La collection d’essais d’intellectuels ukrainiens « Nova Europa » a été initiée par le New Europe Center (Ukraine) et publiée par la Staroho Leva en 2018. Dans cette collection d’essais, des intellectuels ukrainiens célèbres partagent leur vision de la Nouvelle Europe et de la place de l’Ukraine en son sein. Pour plus d’informations sur le projet, veuillez cliquer ici.
Les derniers romantiques d’Europe
Je m’étonne toujours de la métamorphose des conducteurs ukrainiens franchissant la frontière de l’Ukraine avec n’importe quel pays de l’Union européenne tel que la Pologne, par exemple. Ces intrus flagrants venant de remuer la poussière dans les villages ukrainiens alors qu’ils roulent à des vitesses folles tout en lançant des jurons aux passants osant marcher sur le passage piéton qui tout à coup se transforment en conducteurs exemplaires. La vitesse est respectée, les phares sont allumés, les ceintures de sécurité sont bouclées et aucun feu rouge n’est désormais brûlé. L’image magique de l’Europe avec son ordre, sa légitimité et sa culture semble obliger les Ukrainiens à devenir au moins un peu Européens dès qu’ils arrivent sur le territoire de l’Union Européenne. « En Europe, ce n’est pas acceptable« , « Ce n’est pas l’Ukraine« , ont expliqué certains d’entre eux en réponse à ma question sur cette transformation magique. Et ils oubliaient cette image européenne dès leur retour en Ukraine.
Parallèlement, un phénomène inverse est apparu en Ukraine : se sentir maître des routes ukrainiennes en voitures ayant des plaques d’immatriculation européennes – polonaises, lituaniennes etc. : violer le code de la route comme si vous étiez au volant pour la dernière fois. En Ukraine on appelle alors ces individus Euroblyahi (en français « Plaques euros ») du fait de l’utilisation de voitures d’occasion ayant des plaques d’immatriculation européennes afin de ne pas payer de taxes. C’est probablement le premier mot en Ukraine avec la partie « euro », qui a une connotation plus négative que positive. Autrefois, tout ce qui avait la partie « euro », était perçu comme quelque chose de positif, d’exemplaire: « le standard euro » de même que « les fenêtres euro ».
Qui sait, les conducteurs des Euroblyahi reflètent peut-être la transformation de l’attitude des Ukrainiens envers le cap européen, considéré aujourd’hui comme plus nuancé et complexe. Désormais, tout ce qui contient les quatre lettres « euro » n’est pas automatiquement une aubaine. Et le marquage « euro » n’est parfois qu’un déguisement des pratiques post-soviétiques. Et pour être tout à fait honnête, ce n’étaient pas les Euroblyahi qui ont commencé à discréditer tout ce qui portait la mention « euro ». Les gens qui ont commencé ce processus étaient ceux qui posant devant des drapeaux de l’Union européenne et répétant le mantra sur la nécessité des réformes européennes continuaient à utiliser les vieux schémas et pratiques politiques. Cela démontre une chose : il n’est pas obligatoire de changer quelque chose en apposant spécifiquement la mention européenne. Et, de toutes façons, les conducteurs ukrainiens qui roulent au sein de l’UE conduisent simplement en respectant le code de la route sans coller les étiquettes et sans appeler ce phénomène une « conduite euro ».
En fait, la façon de conduire en Ukraine n’est pas seulement la reconnaissance (ou plutôt la non-reconnaissance) des règles et du droit ou la manifestation du respect envers ces règles. C’est également un aperçu de l’intensité de notre caractère européen par rapport aux questions du sens de la responsabilité ou d’attitude envers la vie humaine. Il s’agit de sujets qui distinguaient traditionnellement les Ukrainiens des Européens. Malheureusement, ce comportement frivole sur les routes montre que beaucoup d’Ukrainiens sont toujours irresponsables non seulement par rapport à la vie des autres, mais aussi par rapport à leur propre vie. Comme si la vie humaine n’était pas la plus grande valeur. Et donc, la question se pose: une personne qui est irresponsable par rapport à sa propre vie peut-elle être responsable par rapport à ses devoirs en tant que citoyen et à son Etat?
Certains vont dire: évidemment! En 2014 beaucoup d’Ukrainiens étaient prêts à mourir pour l’Ukraine et pour l’Europe. Tout comme en 1956, les Hongrois étaient prêts à mourir pour la Hongrie et l’Europe, si l’on se rappelle le célèbre télégramme du chef de l’agence de presse hongroise. En Ukraine, il y a eu également des morts. Mais l’attachement aux valeurs européennes ne peut guère se manifester par la volonté de donner sa vie pour l’Europe. L’Europe ne va pas apprécier ce sacrifice, ne va pas apprécier les morts, parce que la plus grande valeur en Europe est justement la vie humaine.
Et elle ne va probablement pas non plus apprécier les slogans « l’Ukraine c’est l’Europe« , s’ils ne seront prononcés que par les Ukrainiens eux-mêmes. Le slogan « l’Ukraine c’est l’Europe » aura une autre valeur si ces mots sont prononcés à haute voix à Berlin, Paris ou Rome. Et cela sera difficile à réaliser si en Ukraine même on attribue un autre sens à ce slogan. Si, pour certains, ce n’est qu’une autre manière de dire « l’Ukraine n’est pas la Russie », pour d’autres c’est la première étape à ce qu’on désire vraiment «l’Ukraine c’est l’Union Européenne». Mais vraiment : est-ce que nous pouvons et est-ce que nous devons dire que la seule vraie confirmation de l’appartenance de l’Ukraine à l’Europe est l’adhésion à l’Union Européenne? En effet, si on y regarde de plus près: tous les États considérés comme européens ne font pas partie de l’UE, mais pourtant tous ceux qui y adhèrent sont légitimement considérés comme appartenant à l’Europe. Évidemment, quand nous disons « l’Ukraine c’est l’Europe« , nous revendiquons d’habitude un peu plus qu’une simple reconnaissance géographique. Peu importe combien de fois et avec quelle ferveur nous répétons ce slogan, nous comprenons que la « vraie » Europe, à l’exception de la Suisse et de la Norvège, c’est l’Union Européenne. Mais le rapprochement de l’Ukraine avec l’UE n’est pas aisé. Paradoxalement, le fait que que l’Europe et l’Ukraine se rapprochent chaque jour un peu plus entraine un éloignement des perspectives concrètes de l’adhésion à l’UE pour l’Ukraine. Si nous avons déjà essayé de sauter dans le dernier wagon du train, qui se dirigeait vers le rêve européen, on a maintenant de plus en plus souvent le sentiment que nous essayons d’attraper au moins le marchepied du train, qui va à une vitesse folle dans une direction inconnue.
En même temps, plus l’Ukraine se rapproche de l’UE, plus celle-ci polarise les réflexions politiques en Ukraine. Si, pour certains Ukrainiens – ils sont majoritaires – l’Union Européenne signifie le cheminement vers une vie prospère et digne, pour d’autres – ils sont minoritaires mais leur position est plus déterminante – l’Union Européenne c’est l’appauvrissement. Comme un homme politique européen de premier plan m’a admis dans une conversation informelle: « Je ne peux pas expliquer à mes collègues ukrainiens qu’il est possible de vivre en respectant les règles, et en même temps de vivre dans l’aisance ». Il était facile pour les Lituaniens d’adhérer à l’Europe – ils n’avaient pas beaucoup à perdre. En Ukraine, malheureusement, un grand nombre d’acteurs risquent de perdre gros.
Pour certains, l’Union Européenne est la source de toute vérité. Quoi qu’elle conseille ou recommande – ils accepteront tout. Ils croient au pouvoir magique de Bruxelles autant qu’ils sont déçus de l’impuissance de l’Etat ukrainien. On dit qu’autrefois les Italiens étaient également parmi les plus fidèles euro-enthousiastes de l’UE, parce qu’ils croyaient Bruxelles être plus efficace que leur propre Gouvernement – bien souvent dysfonctionnels. Et puis c’est ‘l’Eurocratie’ qui est passée au premier plan – et les critiques bien connues sur la bureaucratie européenne. Maintenant, les Italiens figurent parmi les plus grands eurosceptiques au sein de l’UE. Pour les autres, l’UE n’est rien de plus qu’un toit politique situationnel. Parfois – au mieux un guichet automatique de secours (après le FMI). Ils ne veulent pas d’un nouveau Kremlin, qui est simplement installé dans un bâtiment moderne en verre au sein de la capitale belge. Donc, la question se pose: les Ukrainiens ont-ils suffisamment eu de temps pour profiter de leur souveraineté et de leur indépendance pour les sacrifier volontairement, même s’il s’agit que d’un sacrifice partiel?
Pour certains, l’Union Européenne représente donc une douce et tranquille promenade, similaire à la Promenade des Anglais à Nice. Pour d’autres « l’Europe sent l’eau de Javel« . Les Ukrainiens doivent choisir urgemment: attendre la « vraie » Europe ici, ou bien décider tout de suite de se lancer dans la quête de l’adhésion future à l’Union européenne et ne plus perdre de temps. Nous ne sommes pas les premiers et nous ne serons pas les derniers à faire face à ce choix cornélien. Comme l’intellectuel bulgare et européen Ivan Krastev a bien saisi la tendance, les gens ne rêvent plus à l’avenir de leur propre pays, ils commencent tout simplement à rêver aux autres pays. Et ils réalisent ce rêve. Krastev en parle, tout d’abord, en se référant à la Bulgarie – son pays natal – où le problème de l’émigration prend des formes vraiment menaçantes. Cette problématique pourrait rapidement devenir pertinente pour l’Ukraine. Et dans le cas ukrainien, il ne s’agit pas seulement des gains financiers. Beaucoup d’Ukrainiens travaillent en Pologne, car ils ont la possibilité d’obtenir des revenus décents en toute légalité. En Russie, il y a la possibilité de gagner encore plus – mais illégalement. Ainsi, l’Ukraine, bien qu’elle n’ait pas de statut de candidat à l’adhésion à l’UE, participe déjà de facto à la construction de l’Europe unie telle que Jean Monet l’avait imaginée – une Alliance des gens et non une Alliance des États. Au moins, les 3 millions et demi d’Ukrainiens travaillant au sein de l’UE participent d’ors et déjà à ce processus.
Beaucoup d’Ukrainiens ne perdent pas seulement la patience et le désir de vivre une vie meilleure dans le futur (« Eh bien, encore une élection, et certainement tout ira bien« , « Eh bien, si c’est pas nous, les enfants et les petits-enfants auront une vie heureuse« ). Ils perdent également l’imagination. Ils ne peuvent plus imaginer que leur petite ville située dans la région de Khmelnytsky pourrait un jour connaitre un développement similaire à une ville située près de Wroclaw. Ils s’en convainquent chaque fois qu’ils reviennent dans leur région natale après avoir gagné de l’argent de l’autre côté de la frontière. Serait-il, probablement, utile d’adopter l’expérience d’un bureau d’architecture ou de design, et de visualiser en mode 3D à quoi pourrait ressembler « l’Ukraine européenne » après des réformes similaires à celles introduites en Pologne, par exemple?
Plus nous nous rapprochons de l’Europe et plus nous la découvrons. Nous comprenons par exemple petit à petit plus finement les limites autour des notions de « partenaire » et « d’adversaire » puisque celles-ci sont très volatiles au sein de l’UE. En effet, un allié dans le contexte de l’opposition contre l’agression de la Russie peut être pour nous un concurrent direct dans le commerce et un adversaire concernant l’usage de la mémoire historique en parallèle. Un partenaire politique important peut être un adversaire dans les questions énergétiques et un adversaire sur notre chemin pour le rapprochement avec l’OTAN. Et un sceptique dans la question des sanctions contre la Russie – notre partenaire dans les questions de la migration. L’Ukraine n’a pas de partenaire idéal au sein de l’UE, sauf, probablement, la Lituanie, qui est un allié pour toutes les questions de principe pour Kiev.
Le projet ‘Nouvelle Europe’
Dans ce contexte, apparaît une ‘nouvelle Europe’. On ne peut pas nier le fait que cette nouvelle Europe pour beaucoup de gens en Ukraine a l’air un peu effrayante. De manière opposée, la vieille Europe semble confortable et suscite la nostalgie. En fait, le futur européen pour les Ukrainiens se confond avec une vision passéiste de ce qu’est l’Union Européenne. Nous ne prenons ainsi même pas le temps de comprendre comment l’Europe évolue mais nous restons focalisé sur notre rêve d’en faire partie. Ce n’est pas si mal, étant donné que pour les résidents de l’UE, ce n’est plus un « rêve » depuis longtemps. Comme l’avait prévenu l’écrivaine britannique Angela Carter en 1989: « La nostalgie deviendra vite un autre nom de l’Europe« . Les Ukrainiens croient plus en l’UE qu’elle ne croit en elle-même et en son propre avenir. Nous pouvons probablement prétendre au titre des « derniers romantiques de l’Europe ».
L’émergence de cette nouvelle Europe c’est l’occasion pour l’Ukraine de ne pas sauter dans les derniers wagons du train euro alors que celui est en marche, mais plutôt l’opportunité de participer – au moins indirectement – au processus de construction et de renforcement de ce train. La vieille Europe était complète avant même que l’Ukraine ait trouvé son identité, sa direction et sa voie.
En octobre 2017, une équipe d’analystes ukrainiens – fidèles à l’idée d’un avenir européen et euro-atlantique pour l’Ukraine – a mis en place un centre d’analyse appelé le Centre « Nouvelle Europe ». Nous l’avons fait étant convaincus que la Nouvelle Europe sans l’Ukraine ne pourra pas être formée. L’une de nos tâches est de convaincre les Ukrainiens que la nouvelle Europe n’est pas nécessairement pire que la « vieille », et de trouver en coopération avec les partisans des mêmes idées la valeur ajoutée que l’Ukraine pourrait apporter devenant ainsi un élément indispensable du puzzle européen. Et qui sait, peut-être qu’un jour l’Ukraine pourra devenir le centre de la Nouvelle Europe. Une autre tâche pour nous est le travail pour le rapprochement des discours ukrainiens et européens. Jusqu’à présent, malgré un dialogue politique actif – en termes de discours – il semble parfois que nous vivons avec les pays de l’UE sur des planètes différentes, ce qui ne nous aide pas du tout à nous installer sur la carte mentale et culturelle de l’Europe.
Ce n’est un secret pour personne, un seul et même concept peut avoir des significations totalement différente selon l’interprétation de l’UE ou de l’Ukraine. Par exemple, l’euroscepticisme à l’ukrainienne signifie tout à fait autre chose que l’euroscepticisme à la néerlandaise. Si pour ces derniers, cela signifie essentiellement « trop de Bruxelles » avec son « eurocratie », pour nous Ukrainiens, assez souvent c’est le contraire: « trop peu de Bruxelles » avec sa réticence à intégrer activement l’Ukraine. Cela entrainant alors un mécontentement populaire face aux actions de Kiev qui promettait un avenir européen à son peuple, et qui ne fait finalement que pousser les Ukrainiens à chercher encore plus activement cet avenir au sein de l’UE.
Mais pour commencer, nous devons définir nous-mêmes, en Ukraine, comment nous voyons notre place au sein de la Nouvelle Europe et nous atteler à faire que le slogan « l’Ukraine c’est l’Europe » soit reconnu à Bruxelles, à Rome ou à Paris. C’est pour cela que nous avons demandé à de célèbres intellectuels ukrainiens des différents domaines et régions de partager leurs réflexions sur l’avenir de l’Ukraine et de l’Europe. Nous nous sommes adressés aux gens qui connaissent très bien non seulement le discours ukrainien sur l’Europe, mais également le discours européen sur l’Ukraine et l’UE. Ainsi, nous avons demandé à un certain nombre d’Ukrainiens qui ont étudié et ont travaillé ou qui vivent et travaillent toujours en Europe d’exprimer leurs pensées dans ce recueil. Par conséquent, Myroslav Marynovytch, Vitaly Portnikov, Volodymyr Yermolenko, Mykola Riabtchouk, ont été également rejoints par le chef du diocèse de Saint Vladimir à Paris, le prêtre Borys Gydziak, l’ambassadeur de l’Ukraine en Autriche Alexander Stcherba, l’ambassadeur auprès du Conseil de l’Europe Dmytro Kuleba de Strasbourg, Oksana Pachlovska de Rome ou encore Svitlana Pyrkalo de Londres.
Il y a tout dans les essais de nos auteurs, notamment des reproches pouvant être faits à l’Ukraine par certains auteurs pour son romantisme excessif à l’égard de l’UE au lieu d’injections constantes de réalisme raisonnable. « Notre retour en Europe doit être le retour des réalistes« , assure Vitaly Portnikov. D’autres auteurs n’ont au contraire rien à redire sur le fait que les Ukrainiens restent les derniers romantiques de l’Europe. Le père Borys Gudziak croit que les Ukrainiens devraient être conscients de leur vocation d’être donateurs: « Notre caractère européen sera mature une fois que nous comprendrons que nous avons quelque chose à partager et que nous avons la capacité de le faire« . Oksana Pachlovska fixe pour les Ukrainiens un objectif encore plus ambitieux « Ramener l’Europe à elle-même, puis l’Ukraine à une Europe rénovée ».
Mykola Riabtchouk, à son tour, donne un titre éloquent à son essai: « Involontairement européens« , ce qui prouve que les Ukrainiens sont voués à devenir des Européens, non pas parce qu’ils le souhaitent ou qu’ils aient les mêmes valeurs, mais parce qu’ils n’ont d’autre choix que d’adopter ces valeurs évitant ainsi « se perdre à l’Est, qui pour certains représente toujours une ‘alternative’« . En même temps, comme l’affirme Yaroslav Hrytsak, prouver aux Ukrainiens que « les valeurs peuvent être mises sur le pain« , ou bien que les valeurs et le bien-être sont inséparables reste un véritable défi. Pour de nombreux Ukrainiens, l’Europe reste attrayante tout d’abord en raison des salaires élevés et l’existence de bonnes routes. Le risque que l’idée européenne perde son soutien au sein de la société si le niveau de vie ne s’améliore pas de manière importante est beaucoup plus élevé que l’on croit dans les bureaux des hauts fonctionnaires. Mais en fait, si la majorité des Ukrainiens ne veut que des salaires élevés et de bonnes routes, pouvons-nous en principe parler de la cohérence et de la conscience du choix européen? En Biélorussie on peut également trouver des routes magnifiques.
Alexander Stcherba souligne de son côté qu’il ne faut pas considérer à travers un prisme purement ukrainien certaines notions qui, parmi les partenaires européens, ont une connotation exclusivement négative. Par exemple, « il est contre-productif et inutile d’expliquer aux Européens la différence entre le bon nationalisme et le mauvais nationalisme » et de persuader que celui qui est en Ukraine est bon. Après tout, l’intégration de l’Ukraine dans l’UE est le processus d’adoption par l’Ukraine des normes européennes, de ses narratifs et de son lexique, et non le processus de leur expansion à l’aide des particularités de la nature ukrainienne.
La Russie est évidemment présente au sein de ces essais – la plupart du temps pour son côté agressif. « La nouvelle Europe ne pourra pas exister sans une bonne solution répondant à la problématique russo-ukrainienne« , a déclaré Myroslav Marynovytch. Le fantôme de la Russie dans les textes n’est pas seulement une plaie récente de la guerre en cours. La guerre avec l’Ukraine, mais aussi la guerre avec l’Europe. Faut-il rappeler qu’en annexant la Crimée et en incitant à la guerre dans l’est de l’Ukraine, M. Poutine a détruit l’idée même de l’intégration européenne, qui a été à la base de la création du prototype de l’UE, la Communauté européenne du charbon et de l’acier – et établissant le fait que si les pays font du commerce, ces pays ne se battent pas. La Russie prouve obstinément le contraire. De plus, la Russie utilise tous les moyens pour créer à l’est du continent ce que nos auteurs appellent « une Europe alternative avec des valeurs alternatives« . Mais ce serait pas si mal si cette Europe alternative n’existait que dans les frontières de la Fédération de Russie. Cependant, elle semble laisser ses traces toxiques partout sur le vieux continent. Ainsi, Forbach, une ville française aux origines de l’intégration européenne, qui était un noyau important de la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier, vote massivement pour l’extrême droite de Marine Le Pen. Comment vivre avec la Russie est devenue non seulement une question ukrainienne, mais aussi une question européenne.
Mais pour l’Ukraine, le facteur de la Russie est également important parce que son futur caractère influence directement le rôle que jouera l’Ukraine dans la nouvelle Europe. Ce sera soit la périphérie instable de l’Europe (dans le cas de la poursuite des tendances impériales agressives), soit peut-être même le centre de l’Europe de l’est dans le cas si la Fédération de Russie devient démocratique et pro-européenne. Svitlana Pyrkalo polémise pourtant que « notre » Europe réside dans le développement des relations étroites avec les pays de la région – la Pologne, la Turquie, la Roumanie, la Moldavie, la Slovaquie, la Hongrie.
Comment construire nos relations avec l’Union européenne? Comme le rappelle Dmytro Kouleba, l’histoire de l’élargissement de l’Union européenne nous apprend qu’elle n’accueille que « les siens ». Et devenir tel aux yeux de l’UE nécessite, d’après lui, d’investir systématiquement dans deux domaines seulement. Le premier est l’enracinement dans la législation ukrainienne des principes et des normes européennes. Le second est la popularisation de l’Ukraine au sein des pays de l’UE à travers la culture et le commerce. Ainsi, ce qui manque toujours à l’Ukraine c’est une histoire convaincante d’elle-même à offrir à l’Europe et au monde entier. La diversité des signaux que nous envoyons au monde peut donner l’impression qu’il existerait au moins une dizaine d’Ukraines. Oksana Pachlovska qui suit la situation de la ville de Rome, constate également: « l’Ukraine, qui a progressé ces dernières années de façon assez intense en termes de communication politique, continue de prendre du retard en termes de communication culturelle« . Volodymyr Yermolenko, en tant que philosophe, donne des détails très clairs sur la perception de l’Europe Orientale par l’Ouest, ce qui jusqu’à présent affecte l’Ukraine par ricochet. Celle-ci serait centrée autour de trois concepts: le byronisme (l’Est comme le vide derrière les murs de la civilisation, où la violence est possible), le masochisme (l’Est de l’Europe comme une alternative à la civilisation des mœurs douces, où la violence est même souhaitable) et le herderisme (l’Est de l’Europe comme une «autre» culture ayant le droit à la contre-attaque).
Quant à la Nouvelle Europe, comme le remarque à juste titre le prêtre Borys Gudziak, « la Nouvelle Europe a besoin de courage: accepter les défis et trouver une réponse créative à ces défis« . Considérez ce recueil comme la première tentative créative qui, sans aucun doute, disposera d’une suite.
Alyona Getmanchuk
Alyona Getmanchuk est Directrice du think tank ukrainien New Europe Center au sein duquel elle fournit notamment des analyses sur les questions de politique étrangère. Au niveau de passé professionnel, on peut citer son activité au sein de l’Institute of World Policy, dont elle a été la Co-Fondatrice et la Directrice pendant 8 ans. Son expérience journalistique couvre également près de 15 ans de travail lorsqu’elle était observatrice de la politique internationale et rédactrice en chef. Depuis 2016, elle est membre du Comité Consultatif présidentiel ukraino-polonais. En juin 2017, elle a reçu un prix d’État du président ukrainien Petro Porochenko pour sa contribution au processus d’intégration européenne de l’Ukraine.
Directeur général d’Euro Créative, analyste Défense/Sécurité