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À « Quitte ou double », le PiS et l’élection présidentielle

Alors que l’épidémie de Covid-19 continue sa progression meurtrière sur le continent européen, l’Europe Centrale paraît pour le moment relativement épargnée. En Pologne, face aux faiblesses du système hospitalier, des mesures de distanciation sociale ont été prises relativement tôt par les autorités. L’épidémie est pour le moment contenue avec plus de 6.000 cas de contamination recensés et plus de 200 décès. Néanmoins, la situation semble se détériorer depuis quelques jours et le Premier Ministre Mateusz Morawiecki a annoncé un pic épidémique entre mai et juin. Pourtant, le parti Droit et Justice (Prawo i Sprawiedliwosć) et son indéboulonnable leader Jarosław Kaczyński se refusent à reporter l’élection présidentielle prévue en mai prochain. Pourquoi et à quel prix ?

Au soir du 13 octobre dernier, suite à la nouvelle victoire du PiS aux élections législatives (43,5 % des voix), Kaczyński tenait un discours en demi-teinte. Evidemment, le parti pouvait se féliciter de rester au pouvoir, mais la sensation d’avoir atteint un résultat minimal se faisait largement ressentir. En effet, le Sénat était désormais contrôlé par l’opposition et le PiS disposait certes d’une majorité, mais celle-ci ne se renforçait pas au niveau comptable et été atteinte grâce à une coalition avec trois autres partis : Porozumienie de Jarosław Gowin(18 sièges), Solidarna Polska de Zbigniew Ziobro (18) et le Partia Republikańska (1).

Ainsi, l’attention se portait d’ores et déjà vers l’élection présidentielle – troisième rendez-vous électoral majeur en un an – prévue quelques mois plus tard. Une victoire de Duda devenait très vite la priorité absolue du PiS afin que le gouvernement puisse mettre en œuvre librement ses réformes au cours de son mandat. En effet, si le Président n’a pas un rôle central en Pologne, il dispose tout de même d’une capacité de blocage législatif conséquente.

La bataille politique entre le PiS et l’opposition a donc continué ces derniers mois au fil des bons résultats économiques et des controverses suscitées par les réformes judiciaires entreprises. Très vite, et comme attendu, la campagne électorale s’est resserrée entre le Président sortant (soutenu par le PiS) et Małgorzata Kidawa-Błońska (Platforma Obywatelska). La candidate de l’opposition parvenant même à réduire de manière conséquente son retard sur Duda comme le prouvent les sondages réalisés fin février qui les plaçaient à quelques points d’écart lors d’un hypothétique second tour les opposant. Un mois plus tard, la situation a considérablement évolué du fait de la crise sanitaire. La popularité de Duda, omniprésent dans la gestion de crise, a grimpé en flèche. Les derniers sondages prédisent même une possible victoire dès le premier tour. L’argument principal de la tenue de ces élections s’explique donc par la volonté du PiS de profiter de cet élan de popularité suscité par une gestion de crise (pour l’instant) efficace et maîtrisée et par la solidarité de fait autour du Président. Cela, au mépris des principes d’égalité et d’équité nécessaires à la tenue d’une élection démocratique.

Source: Politico

Le PiS a évidemment bien conscience que la popularité de Duda pourrait s’effondrer ces prochains mois du fait de l’aggravation de l’épidémie dans le pays et de l’inévitable détérioration de la situation économique. Les autorités attendent effectivement une profonde récession économique en 2020 – la première depuis une vingtaine d’année. Face à l’impossibilité de tenir des élections dans des conditions normales, le PiS a commencé à évoquer au cours du mois de mars la possibilité de recourir au vote postal. De son côté, l’opposition a demandé avec constance et unanimité la mise en place de l’état de catastrophe naturelle permettant de repousser ces élections pour une période d’au moins trois mois.

Décidé à maintenir coûte que coûte ces élections, au nom de la stabilité démocratique, le PiS a finalement soumis un projet de loi au vote du Parlement confirmant la mise en place du vote postal. Pour la première fois depuis de nombreuses années, ce vote n’a pas connu d’issue positive (228 pour, 228 contre et 4 abstentions). Le soir même, le PiS revenait pourtant à la charge avec une seconde proposition législative, cette fois acceptée. Le projet de loi doit désormais être étudié par le Sénat sous une période de 30 jours. Ce dernier, contrôlé par l’opposition devrait vraisemblablement le refuser et le renvoyer ensuite au Parlement (qui pourra ensuite refouler ce veto). Dans de telles circonstances, en cas de 1er tour le 10 mai, le PiS ne disposerait que de quelques jours pour mettre en place l’élection par voie postale. Grâce à la modification du code électoral, la date pourrait être ajournée au 17 mai cependant.

La marge de manœuvre semble donc très limitée pour le PiS puisque le processus électoral s’annonce pour le moins chaotique tant au niveau constitutionnel (selon le Tribunal Constitutionnel, une modification substantielle du code électoral doit intervenir 6 mois avant toute élection) que technique (acheminement des bulletins, circonscriptions électorales non mises à jour, sécurité sanitaire non garantie, possibilités multiples de fraude, manque de personnel et de capacités, etc.). Un déficit de légitimité électorale est donc attendu et ne pourra être que renforcé par la faible participation annoncée – puisque 80 % des votants seraient contre le maintien de ces élections.  

Au coeur de ce mélodrame législatif, Jarosław Gowin – leader de Porozumienie et surtout Vice-Ministre des Sciences et de l’Enseignement Supérieur. Opposé à la tenue de ces élections du fait de conditions sanitaires inadéquates, il a proposé une solution intermédiaire : l’extension du mandat présidentiel de deux ans et la tenue de la présidentielle en 2022 – à laquelle Duda ne pourrait pas se présenter. 

C’est évident pour moi: les élections ne peuvent pas avoir lieu le 10 mai. Je convaincrai tout le camp de la droite unie car la Pologne a besoin de notre unité.

Sa proposition rejetée, il a choisit de démissionner du gouvernement pour revenir sur les bancs du Parlement. Cette démission pourrait alors avoir de profondes conséquences pour l’avenir politique du pays. En effet, la fidélité de Porozumienie est cruciale pour le maintien de la coalition. Si 4 députés (ou plus) venaient à quitter la coalition, alors le PiS perdrait la majorité parlementaire (231 sièges). Malgré l’annonce de Gowin que son parti veillerait à maintenir la stabilité politique du pays en ces temps de crise, des bruits de couloirs circulent déjà sur la possible volonté de Gowin de mettre en place une coalition alternative (Plateforme Civique, PSL, partis de gauche). 

Néanmoins, une telle alternative paraît tout de même politiquement peu probable à l’heure actuelle. N’oublions pas que Gowin dispose de relations pour le moins compliquées avec la Plateforme Civique à laquelle il appartenait il y a quelques années. Et si les divisions politiques venaient à s’effacer devant l’impératif de changement, de gros doutes demeurent quant à la volonté de ces partis d’assumer le pouvoir en des temps si difficiles. La stabilité gouvernementale devrait donc vraisemblablement durer pour l’instant. Mais pour combien de temps ? 

La démission de Gowin traduit une rupture politique conséquente au sein de la majorité qu’il sera difficile de résorber. Cet épisode a ainsi montré que les partenaires politiques du PiS disposaient d’un véritable pouvoir de contrôle sur les plans du gouvernement. De possibles dissensions ne sont donc pas à exclure ces prochains mois. Reste à voir si la fronde gagnera l’ensemble du parti Porozumienie ou si celle-ci concernera seulement quelques députés comme Gowin. De plus, cette crise met également en lumière l’unité toujours plus fragile au sein du PiS et autour de Kaczyński. Les divisions internes, connues de longue date, semblent de plus en plus visibles et pourraient affecter de manière plus importante que prévue le mandat actuel du PiS.

Ainsi, la volonté surréaliste de maintenir ces élections pourraient à terme desservir le parti au pouvoir. Malgré la tenue d’élections démocratiquement et constitutionnellement contestables, il est vraisemblable que Duda soit facilement réélu en mai prochain. Toutefois, le prix de cette victoire pourrait être très élevé et ammener le PiS de Kaczyński à tout perdre. Face à l’indifférence du pouvoir quant aux conséquences sanitaires sur la population, il ne fait aucun doute que l’opposition aura de nombreuses cartes à jouer. Mais pour l’instant la stabilité politique devrait en toute logique perdurer. Au moins pendant un mois, jusqu’à la relecture du projet de loi par le Parlement. À cette occasion, la décision ou les décisions de Gowin de ses députés pourraient s’avérer cruciales pour l’avenir politique du pays. 

Romain Le Quiniou.

Les propos de l’auteur sont personnels et ne peuvent en aucun cas engager la responsabilité juridique de l’association Euro Créative.

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1 commentaire pour “À « Quitte ou double », le PiS et l’élection présidentielle”

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