et sa capacité à défendre un système de sécurité stable régi par le droit international et la diplomatie sont en jeu. Compte tenu de la situation économique à venir, certains pays demanderont la levée des sanctions économiques à l’égard de la Russie. En France, plusieurs voix s’élèveront également en faveur de cette perspective. Cependant, tant que les conditions ne sont pas réunies, cela n’est pas envisageable. En outre, les sanctions pourraient devenir un outil diplomatique beaucoup plus intéressant dans les mois à venir. En effet, la crise économique – couplée à la chute spectaculaire des prix du pétrole – pourrait avoir des conséquences particulièrement désastreuses pour l’économie russe. Dans un tel contexte, la Russie pourrait être tentée de venir à la table des négociations afin de trouver une issue pratique. Cependant, une telle situation ne sera possible que dans le cas d’une unité européenne forte et claire sur la poursuite des sanctions !

Troisièmement, la France et les Européens doivent continuer à apporter leur aide à l’Ukraine. Une assistance financière d’abord, alors l’Ukraine se trouve présentement au bord de la faillite. En ce sens, le programme d’assistance macro-financière annoncé par la Commission européenne est un signe positif. Une aide structurelle ensuite, afin de favoriser le rapprochement avec l’UE. En particulier, la France doit donc poursuivre et amplifier son action dans ce domaine. La coopération en matière de décentralisation est un exemple convaincant qui doit être reproduit. Cet accompagnement est particulièrement important à un moment où le président Zelenskiy semble de plus en plus affaibli politiquement.

Enfin, la France doit améliorer sa compréhension de l’Ukraine. Bien sûr, l’Ukraine est actuellement confrontée à de nombreux défis, et le chemin vers l’intégration européenne semble plus que sinueux. Mais l’Ukraine est également riche de nombreuses opportunités et animée par un dynamisme sociétal rare. Il faut le souligner plus souvent au niveau politique, économique et culturel en France. Dans cette optique, la mise en ligne d’un film relatant l’action diplomatique de l’ancienne Ambassadrice de France en Ukraine – Madame Isabelle Dumont (2015-2019) – est une petite idée encourageante.

Les médias français ont une grande responsabilité dans ce domaine. En effet, les clichés autour de l’Ukraine – qui existent même au plus haut niveau politique – doivent être réduits afin de faire face aux évolutions actuelles. Les think tanks français – totalement absents du pays à ce jour – pourraient également apporter une valeur ajoutée positive, en aidant les sociétés civiles française et ukrainienne à accroître leurs relations. Le soutien au développement de la francophonie en Ukraine pourrait en être un aspect fondamental.

En Ukraine, il n’y aura pas de paix facile ou rapide. La résolution de ce conflit devra nécessairement s’inscrire dans une réflexion stratégique à long terme dans laquelle la France a un rôle diplomatique majeur à jouer. Sa capacité – et celle de ses partenaires européens – à résoudre cette guerre sera le reflet de la capacité de l’UE à assumer un rôle géopolitique en phase avec les défis mondiaux du XXIe siècle. En effet, une partie de l’avenir européen se joue actuellement dans le Donbass. Alors, une fois de plus, la France ne doit pas oublier l’Ukraine !

Étiquettes:

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *