Droits LGBT en Slovaquie: Après l'espoir, le statu-quo

En mars 2019, Zuzana Čaputová, devenait la première femme Présidente de la Slovaquie. Sa campagne s’était alors construite sur un discours libéral et progressiste, affirmant des positions écologistes, européistes, pro-choix et surtout anti-corruption. La candidate avait su mettre en avant les espoirs d’un renouveau politique pour un pays jusqu’ici rongé par la corruption. Un an avant son élection, Ján Kuciak, un journaliste spécialisé dans les affaires de corruption, était retrouvé assassiné avec sa fiancée, Martina Kušnírová, à leur domicile, cela alors qu’il enquêtait sur des liens possibles entre le parti Smer-SD du Premier Ministre de l’époque Robert Fico et des hommes d’affaires italiens supposément proches de milieux mafieux. Cet événement avait bouleversé le pays et des manifestations hors-normes s’étaient organisées à travers l’ensemble du pays.

Zuzana Čaputova, Présidente du changement?

Si la campagne de Zuzana Čaputová a été profondément marquée par cet événement particulier,  elle n’a pas hésité non plus à prendre position sur d’autres sujets comme la défense des droits et libertés de la communauté LGBT. Elle s’est ainsi positionnée en faveur de l’union civile et de l’adoption par les couples de même sexe, donnant l’espoir d’un véritable changement pour cette communauté. Pour ce qui est de la législation slovaque, précisons que le mariage entre personnes du même sexe fait l’objet d’une interdiction constitutionnelle depuis 2014. Zuzana Čaputová avait déclaré durant un débat qu’elle se positionnait en faveur de l’adoption par les couples homosexuels, elle avait notamment avancé qu’un enfant vivrait « mieux avec deux êtres amoureux de même sexe » que dans un orphelinat. Cette prise de position forte pouvait être vu comme une possible révolution des droits LGBT dans le pays. Loin d’être l’enjeu phare de sa campagne, ses déclarations sur le sujet ont toutefois eu un fort impact en terme de communication. Au-delà de celles-ci, c’est aussi l’utilisation d’un langage plus inclusif qui a marqué les esprits.

Cependant depuis cette élection, il n’y a eu aucune avancée majeure et il semblerait que les législatives aient mis de côté la possibilité d’un quelconque changement sur le sujet, déjà peu au cœur des débats sociétaux. En effet, durant la campagne électorale pour les législatives de 2020, les prises de positions concernant les personnes LGBT ont surtout servi de moyens d’attaques contre la candidate libérale et son groupe politique plus qu’à la tenue d’un réel débat sur la question. Il faut dire qu’en dehors de Zuzana Čaputová et de son parti, peu de personnalités politiques tiennent des positions aussi marquées sur la thématique LGBT. Cela s’est effectivement confirmé au cours de la campagne électorale pour les législatives de février 2020 au cours de laquelle – et ce malgré sa victoire quelques mois plus tôt aux européennes – le parti Progresívne Slovensko n’a pas réussi à convaincre. En effet, le parti n’ayant pas atteint le seuil de représentativité, il n’est donc actuellement pas représenté au sein du Parlement. Tout vent de changement semble donc être retombé.

Il convient effectivement de préciser qu’au sein de la République parlementaire slovaque, la fonction présidentielle ne tient qu’un rôle très limité concernant l’exécutif ou le législatif. La fonction endossée par Zuzana Čaputová reste avant tout symbolique par rapport à celle du Premier Ministre.

Une victoire de courte durée

Le nouveau gouvernement slovaque s’est alors formé autour d’une coalition allant du centre droit à la droite conservatrice amenant Igor Matović, Chef de file du parti O’LaNO (Les gens ordinaires et personnalités indépendantes) à assumer le rôle de Premier Ministre. Pour cette campagne électorale, Matović et son parti se sont ancrés fortement dans la lutte contre la corruption et contre le système Fico/Smer-SD. Et comme pour Čaputová en 2018, le fait de placer la guerre contre la corruption au cœur de son programme a été l’une des variables les plus importantes de son élection,. Assumant l’utilisation de procédés populistes et d’une stratégie médiatique efficace (sur les réseaux sociaux notamment), Matović a enchainé les coups de communication et a tourné en dérision ses adversaires et la classe politique slovaque, se plaçant ainsi comme la figure politique majeure de l’après-Fico.

La nouvelle coalition gouvernementale ayant vu le jour après la victoire d’Igor Matović est marquante du fait de son extrême hétérogénéité, réunissant ainsi quatre partis allant du centre-droit à la droite très conservatrice. Deux partis, aux idées différentes, cohabitent notamment dans le gouvernement. Il s’agit du parti Sme Rodina (Nous sommes la Famille) et Za’Ludi (Pour le peuple). Le premier est un parti de la droite conservatrice et le second est celui du Président sortant Andrej Kiska, se positionnant plus au centre sur l’échiquier politique.  Sur les questions économiques, internationales, notamment européennes mais aussi sociales comme celles des droits LGBT, les deux partis n’ont de cesse de diverger[1][2]. Rajoutons à ce tableau le parti ultra-libéral et libertarien SaS (Liberté et Solidarité) et la versatilité politique des membres d’O’LaNO et nous obtenons un jeu politique intense et complexe.

Concernant plus précisément la place des droits LGBT au sein de ce nouveau gouvernement, précisons que le Vice-Président de Sme Rodina, Milán Krajnyák, personnalité aux positions conservatrices sur la famille et la société, a été nommé comme Ministre du travail, des affaires sociales et de la famille. À cela viennent s’ajouter des propos de 2019 de la part de l’actuel Premier Ministre Matović qui stipulaient que son parti O’LaNO ne travaillerait pas avec un gouvernement qui souhaiterait la mise en place de l’adoption pour les couples homosexuels. Il y a donc de de quoi douter de l’évolution des droits LGBT en Slovaquie au cours de cette législature.

Čaputová/Matović : des positions et stratégies électorales différentes pour des victoires similaires

Les campagnes de Zuzana Čaputová et d’Igor Matović ont comme point commun la volonté d’éradiquer la corruption endémique dans le pays et au sein de son système politico-judiciaire. Il s’agit là de l’argument principal de leur victoire puisqu’ils ont pu chacun à des moments différents se placer comme la figure anti-Smer-SD ou anti-Fico. Cependant, leurs programmes politiques et leurs stratégies de communication ont été bien différentes. La façon dont ils ont occupé l’espace médiatique est intéressante sur ce point. Zuzana Čaputová a été appréciée pour sa capacité à ne proférer aucune attaque personnelle contre ses adversaires, basant sa campagne sur des arguments rassembleurs et inclusifs. Cela est à l’opposé de la méthode d’Igor Matović, qui a utilisé une méthode plus agressive notamment sur les réseaux sociaux en attaquant ses adversaires politiques.

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Les différences existaient aussi au niveau des programmes politiques. En un peu plus d’un an entre ces deux campagnes électorales, la thématique LGBT semble avoir presque disparu des débats. L’élection législative vient ici rappeler d’une certaine manière que rien n’est jamais acquis en terme d’avancées obtenues par la communauté LGBT. Le jeu politique slovaque ne semble pas laisser de place à ce débat. Le développement des droits pour la communauté LGBT, qualifié de progressiste dans nombre de pays européens n’est pas perçu comme tel par une majorité de l’opinion. Il faut bien avouer que la communauté LGBT ne semble qu’au mieux attirer l’intérêt d’une rare minorité et l’indifférence d’une large majorité de l’opinion publique. Enfin, certains partis de l’extrême droite radicale comme le mouvement porté par Kotleba – condamné très récemment à de la prison ferme pour incitation à la haine – permettent à une autre minorité de véhiculer leur haine à propos de cette communauté ainsi que le rejet de toute avancée. En conclusion, parler positivement des droits LGBT ne peut aujourd’hui pas faire gagner une élection en Slovaquie.

Quelle évolution pour la question LGBT en Slovaquie?

En 2015, le pays avait été épinglé par la Commission des droits de l’homme de l’UE, concernant ses décisions politiques envers la communauté LGBT. L’élection de Zuzana Čaputová qui semblait montrer le nouveau visage d’une Slovaquie connue pour un certain conservatisme social, est aujourd’hui bien plus nuancée. Du fait de sa position symbolique, peu de marge de manœuvre se dégage pour la Présidente. Seul un débat de fond au sein de la société pourrait amener à une réflexion profonde sur ce sujet sociétal et possiblement conduire à des changements. Cela paraît difficile puisque le parti favorable à des avancées concernant les droits LGBT n’est même pas représenté politiquement à ce jour et ne pourra donc pas initier de débat. Cependant, on ne peut exclure totalement que cette question ne puisse être politisée – que cela vienne de l’initiative d’un parti de coalition ou d’opposition – au cours de la législature puisque la cohésion de la coalition pourrait être fragilisée à cette occasion. Une politisation de cette question n’impliquerait toutefois pas nécessairement une évolution positive, bien au contraire.

Loin d’être au centre de l’attention comme en Pologne, où les autorités font de la communauté LGBT le sujet d’une guerre de communication et le bouc émissaire d’une crise d’identité relative, la situation des personnes LGBT demeure pour le moins précaire en Slovaquie. En effet, selon une étude du Pew Research Center menée en 2019, seulement 44% des Slovaques considèrent l’homosexualité comme acceptable dans la société. Cette étude place la Slovaquie dernière parmi les pays de Visegrád, et donc derrière la Pologne à ce titre, et bien en dessous de la moyenne de l’UE. La majorité de l’opinion slovaque demeure donc conservatrice sur cette question.

Paradoxalement, les élites politiques suivent généralement les décisions européennes à ce sujet. En effet, la volonté du pays de s’inscrire plus fortement dans la construction européenne mène à la possibilité de certains changements exogènes. Le pays entérine ainsi des décisions et actes juridiques européens qui pourtant ne verraient probablement pas le jour aussi rapidement s’ils devaient naître de décisions politiques nationales. Ainsi, en 2018, une décision de la Cour de Justice de l’UE a affirmé le droit de résidence aux couples de même sexe même dans les pays ne reconnaissant pas les unions de même sexe (sous la condition qu’un des deux partenaire soit citoyen de l’UE). Le pays se doit ainsi de suivre cette jurisprudence qui marque une étape importante dans l’UE concernant la reconnaissance commune des mariages homosexuels.

Si une évolution des droits LGBT institués par l’Union Européenne est perçue comme positive à Bruxelles et dans nombres de capitales européennes, il convient encore une fois de se tourner vers le voisin polonais pour nuancer cette idée. En effet, dans ce pays a été instauré un combat politique entre Varsovie et Bruxelles sur la question LGBT et cela n’est pas près d’évoluer tant les positions des membres du PiS sont de plus en plus extrêmes. Il faut bien reconnaître que cette relation est malsaine tandis que l’escalade rend la situation de plus en plus compliquée pour les personnes LGBT. Allant jusqu’à comparer l’idéologie LGBT à une sorte de « néo-bolchévisme », le Président Duda lors de la campagne électorale de l’été dernier a montré que la diabolisation de la communauté LGBT perdurerait. Face à cette dérive, l’UE paraît bien incapable de trouver une solution concrète.

Il existe donc une problématique évidente sur la manière de mettre en place une politique sociétale à l’échelle européenne. L’UE doit bien évidemment garantir la protection des minorités au sein des pays membres de l’UE et lutter contre toute discrimination. Cependant, son action n’est pas illimitée et doit être mesurée puisque le changement profond des mentalités prend du temps et ne peut pas venir d’un acteur extérieur. Afin que les droits LGBT progressent en Slovaquie de manière durable, il paraît évident que cette évolution doit être initiée par un débat national et menée principalement par des acteurs nationaux.


Les propos de l’auteur sont personnels et ne peuvent en aucun cas engager la responsabilité juridique de l’association Euro Créative.

Valentin Fabre

Valentin Fabre est étudiant en Master de Gouvernance Européenne à Sciences Po Grenoble. École dans laquelle il a déjà validé son bachelor en sciences politiques. Valentin s’intéresse beaucoup aux questions centre-européennes et plus particulièrement à la culture et la politique en Slovaquie. Il connait principalement l’Europe centrale grâce à plusieurs séjours sur place et différents cours spécialisés. Ce sont principalement les questions concernant la culture et les droits de l’homme qui le passionnent. Enfin, Valentin est aussi éditeur au sein du European Student Think Tank.

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