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La réconciliation en Bosnie-Herzégovine passe par la société civile

La problématique de la réconciliation est centrale au développement de la Bosnie-Herzégovine contemporaine et doit surmonter les lignes de division interne héritées des Accords de Dayton (Décembre 1995). Il s’agit là d’une évidence compte tenu des tragédies survenues dans les Années 90 au cours desquelles le processus de nettoyage ethnique a conduit à des actes génocidaires tel le Massacre de Srebrenica (Juillet 1995). Face à cet héritage, un processus de réconciliation est évidemment impératif entre les différentes communautés. Mais alors qui des institutions ou des citoyens est le plus à même d’assumer cette lourde responsabilité ?

D’une part, cet article analysera l’action institutionnelle des autorités de Bosnie-Herzégovine dans le système éducatif notamment à travers l’incapacité d’outrepasser les différents récits historiques émanant des trois ‘peuples constitutifs’. D’autre part, l’article s’intéressera au mouvement de protestations de février 2014, comme un exemple avéré de réconciliation par le bas. On cherchera ainsi à déterminer quelles mesures peuvent être considérées comme les plus appropriées pour la réconciliation en Bosnie-Herzégovine. Ou au contraire, on suggérera d’éventuels aménagements, afin d’améliorer les conditions de paix internes entre les citoyens.

Carte de la Bosnie-Herzégovine – Wikipédia

L’État face aux ‘récits historiques’ communautaires

Le premier thème qu’on a choisi d’analyser concerne la résilience de l’État de Bosnie-Herzégovine face aux différents récits historiques concernant les Années 90 au sein de son système éducatif et civique. Ces domaines, en effet, sont la base essentielle pour la formation d’une conscience critique, commune à l’ensemble de la nation. Et donc, ils sont nécessaires pour parvenir à l’élimination de la haine inter-communautaire. Il est clair que si l’on veut mettre en oeuvre un réel processus de réconciliation et de reconstruction des liens sociaux – et non pas une simple et passive acceptation d’une paix imposée par l’extérieur – il est fondamental de transmettre un récit historique objectif et commun. Ceci n’est pas le cas actuellement en Bosnie-Herzégovine.

Étant donnée la division de l’État en deux entités et la décentralisation de l’éducation scolaire aux ministères cantonaux (pour la Fédération de Bosnie-Herzégovine) et à la Republika Srpska, on trouve pas moins de 13 systèmes éducatifs différents. Et donc 13 interprétations différentes de la même période historique, bien souvent très différentes les unes des autres. Chacune, attribuant – de façon plus ou moins voilée – des fautes et des griefs aux autres parties prenantes. Sans compter l’hétérogénéité des manuels…

Ainsi l’aspect le plus préoccupant du système éducatif de Bosnie-Herzégovine demeure l’impossibilité pour les étudiants de développer une réflexion critique face aux événements de la guerre. L’étude subjective du conflit associée à la division des écoles sur une base ethnique et religieuse empêche de fait la jeunesse de comprendre les faits historiques avérés, d’assimiler leurs conséquences et de surmonter les divergences et les préjugés réciproques, qui ont pourtant été à la base du déclenchement de la guerre des Années 90.

L’unique exception de ce système est représentée par la United World College de Mostar, seule école ‘pluriethnique’ du pays. À la suite d’une étude de cas sur des étudiants bosniaques, croato-bosniens et serbo-bosniens, on a relevé de faibles niveaux d’antagonisme parmi ces jeunes, un désir accru de compréhension de ‘l’autre’ et une plus grande collaboration au cours d’activités extra-scolaires. Cet exemple nous invite donc à réfléchir sur la nécessité d’une réforme du système éducatif en Bosnie-Herzégovine via une centralisation prise en charge par le Ministère de l’Education de l’État et un rééquilibrage de la tradition historique, prenant en compte les différents points de vue des parties. Ces évolutions semblent déterminantes pour une effective réconciliation interne.

La société civile, moteur de la réconciliation ? L’exemple de 2014

Aux antipodes de l’action (ou de l’inaction) institutionnelle, on peut s’intéresser aux soulèvements populaires de février 2014, qui ont d’abord éclatés dans la ville industrielle de Tuzla et qui se sont ensuite étendus à Zenica, Sarajevo et d’autres localités du pays – avec une prédominance dans les localités bosniaques. Ce mouvement populaire représentait l’expression d’une crise socio-économique persistante, associée à un taux élevé du chômage chez les jeunes (62,8 % en 2012) et à une corruption endémique et croissante. Les manifestants appelaient à de meilleures conditions de vie et de travail pour l’ensemble de la population, un allégement de la bureaucratie et une meilleure gestion des affaires publiques au niveau gouvernemental.

En effet, la nécessité de faire face aux difficultés économiques a conduit les Bosniens à former les ‘plena’ : des assemblées populaires libres où des demandes publiques étaient élaborées avant d’être soumises aux institutions centrales. L’ouverture des assemblées à tous les citoyens a permis de surmonter partiellement les préjugés et elle a facilité la naissance d’une nouvelle société civile, unifiée par des demandes communes et non plus divisée par l’appartenance ethnique ou religieuse. Ces ‘plena’ étaient les lieux principaux où la confrontation sociale s’exprimait et, à travers laquelle la réconciliation se solidifiait. Elles ne rassemblaient pas seulement des travailleurs – même s’ils en représentaient la majorité – mais aussi des jeunes, des chômeurs, des enseignants et plus largement toutes les catégories qui se sentaient impliquées dans ces protestations.

La population qui a participé aux protestations était pour la majorité des jeunes adultes conscients de l’importance de leur rôle au sein de la société. C’est pour cette raison que les institutions locales ont largement fait obstacle aux réunions plénières. Plus que des assemblées pacifiques et de soutien à la citoyenneté, elles représentaient surtout une menace de dépassement du statu quo que semblent poursuivre les institutions régionales de Bosnie-Herzégovine. Malheureusement, ces ‘plena’ ont peu à peu perdu l’élan nécessaire en raison de leurs origines populaires et du fait de manque de soutien extérieur au pays en matière de réformes. Sauf indirectement par le biais du Progress Report 2014 de la Commission Européenne. Peu à peu, elles ne sont plus parvenues à se réunir de façon optimale et à maintenir ce lieu d’agrégation sociale.

En conclusion, la réconciliation interne entre les trois peuples constitutifs de Bosnie-Herzégovine semble ne se manifester ouvertement que dans les conditions de revendications sociales communes et en guise de contestation envers les institutions étatiques et régionales. Les institutions de leur côté, contrairement aux déclarations officielles, ne semblent pas préparées à la réforme d’un système qui finalement leur convient. Cette incapacité se renforce par une fébrilité accrue des autorités centrales comme en témoignent les récurrentes menaces sécessionnistes provenant de la Republika Srpska (2008, 2016, 2018, 2020) à chaque tentative de renforcement de la centralisation du pouvoir central.

Il apparaît donc évident que la réconciliation devra se renforcer via des projets de coopération directe entre les citoyens. Les représentants de la société civile bosnienne, ONGs et associations citoyennes, devront elles-mêmes être en mesure de saisir les aspirations de renouvellement de la société (notamment des jeunes) afin de les orienter vers une collaboration interethnique et un soutien mutuel, indépendamment des facteurs identitaires. Seulement de cette manière, à travers l’établissement de liens et d’une unité citoyenne, on pourra arriver à comprendre les facteurs de division antérieurs, et ainsi entamer un véritable processus de réconciliation dans le temps présent.


Les propos de l’auteure sont personnels et ne peuvent en aucun cas engager la responsabilité juridique de l’association Euro Créative.

Letizia Storchi

Passée auparavant par l’Université de Bologne (Bachelor en Sciences Politiques Sociales et Internationales) et l’Université Catholique de Louvain-la-Neuve (Études Européennes), Letizia est désormais titulaire d’un Master en Relations Internationales obtenu à l’Université de Turin. Elle a notamment réalisé une thèse sur le processus d’intégration européenne de la Bosnie-Herzégovine publiée par l’Observatoire Transeuropa sur les Balkans et le Caucase (accessible ici). Enfin, elle a également réalisé un stage au sein de l’Institut « Europe Direct » en communication et social media. Letizia parle italien, anglais et français. 

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