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PAYS BALTES, LE TRAGIQUE XXe SIECLE COMME BOUSSOLE STRATEGIQUE

Le changement de ton du Président Macron à propos de la Russie et plus largement concernant les enjeux de la guerre en Ukraine a suscité de nombreux débats. Pas seulement en France mais aussi à travers toute l’Europe. Parmi les soutiens les plus vocaux: les trois pays baltes.

Cela s’explique facilement. Les pays baltes, parmi les victimes historiques de l’impérialisme russe, comprennent mieux que quiconque les risques de la guerre en Ukraine pour l’ensemble de l’Europe. Les trois nations se souviennent des tragédies du XXème siècle et notamment leur disparition des cartes suite à la 2nde guerre mondiale. Leurs dirigeants actuels s’appuient donc sur certaines leçons tirées de l’entre-deux guerres pour s’assurer que leurs peuples resteront libres au cours du XXIème siècle.

N’en déplaise à Luc Ferry, ancien Ministre de l’Education Nationale (sic), les pays baltes ne sont pas cinq ou six pays situés en Europe du Sud-Est. Il n’est pas le premier responsable politique à se tromper publiquement et nombre de nos concitoyens n’ont jamais entendu parler de ces pays. Au-delà de lacunes éducatives inquiétantes et d’un égocentrisme très français, cette sortie pathétique pose la question du rapport de la France et des Français à l’Europe. Et notamment à notre histoire collective.

Ici se trouve probablement une des explications principales concernant les difficultés d’une partie de nos concitoyens à comprendre précisément les enjeux de la guerre en Ukraine et notre fébrilité collective face aux entreprises de désinformation russes. C’est la raison pour laquelle, nous nous attelons dans cet article à mettre en lumière les positions stratégiques contemporaines des pays baltes en rappelant quelques éléments historiques du XXème siècle. La compréhension mutuelle au niveau stratégique étant des éléments clés pour l’émergence d’une ‘Europe puissance’.  

La tragédie du XXeme siecle – Angoisse existentielle

Face à la possibilité d’une défaite de l’Ukraine, les Baltes ne sont pas seulement inquiets de la perspective d’une guerre. La défense du territoire national et de l’idée même de liberté fait partie de leurs histoires nationales. Ils se préparent à une telle éventualité, comme en témoignent les déclarations de plusieurs responsables politiques concernant un affrontement direct avec la Russie dans les 2 à 3 ans. Ils sont surtout inquiets de ce que représenterait une invasion russe. Les massacres de civils comme à Bucha, les assassinats et exécutions sommaires, les viols comme arme de guerre, les déportations massives et les bombardements terroristes. Ces pays ont déjà vécu ces horreurs.

Plus que tout, ces pays et leurs populations veulent éviter de revivre les drames de la 2ⁿᵈᵉ guerre mondiale et la perte de leurs indépendances retrouvées. Une disparition des cartes qui aura duré cinq décennies. Les leçons des Années 30 ont été assimilées et ces pays travaillent depuis les Années 90 à éviter de revivre une pareille tragédie. Si 2008 a été un signal clair du retour de la menace, 2022 n’aura été que la confirmation de l’imminence du danger. La stratégie des pays baltes depuis les Années 90 s’articule autour de trois grands axes: maintenir une unité régionale, multiplier les garanties externes de sécurité et influencer les narratifs sécuritaires de la communauté euro-atlantique.

Unité régionale

En ce qui concerne l’unité régionale, les trois pays baltes apparaissent depuis les Années 1990 pleinement coopératifs. Les formats trilatéraux leur permettent de jouer un rôle plus important sur la scène européenne et internationale. Plusieurs formats existent dans différents domaines, mentionnons par exemple l’existence d’une assemblée parlementaire balte. Les consultations régulières permettent des alignements politiques sur les enjeux stratégiques importants. Et ce, peu importe les forces politiques au pouvoir. Si l’unité régionale prévaut, il convient de ne pas nier les différences de vues et d’intérêts qui existent. Le dépassement de ces différences est sans doute le succès le plus probant des diplomaties baltes contemporaines. Au cours des Années 30, ces pays avaient des contentieux (territorial entre l’Estonie et la Lettonie par exemple) et n’ont jamais réussi à s’accorder stratégiquement, favorisant un certain isolationnisme d’ailleurs pleinement compatible avec l’arrivée au pouvoir de forces nationalistes et autoritaires.

Pire encore, les orientations stratégiques des pays baltes apparaissaient parfois opposées, en tout cas insuffisamment coordonnées face au retour simultané des menaces impérialistes soviétique et nazi. L’une des explications principales fut l’incapacité de ces pays à régionaliser l’importance de leur indépendance nationale et de la sécurisation de l’espace balte. L’existence d’un conflit entre la Lituanie et la Pologne depuis la prise de Vilnius en 1920 (dont la région est annexée en 1922) fut un problème particulièrement important au niveau régional. Cela a ainsi empêché toute coopération régionale élargie et a compliqué les relations entre les pays baltes. Aujourd’hui, aucun problème de cette nature n’existe et les pays baltes sont parvenus à construire des partenariats et une coopération régionale à la fois avec les pays nordiques (notamment la Finlande) et les pays d’Europe centrale (notamment la Pologne).

Garanties de sécurité externes

Ensuite, la tragédie des Années 30 fut pour les Baltes de ne pas être capables d’obtenir la moindre garantie de sécurité tangible que ce soit aux niveaux bilatéral, régional, multilatéral ou international. Il faut dire que les comportements isolationnistes se sont trouvés notamment justifiés par une croyance naïve envers un statut ambigu n’apportant alors ni neutralité ni alliance. De  fait, une position incapable de protéger de la détérioration du système international. En tant que petits Etats, les Baltes n’ont de toute évidence pas d’alternative à l’obtention de garanties externes pour assurer leur sécurité. La faillite de la Société des Nations dans les Années 30 n’a pas remis en cause l’attachement viscéral des Baltes à l’ordre international et aux organisations multilatérales. Mais ils savent que celles-ci sont insuffisantes.

Cela explique donc la rationalité de l’objectif de rejoindre la communauté euro-atlantique, l’UE et l’OTAN, à la suite du recouvrement de leurs indépendances dans les Années 1990. C’est l’article 5 de l’Alliance nord-atlantique qui fait désormais office de pilier de sécurité incontestable pour les trois pays. Sans que cela n’empêche les pays baltes d’accepter la recherche de développements complémentaires au niveau européen. En plus de cela, les pays baltes se sont engagés dans le renforcement de leur système d’alliances notamment au niveau minilatéral. En écho à nos propos concernant les coopérations régionales, les Baltes sont ainsi parvenus à s’insérer dans des formats stratégiques d’importance tels que le groupe Bucharest 9 (B9) sur le flanc oriental ainsi que le groupe Nordic-Baltic 8 (NB8). Aussi, les Baltes ont à cœur de renforcer leurs liens bilatéraux avec les principales puissances occidentales, les Etats-Unis en premier lieu mais aussi la Grande-Bretagne, la France ou l’Allemagne.

Influencer les narratifs occidentaux

Enfin, les Baltes ont également vocation à influencer les visions stratégiques de leurs alliés. Cela se traduit par une communication diplomatique active et quand cela est nécessaire agressive. L’un des succès incontestable des diplomaties baltes est la prise en compte progressive de la menace russe par la communauté euro-atlantique. Cela a pris un certain temps, les cyber-attaques contre l’Estonie (2007) ou l’invasion de la Géorgie (2008) n’ayant pas permis de susciter autant d’attention que souhaité.

Suite à l’agression russe sur l’Ukraine en 2014, une prise de conscience générale a permis le renforcement des garanties de sécurité. L’OTAN, à travers l’investissement particulier du Royaume-Uni, du Canada et de l’Allemagne en tant que ‘nations-cadres’ a mis en place le déploiement d’une présence militaire perman­ente et des missions de police du ciel. La France participe évidemment activement à cette mission. Un processus similaire se déroula suite à l’invasion à grande échelle en 2022 avec une réévaluation de la stratégie de réponse nord-atlantique en cas d’attaque de la Russie sur les pays baltes lors du Sommet de Madrid. L’adhésion de la Finlande et de la Suède, sans que cela soit le fait des Baltes, permet également de transformer la mer Baltique en un ‘lac otanien’, un objectif sécuritaire longtemps perçu comme nécessaire mais irréaliste pour les pays baltes.  

On peut retrouver une stratégie similaire, bien que moins centrale, concernant l’activisme de la diplomatie des pays baltes à propos de la Chine. Plus particulièrement de la Lituanie ici, même si l’Estonie et la Lettonie sont aussi des pays qui n’hésitent pas à s’engager sur le sujet (retrait collectif du format 16+1 – le format de cooperation Chine-Europe centrale et orientale). Vilnius a ainsi décidé de renforcer considérablement ses relations avec Taïwan quitte à détériorer ses relations avec Pékin. Cette action a permis de mettre en lumière le risque des démocraties face aux puissances autoritaires et impérialistes, faisant un parallèle entre les menaces existant pour Taïwan et les pays baltes au XXIème siècle. Secondairement, la brouille lituano-chinoise a permis une prise de conscience des Européens face au risque de coercition économique de la Chine.

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Depuis 1990, les pays baltes ont ainsi élaboré collectivement des diplomaties multi-vectorielles et pro-actives leur permettant d’avoir une influence certaine au sein de la communauté euro-atlanti­que et leur assurant un renforcement des garanties de sécurité. Ce succès en politique étrangère repose en partie sur les succès domestiques des pays baltes, notamment en terme de gouvernance démocratique et de succès économiques. Des éléments essentiels même si insuffisants pour garantir leur sécurité et leur indépendance et éviter le retour des tragédies du XXème siècle.

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