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Coup de com’ à la Maison Blanche

Le 4 septembre, un « accord de normalisation économique » a été signé entre la Serbie et le Kosovo. Le terme d’accord est fortement remis en question puisque le Président Vučić et le Premier Ministre Advullah Hoti ont signé deux documents différents. Cet « accord », selon le négociateur de la Maison Blanche Richard Grenell, est censé normaliser les relations pour les jeunes et les gens ordinaires. Au lieu de cela, de nombreux points ne semblent être qu’un reflet des politiques américaines et ne changeront donc pas la vie des citoyens ordinaires du Kosovo ou de la Serbie. Le contenu de ces documents a été rendu public peu après. Seuls deux points concernent l’économie et la jeunesse. L’un porte sur la reconnaissance des diplômes et l’autre sur les infrastructures.

Depuis le début des négociations, Grenell a maintenu que cet « accord » portait sur l’économie et non pas sur la politique. Or, il n’y a rien de fondamentalement non-politique dans l’économie et comble de l’ironie il n’y a rien d’économique dans cet accord. Cet accord comprend trois points entièrement politiques.

  • Tout d’abord, l’accès à l’équipement 5G. Cette partie de l’accord de «normalisation» visait la Chine. C’est un point inutile car il limite l’approvisionnement auprès de fournisseurs non approuvés. Or la Serbie ne semble pas considérer Huawei comme un fournisseur non-fiable. Selon les premières informations, l’accord étant non-juridiquement contraignant, cela pourrait n’avoir aucun impact sur l’attitude de la Serbie dans ce domaine. De plus, les autorités auraient affirmé ne pas avoir l’intention de superviser directement la mise en oeuvre de ces accords.
  • Ensuite, la dé-pénalisation de l’homosexualité est clairement établie. Ce point a été poussé par Grenell et il est tout à fait louable, mais cela n’a rien à voir avec la normalisation entre le Kosovo et la Serbie.
  • Enfin, le dernier point politique se situe au niveau des relations avec Israël. D’une part il est question d’une reconnaissance diplomatique entre Israël et le Kosovo. D’autre part, du déménagement de l’Ambassade serbe de Tel Aviv à Jérusalem – un détail que Vučić a semblé découvrir au dernier moment compte tenu de sa réaction lors de la cérémonie de signature. Mentionnons aussi que le Hezbollah est clairement désignée comme organisation terroriste. La reconnaissance d’Israël par le Kosovo n’aura aucune conséquence directe sur la normalisation entre les deux voisins.

Ainsi, en pleine campagne électorale, l’administration Trump a clairement utilisé les deux délégués pour obtenir une petite victoire politique. Le Président des États-Unis n’a d’ailleurs pas hésité à signifier que cet « accord » était une grand jour pour la paix au Moyen-Orient !

Le Kosovo a effectivement une population majoritairement musulmane, mais pourquoi insister spécifiquement sur ce point lorsque l’on connait l’héritage historique de cette région européenne? Trump est conscient que les affaires balkaniques ne lui feront pas gagner de voix. Il a donc tenté d’adapter cette rencontre en sa faveur et a probablement réussi. Ce qui est fascinant, c’est que Avdullah Hoti et Aleksandar Vučić étaient des participants volontaires à cette mascarade diplomatique. Tout cela semblait être un coup médiatique savamment élaboré par ces trois complices. Ainsi, Vučić a pu montrer sa forte opposition à la pleine reconnaissance du Kosovo et, Hoti a pu participer à un événement majeur alors que le Kosovo est en crise politique depuis la chute du gouvernement durant la pandémie.

D’ailleurs, la veille de la réunion à la Maison Blanche, un correspondant indépendant (The Pavlovic Today) a affirmé que l’un des articles de l’accord exigeait une pleine reconnaissance mutuelle. Richard Grenell a immédiatement nié cela alors que les médias serbes n’ont cessé d’en parler. Le Ministre de Finances, Siniša Mali, a affirmé n’avoir jamais été confronté à un pire document et que le Président Vučić subissait beaucoup de pression. Par conséquent, les médias régionaux ont rapporté que le Président demeurait fermé sur ce point et n’a pas reculé. Le point aurait donc été supprimé.

Parallèlement, la délégation serbe a préféré insister sur les avancées concernant le « Mini-Schengen ». Il s’agit d’une initiative lancée l’année dernière mutuellement par l’Albanie, la Macédoine du Nord et la Serbie. Le Président Vučić a annoncé qu’il insisterait sur la participation du Kosovo à ce processus. Finalement, ce point a été inclus dans le document. En insistant sur le mini-Schengen, le Président transforme le discours du Kosovo et de la Serbie en une question régionale et non bilatérale sachant que la plupart des pays des Balkans, à l’exception de la Roumanie et de la Bosnie-Herzégovine ont établi des relations avec le Kosovo. La Macédoine du Nord et l’Albanie entretiennent notamment des relations de longue date avec le Kosovo. Le discours mini-Schengen est utile au gouvernement Serbe afin d’éviter de s’attaquer au vrai problème: la reconnaissance du Kosovo.

« Les combats politiques ont freiné la croissance des jeunes » a dit Richard Garnell, avant la signature. Il a déclaré que l’administration Trump se concentrerait sur la manière de créer des emplois dans cette région. Le taux de chômage des jeunes est effectivement élevé dans les deux pays. C’est particulièrement mauvais pour le Kosovo alors que sa population est la plus jeune en Europe. À Prishtina, la capitale, l’âge moyen est de 28 ans et 53% de sa population des personnes au total ont moins de 25 ans.

Le seul point de l’accord qui vise directement cette partie de la population est la reconnaissance mutuelle des diplômes. Cependant, cela n’a rien de nouveau. Depuis 2008, la Serbie a commencé la reconnaissance des diplômes – même s’il demeure des restrictions administratives importantes. En 2011, les deux pays se sont mis d’accord sur la reconnaissance mutuelle, mais dans la pratique, cela reste difficile. De 2012 à 2014, une organisation non gouvernementale appelée SPARK était responsable de la notification des diplômes. Cela a conduit à de nombreuses critiques et peu de demandes ont été traitées. En 2015, le processus a été institutionnalisé, encore une fois, non sans défauts. La loi serbe a été modifiée en 2016, ce qui a atténué certaines restrictions à la reconnaissance, mais pas toutes. Les données sur la reconnaissance exacte ne sont pas rendues publiques, mais selon Open Society Fondation, le processus est encore difficile et lent.

La reconnaissance diplomatique du Kosovo semble nécessaire pour la reconnaissance des diplômes au Kosovo. Aujourd’hui, par exemple, les citoyens kosovars restent affectés par la difficulté d’obtenir les numéros d’identification uniques, nécessaires à la procédure de vérification des diplômes. L’Union européenne, par le biais du processus d’élargissement, travaille sur ce problème de la reconnaissance depuis des années. Il y a eu des améliorations, mais le processus est lent. Une seule phrase sur l’engagement en faveur de la reconnaissance de diplômes mutuelle n’est ni révolutionnaire ni historique.

En conclusion, il semblerait que cette mascarade n’ait été qu’un coup médiatique pour ces trois responsables politiques et leurs gouvernements. Vučić et Hoti ont désormais rendez-vous avec l’Union Européenne dans le cadre du dialogue Belgrade-Prishtina. À suivre…


Les propos de l’auteure sont personnels et ne peuvent en aucun cas engager la responsabilité juridique de l’association Euro Créative.

Ana Jovanović

Ana est étudiante en Master à l’Université de Bologne où elle se concentre sur l’Europe de l’Est. Elle est titulaire d’un Baccalauréat en langue et littérature françaises de l’Université de Sarajevo. Au cours de ses études de licence, elle a participé à de nombreux programmes de réconciliation régionale dans les Balkans. Pendant ce temps, elle a également effectué un stage à la Mission de l’OSCE en Bosnie-Herzégovine et au Minority Rights Group International. Enfin, elle est devenue John Lewis Fellow aux États-Unis. Ana s’intéresse au discours médiatique, à la manière dont le monde numérique se transforme en physique mais aussi à la problématique des régimes hybrides et au processus de démocratisation.

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