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Qu’en est-il du ‘rêve géorgien’?

Cet article est issu du cinquième numéro du magazine bi-mensuel ‘New Eastern Europe‘. Nommé « Juggling a pandemic » (Gérer une pandémie), ce numéro s’attarde sur la façon dont les pays d’Europe orientale gèrent (ou non) les conséquences de cette pandémie de Covid-19. Des conséquences d’ordre politique, économique et social. Une autre partie importante de ce numéro est consacrée aux perspectives du Partenariat oriental pour la décennie 2020. D’autres articles, des entrevues ainsi que des revues littéraires viennent aussi s’ajouter à plus de 200 pages de contenu riche et varié.

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Cet article a été écrit par Mackenzie Baldinger, ‘contributing editor’ chez New Eastern Europe et spécialiste de l’extrémisme politique et du populisme en Europe centrale et orientale. La traduction a été réalisée par Euro Créative.

Comme pour une grande partie du monde, la Géorgie a vécu la première moitié de l’année 2020 de manière imprévue. Le parti au pouvoir, le ‘Rêve géorgien’, a été confronté au choix difficile d’épargner les pertes économiques ou d’imposer des réglementations strictes pour préserver la santé publique. Le virus COVID-19, bien qu’il ait été largement freiné en Géorgie par une action décisive, a produit de nombreux problèmes économiques dans un pays tourné vers une élection imminente.

Cette année s’annonce différente de tout ce que l’on aurait pu prévoir. Beaucoup s’attendaient à ce que l’on se préoccupe du retrait de la Grande-Bretagne de l’Union européenne, des Jeux olympiques d’été à Tokyo ou de l’élection présidentielle américaine très contestée de l’automne. Au lieu de cela, les six premiers mois ont été marqués par une fermeture mondiale et une crise économique et sanitaire subséquente causée par la Covid-19. La Géorgie, qui avait prévu dix mois de combats politiques et de promesses de campagne à l’approche des élections législatives d’octobre, s’est rapidement retrouvée aussi préoccupée que le reste du monde par la nécessité de combattre le virus. Cependant, alors que le pays a émergé comme un modèle et a célébré ses efforts fructueux pour éviter une crise de santé publique, le gouvernement et l’électorat se tournent désormais à nouveau vers les élections à venir et portent notamment leur attention sur la situation économique du pays.

Une position précaire

L’actuel gouvernement géorgien, selon de nombreux témoignages, a réussi à endiguer la propagation du Covid-19. Fin avril, le Secrétaire général des Nations unies saluait même les efforts déployés par l’administration. Ces efforts ont consisté notamment à fermer toutes les frontières terrestres et aériennes, à fermer les entreprises non essentielles et à imposer un couvre-feu et un masque dans les lieux publics. En juillet, l’espace Schengen a été rouvert aux citoyens géorgiens et l’ambassadeur de l’UE en Géorgie, Carl Hartzell, a salué les mesures « énergiques » et « rapides » prises par le gouvernement, précisant même:

« Je ne pouvais pas penser à un meilleur endroit où être en ce moment que la Géorgie« .

Car Hartzell – Ambassadeur de l’Union européenne en Géorgie.

En plus de l’approbation des partenaires internationaux, les chiffres de la Géorgie et le taux de popularité du gouvernement symbolisent une véritable réussite. À la fin du mois de juillet, le pays avait signalé un peu plus de 1 100 cas de contamination pour seulement 16 décès (dernières statistiques disponibles ici). Une étude récente du Centre de ressources pour la recherche sur le Caucase (CRRC) a révélé que le public géorgien soutenait majoritairement les premières mesures prises par le gouvernement et que la confiance dans les institutions publiques s’était accrue au cours des premiers mois de la pandémie.

Source: Wikipédia.

Alors que le pays se relevait de la première vague de l’épidémie et était libéré de nombreuses restrictions socio-économiques, l’attention du public s’est dès lors tournée vers les prochaines élections et l’état général de l’économie. Vers la mi-mai, des enquêtes publiques ont montré une augmentation significative du pourcentage de personnes qui considéraient le coût économique des restrictions du gouvernement comme pire que le virus lui-même. Ce n’était pas le cas en mars et avril. Des rapports ont révélé que le revenu mensuel moyen des ménages en Géorgie a presque diminué de moitié, passant d’environ 350 dollars à 210 dollars de mars à mai. Dans le même temps, 13 % des ménages ont déclaré n’avoir aucun revenu au cours du mois de mai. Outre la perte de revenus, une analyse de la Banque mondiale montre que l’économie géorgienne devrait se contracter de 4,8 % cette année, faisant de 2020 la pire année pour l’économie depuis la transition du pays du communisme au début des années 1990. L’agence de notation de crédit Scopes a averti que le niveau élevé de dépendance du pays vis-à-vis des importations et des investissements directs étrangers, ainsi que les niveaux élevés d’endettement en devises étrangères et la dépréciation du lari géorgien, ont mis le pays dans une position économique précaire.

Compte tenu de l’aggravation de la situation, le gouvernement dirigé par le parti du ‘Rêve géorgien’ doit maintenant relever le défi de sécuriser le soutien de ses partisans au cours des dernières semaines avant les élections. En juin, le gouvernement a publié son plan économique anti-crise qui propose un budget modifié pour 2020 et de nouvelles initiatives pour atténuer l’impact économique de la pandémie. Le plan a été divisé en trois étapes.

La phase initiale du plan économique prévoyait de généreuses subventions et des allégements fiscaux, dont beaucoup ont été mis en œuvre en mars et avril. Pendant trois mois, à partir de mars, le gouvernement a subventionné les factures de services publics de 1,2 million de familles et a offert un report de paiement des prêts. Il a également offert une subvention de 80 % sur les prêts aux entreprises contractés par les petits hôtels et a reporté à novembre tous les impôts fonciers et sur le revenu des entreprises liées au tourisme.

La deuxième phase du plan économique anti-crise du parti ‘Rêve géorgien’ comporte une série de prestations sociales visant à soutenir la population à court-terme. L’une des plus importantes dépenses du nouveau budget est un programme de six mois qui offre 200 lari (environ 62 dollars) par mois aux chômeurs, une prestation à laquelle 350 000 citoyens ont actuellement droit. Le gouvernement a également offert six mois d’exonération de l’impôt sur le revenu pour les salaires mensuels jusqu’à 750 lari, ainsi qu’une allocation de 600 lari pour les familles qui sont enregistrées comme « socialement vulnérables ».

Ces programmes d’aide sociale coïncident avec la mise en œuvre d’augmentations de salaire précédemment prévues pour certains secteurs de la population active. Dans le budget initial de 2020, le parti au pouvoir avait prévu d’augmenter les salaires des enseignants, des policiers et de certains médecins. En outre, il prévoyait également d’augmenter les pensions de l’État. Ces augmentations prévues devaient prendre effet en juillet et en septembre et ont été sévèrement critiquées par les partis d’opposition qui ont considéré cette initiative comme un achat de voix.

Il n’est pas surprenant que les prestations sociales supplémentaires annoncées dans le sillage de la Covid-19 aient suscité une telle condamnation de la part de l’opposition. Des représentants de plusieurs partis, dont les partis ‘Géorgie européenne’ et ‘Lelo’, ont critiqué l’absence de plans du gouvernement pour stimuler l’économie à long terme et créer des emplois. L’opposition a également souligné le fait que la période de six mois d’augmentation des prestations sociales se terminerait, comme par hasard, directement après les élections parlementaires d’octobre.

Équilibrer le budget

L’ensemble des programmes d’aide sociale et les augmentations de salaire du gouvernement du Rêve géorgien ne sont pas bon marché. Selon les amendements du gouvernement au budget 2020, en plus d’une chute de la croissance économique estimée à 4 %, le gouvernement s’attend à perdre 1,8 milliard de lari de recettes (environ 587 millions de dollars) en raison de la crise économique et des réductions d’impôts mises en œuvre. Malgré la baisse significative des recettes fiscales, le budget modifié reflète une augmentation des dépenses de 1,5 milliard de lari (environ 490 millions de dollars). Les amendements budgétaires proposés par le gouvernement présentent ainsi une augmentation inquiétante des dépenses, une grande partie des fonds étant consacrée à l’aide sociale à court terme avant les élections.

Le nouveau budget justifie l’augmentation de ses dépenses et la perte de recettes par deux sources principales : l’aide allouée par les partenaires internationaux et la dette. Dans le sillage de la pandémie de Covid-19, le gouvernement a annoncé que trois milliards de dollars avaient été alloués pour aider à atténuer les déficits budgétaires sous forme de prêts et de subventions provenant d’organisations financières internationales comme la Banque asiatique de développement, l’Institut allemand de crédit pour la reconstruction et le Fonds monétaire international. Très logiquement, le gouvernement a ansi creusé sa dette extérieure – de façon sans précédent – pour rectifier le déséquilibre budgétaire de cette année. Cela n’est pas une surprise toutefois puisque le gouvernement avait déjà annoncé en 2019 qu’il prévoyait de creuser dette publique en 2020, ce que beaucoup considéraient alors comme un moyen de financer sa période préélectorale. Le budget modifié de juin montre que la dette publique devrait augmenter de sept milliards de lari cette année, dont 5,2 milliards de dette extérieure. Cette évolution est préoccupante pour la stabilité macroéconomique de la Géorgie.

Non seulement la dette publique est passée de 47,5 % du PIB à 54,8 % en un an, mais 77 % de cette dette est désormais détenue par des étrangers. Malgré les efforts de la Banque nationale géorgienne pour stabiliser le lari, sa valeur n’a pas cessé de se déprécier. Une dépréciation continue qui rend la dette extérieure de plus en plus chère pour le gouvernement et de plus en plus difficile à gérer convenablement. De leur côté, les partis d’opposition ne se sont pas fait priés pour se saisir de cette opportunité politique. Ainsi, un député du parti du Mouvement national uni soulignait récemment:

« 54 % du budget est constitué de dons et d’emprunts », ce qui ne s’est même pas produit « à l’époque de Chevardnadze ».

Rendez-vous en octobre

À l’approche des élections, les décisions budgétaires du gouvernement suscitent des inquiétudes par rapport aux conséquences macroéconomiques à long terme d’un plan économique qui ne semble pas dépasser le mois d’octobre. Malgré les nombreuses critiques de l’opposition concernant ces lacunes, une étude récente du Caucasus Research Resource Center a révélé que l’augmentation des prestations sociales bénéficie d’un large soutien de la part de la société géorgienne. En outre, un sondage effectué par Edison Research en juillet a montré que 39 % des personnes interrogées prévoient de voter pour le ‘Rêve géorgien’. Avec 20 % de personnes interrogées actuellement indécises, même une coalition du Mouvement national uni, de la Géorgie européenne et d’autres partis d’opposition ne bénéficierait pas actuellement d’un soutien suffisant pour l’emporter.

À quelques semaines des élections, le gouvernement du ‘Rêve géorgien’ semble être dans une position solide. Cependant, les récentes critiques des partenaires internationaux – liées à un accord signé par l’opposition et le parti au pouvoir le 8 mars dernier – pourraient venir troubler cette quiétude. En effet, avant que le Covid-19 ne ferme le pays à la mi-mars, les partis géorgiens ont convenu d’entamer la transition vers un système de vote proportionnel. Cela permettrait d’attribuer 120 sièges parlementaires sur 150 selon ce mode de scrutin. Initialement, l’accord a été reçu comme un succès par les partenaires internationaux jusqu’à ce que l’opposition accuse le gouvernement quelques semaines plus tard de ne pas respecter une partie de l’accord en refusant de libérer trois dirigeants de l’opposition de prison. Ce qui aurait été un différend interne entre l’opposition et le parti au pouvoir a pris une envergure internationale lorsque le Président de la Commission des Relations Étrangères du Sénat américain, Jim Risch, a demandé aux deux parties de respecter pleinement l’accord, y compris la « libération des prisonniers politiques« .

Cette rhétorique accusatrice s’est encore intensifiée en juillet, lorsque la commission des crédits de la Chambre des représentants des États-Unis a stipulé que les États-Unis pourraient retenir 15 % des fonds destinés à la Géorgie si le gouvernement ne prenait pas les mesures adéquates pour renforcer les institutions démocratiques et faire respecter l’État de droit. Cette évolution ne semble pas avoir de conséquences directes sur les élections, mais elle pourrait compliquer davantage les relations diplomatiques du parti au pouvoir avec ses partenaires stratégiques et venir nourrir l’argumentaire de l’opposition quant à la crédibilité internationale de la Géorgie.

Comme pour une grande partie du monde, la Géorgie a vécu la première moitié de l’année 2020 de manière imprévue. Le parti au pouvoir, le ‘Rêve géorgien’, a été confronté au choix difficile d’épargner les pertes économiques ou d’imposer des réglementations strictes pour préserver la santé publique. Le virus COVID-19, bien qu’il ait été largement freiné en Géorgie par une action décisive, a produit de nombreux problèmes économiques dans un pays tourné vers une élection imminente. Les dépenses massives consacrées à des programmes sociaux à court terme dans le but de stimuler temporairement l’économie et de renforcer le soutien électoral menacent de laisser le pays vulnérable. L’importance de sa dette extérieure et le manque de vision long-terme concernant la relance de l’économie et la création d’emplois pourraient s’avérer désastreux. Cependant, ce pari risqué semble pour le moment gagnant et devrait permettre le succès du parti ‘Rêve géorgien’ en octobre prochain. Si la victoire semble se dessiner, les événements de 2020 nous auront cependant au moins appris que beaucoup de choses peuvent se passer en deux mois…


Euro Créative remercie son partenaire New Eastern Europe pour la possibilité de publier cet article et vous invite à vous abonner à leur revue bi-mensuelle.

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