Comme dans beaucoup d’autres pays, la Crise de la Covid-19 est catastrophique pour l’économie et les entreprises croates. Cependant, cela reste à nuancer puisque les crises révèlent inévitablement des perdants et des gagnants. Ainsi, s’il est vrai que la croissance a fortement ralenti l’ensemble de l’économie, certains secteurs comme celui de l’informatique semblent avoir profité de l’occasion pour s’affirmer au sein de l’économie croate.
Ces 30 dernières années, la Croatie a connu un nombre de crises particulièrement important. Tout d’abord, la guerre au début des Années 90 suivie par un certain isolement international dans la seconde partie de cette décennie de transition. Ensuite, vinrent les crises bancaires et la récession de 1999 puis celle, majeure, de la période 2009-2015. Une longue crise qui a d’ailleurs empêché le ‘boom économique’ attendu avec l’entrée dans l’Union européenne en 2013.
La crise actuelle n’est évidemment pas terminée alors que la troisième vague épidémique se fait comme ailleurs en Europe ressentir. Cependant, après une situation critique et une chute vertigineuse du PIB en 2020, la crise économique semble marquer le pas alors que la croissance reprend progressivement un rythme haussier depuis le troisième trimestre 2020 comme le montre le graphique ci-dessous.
Tout en espérant que le plus difficile soit derrière nous, il est aujourd’hui certain que la crise a révélé les faiblesses structurelles de l’économie croate – une économie reposant sur des fondamentaux historiques traditionnels – et la nécessité d’une modernisation et d’évolutions sectorielles. Avec l’essor de l’IT, les bénéfices d’un virage technologique semblent convaincre de la nécessité de tels changements pour l’amélioration des conditions socio-économiques.
Structure de l’économie croate pre-Covid
D’un point de vue économique, la Croatie est passée d’un système économique planifié à une économie de marché au tournant des Années 90. Ce processus a été long du fait de la guerre et les programmes des gouvernements successifs ont tenté d’activer un certain nombre de leviers afin d’endiguer le chômage structurel (plus de 20%), la corruption, et aussi essayer de soutenir ce qui restait de l’industrie de l’ex-Yougoslavie.
En effet, aujourd’hui, le secteur industriel croate est en perte de vitesse du fait de son incapacité à s’être renouvelé. Cela dit, les derniers chiffres disponibles montrent que le production n’a pas été autant impactée par la crise du Covid 19 que ce qui pouvait être craint. La production est restée stable.
Parmi les entreprises du secteur industriel, la Croatie compte par exemple les chantiers navals à Split qui essayent encore aujourd’hui de garder le cap dans un marché mondial très concurrentiel. L’industrie automobile est présente aussi avec AD plastik, équipementier de premier rang, ou encore le groupe Đuro Đaković spécialisé dans la fabrication de véhicules et matériels militaires.
Malgré l’importance de ce secteur, jusqu’à récemment, l’économie du pays était principalement dépendante de l’industrie du tourisme qui représentait jusqu’à plus de 17 % du PIB. Ce secteur du tourisme, très logiquement, a connu une chute vertigineuse en 2020 et la reprise semble plus lente que prévue.
Avec la Covid-19, l’année 2020 marquera un tournant dans les économies européennes et mondiales, mais surtout cette année aura servi de révélateur des faiblesses et avantages structurels des différentes économies, notamment dans leur capacité de résilience à surmonter ou non de telles crises. Pour la Croatie, l’une des conséquences majeures pourrait être de s’engager dans une transition digitale « forcée » ; mais n’y avait-il pas déjà auparavant des signes précurseur de ce ‘nouveau destin national’ ?
L’essor de l’IT et de la tech en Croatie
La Croatie va ainsi devoir repenser son modèle économique et le secteur de l’IT pourrait bien être le grand gagnant des évolutions économiques du pays.
L’année 2020 aura été une année très bénéfique pour certains acteurs croates, positionnés depuis quelque temps sur le marché de l’IT et la digitalisation. L’industrie informatique croate a connu une croissance quatre fois plus rapide que celle du PIB croate. En cette année 2021, il est devenu encore plus évident à quel point tout cela a un impact sur les exportations et donc sur le dynamisme économique d’un pays.
D’après les dernières informations disponibles sur le site de la Chambre de Commerce Croate, la structure des revenus de l’IT montre que 70.6% de ces revenus concernent les services IT. Par ailleurs, la croissance annuelle de ce secteur est de 14.7%, avec un chiffre d’affaire de 27 milliards de Kunas (1€=cca7.5kunas) et 8 milliards à l’export. Le secteur emploie également plus de 33000 personnes et compte plus de 5700 entreprises dans le secteur.
Ainsi, le marché de l’industrie de l’IT devrait bientôt dépasser celui de l’industrie du tourisme, chose impensable il y a quelques années. Le secteur des Technologies de l’Information et des Communications (TIC) est donc prêt à devenir le moteur de la croissance économique croate. C’est dans ce contexte d’accélération digitale que de nouveaux acteurs du monde technologique apportent des perspectives à une jeunesse souvent décidée à quitter le pays pour des horizons plus propices.
Bénéfices d’un tournant technologique
Souvenons-nous que la Croatie est le pays de naissance de Nikola Tesla. Ce rappel historique est important dans un pays qui se cherche de jeunes entrepreneurs capables de dynamiser l’économie nationale. C’est le cas de Mate Rimac, un jeune entrepreneur qui a créé en 2009, à seulement 19 ans, et à quelques kilomètres du lieu de naissance de Nikola Tesla, la première voiture électrique 100% Croate. Aujourd’hui, Porsche, Kia Motors et Hyundai Motors sont les actionnaires de sa société Rimac Automobili qui emploie d’ailleurs plus de 600 personnes. Sa voiture électrique développe plus de 1000 chevaux et il travaille sur des projets spécifiques pour les plus grandes marques automobiles mondiales.
La société Infobip est un autre exemple de réussite croate. Créée par Silvio et Roberto Kutić ainsi que Izabel Jelenić, cette société a levé en 2020 plus de 200 millions de dollars de financement auprès d’un fond américain. Aujourd’hui, elle emploie plus de 2000 personnes sur tous les continents. 2020 est aussi l’année de Nanobit, société spécialisée dans les jeux mobiles et créée par Alan Sumina et Zoran Vučinić dans leur appartement en 2008, est devenue une partie du groupe suédois Stillfron. L’entreprise a même été classée dans le Financial times parmi les entreprises à la croissance la plus forte en Europe.
La richesse de la Croatie réside donc dans sa jeunesse brillante, intuitive, entrepreneuse qui s’épanouie dans des Facultés technologiques parmi les plus performantes en Europe. C’est le cas de la FER par exemple à Zagreb. Il s’agit là d’un besoin particulièrement important pour la Croatie qui – comme de nombreux pays de la région – souffre d’un problème majeur: celui de la crise démographique causée en partie par l’exode de sa jeunesse. Les dernières statistiques montrent toujours un solde net négatif mais la tendance semble ralentir et peut-être pourrait-elle, à l’avenir, s’inverser.
C’est en tout cas le souhait du Gouvernement qui pourrait ainsi s’appuyer sur la dynamisation de son économie afin de convaincre une jeunesse en quête de sécurité financière. A ce titre, les premiers succès de la digitalisation sont peut-être le début de véritables changements pour la Croatie et sa population. D’ailleurs, le Gouvernement du Premier ministre Andrej Plenković essaie de multiplier les initiatives en ce sens.
Dernier exemple en date: la mise en place d’un visa digital. Dans un pays pourtant souvent critiqué pour sa lourdeur administrative, il n’a fallu moins de 2 mois au gouvernement pour instaurer ce nouveau visa. Et cela marche, les premiers visas ont été délivrés à ces nouveaux nomades, permettant ainsi au pays de combiner le tourisme avec la digitalisation. L’inoccupation de logements hors saison touristique sera donc presque garantie dans un avenir proche.
Mais ce n’est pas tout, le dernier rapport intitulé “Programme du gouvernement de la République de Croatie – 2020 -2024”, consacre un paragraphe entier à la “Croatie Digitale” avec l’annonce de plus de 22 milliards d’euros de fonds venant de l’Union européenne et qui joueront un rôle majeur dans la reprise économique de la Croatie et pour le développement de sa digitalisation ainsi que le soutien aux salariés.
Un effort important sera aussi fait pour accélérer les programmes éducatifs et la recherche avec un investissement de plus de 5 milliards de kunas destiné à l’innovation et à la transformation digitale. Cela devrait aussi permettre de passer à l’industrie 4.0 et ainsi gagner en performance et en croissance.
Au final, rien ne semble pouvoir freiner ce tournant technologique Croate même si le pays doit encore progresser dans un grand nombre de domaines. Sa jeunesse pourrait bien devenir le levier de sa croissance et de son renouvellement. Encore faudra-t-il la convaincre pour la retenir.
David Jankovic
David Jankovic est diplômé d’un Master II en Sciences Politiques (Science Po Grenoble) avec une spécialisation en Gouvernance Européenne. Il est actuellement en Master II de Droit International et Européen (Université de Nantes) spécialité droits fondamentaux. David a effectué un mémoire sur l’élargissement de l’UE et la question de la Serbie et termine actuellement un mémoire concernant les droits fondamentaux et les migrations en Europe et en Bosnie-Herzégovine. David est binational croate et français et parle couramment le Croate.
Directeur général d’Euro Créative, analyste Défense/Sécurité