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Les années Orbán, une domination sans partage pour un bilan mitigé

Par Benjamin Ősi Alquier.

Le 29 Mai prochain, cela fera très exactement dix ans que Viktor Orbán occupe la position de Premier Ministre en Hongrie. Une telle longévité est rare en Europe, ce qui fait de lui une personnalité politique incontournable sur le vieux continent. Cependant cette réussite politique n’est pas la seule raison de sa médiatisation, son attitude d’opposition face à l’Union Européenne y est évidemment pour beaucoup. En Europe Occidentale, Orbán est majoritairement critiqué pour ses prises de position. « Héraut de l’illibéralisme« , « Seigneur de Budapest », « Premier Ministre populo-nationaliste« , cette personnalité apparait le plus souvent controversée dans les médias français, néanmoins ceux-ci se focalisent bien souvent sur des formats plus descriptifs qu’analytiques. Ainsi, cet article se propose de dresser un véritable bilan de ces 10 années de pouvoir continu.

Néanmoins, comprendre la situation actuelle de la Hongrie demande de revenir sur la genèse historique de la Hongrie post-communiste. La transition en Hongrie – comme ailleurs dans la région – a été brutale, encouragée par les exigences de l’Union Européenne désirant à tout prix accélérer le processus (lire notamment La transition hongroise de Laurent Nagy). Le système économique dominant en Europe de l’Ouest a été adopté de façon à ancrer le pays dans le club des économies de marché et des démocraties libérales. Dans les faits, cette transition n’a pas été miraculeuse et beaucoup de personnes ont été mises à l’écart de ses bénéfices. Pire, le changement de modèle économique a créé du chômage et a accru certaines inégalités sociales. Cela fût un choc pour les populations tant les anciennes républiques socialistes – malgré leur endettement – étaient parvenues à maintenir l’illusion d’une économie robuste. De fait, avec le libéralisme et l’émergence de la concurrence, un grand nombre d’individus ont vu leur situation se détériorer et nombreuses sont les villes qui n’ont pas bénéficié de la transition économique et des investissements étrangers. Ainsi, comment comparer aujourd’hui la situtation de villages comme ceux de Gyöngyöspata, Hejőszalonta ou Törökszentmiklós ou d’une ville comme Ózd avec celle de grandes villes développées comme la capitale Budapest, Debrecen ou encore Szeged. 

La Hongrie post-communiste : de la transition démocratique à la crise économique de 2008

Suite à la chute du régime communiste, la Hongrie a connu une succession de changements politiques et de gouvernements. Initialement, les Hongrois ont évincé les partis de gauches par réflexe et assimilation de ces derniers au parti communiste qui avait dirigé le pays de 1946 à 1989. Lors des élections législatives de 1990, les socialistes du MSZP (Magyar Szocialista Párt) ne récoltent ainsi que 11% des suffrages. Par conséquent, le premier Gouvernement démocratiquement élu de Hongrie se forme à partir d’une coalition issue de la droite chrétienne-démocrate. Le nouveau Gouvernement, inexpérimenté, est souvent appelé « varázsló tanítványai » (apprentis sorciers). Il ne sera pas reconduit au pouvoir en 1994 malgré des réformes structurelles importantes et essentielles réalisées. Cette année-là, le mécontentement des Hongrois vient surtout de la brutalité de la transition économique et sociale pour passer de l’économie planifiée à celle de marché qui touche une grande partie de la population. Ainsi, les Gouvernements de droite et de gauche vont se succéder les uns après les autres de cette façon jusqu’en 2002.

En 2004, la Hongrie rejoint l’Union Européenne et confirme ainsi les progrès considérables achevés au cours de la décennie 1990. Néanmoins, le pays est frappé de plein fouet par la crise financière puis économique de 2008. En 2009, le PiB du pays recule même de 6,6%. En plus du contexte économique et social peu favorable, les mesures adoptées par le parti socialiste MSZP suivent les exigences du plan de sauvetage du Fonds Monétaire International demandant ainsi de forts sacrifices à une population de plus en plus insatisfaite. Parallèlement, un scandale politique impliquant Ferenc Gyurcsány – chef de file du MSZP et Premier Ministre en exercice – va mettre le feu aux poudres. Ce dernier, mis sur écoute à son insu lors d’une réunion avec des membres de son parti, déclare « avoir menti jour et nuit aux Hongrois » et annonce envisager de nouvelles mesures d’austérités. Dès lors, des manifestations conséquentes sont organisées à travers le pays. Gyurcsány finit par démissionner en Mars 2009 et la tête du Gouvernement est confiée pendant plus d’un an à Gordon Bajnai qui forme un Gouvernement technocrate de transition appliquant les mesures d’austérité voulues par le FMI et l’Union Européenne.

2010 et le retour du Fidesz de Viktor Orbán au pouvoir

Sans réelle surprise, les élections législatives de Mai 2010 sont remportées très aisément par le Fidesz et son allié chrétien-démocrate du KDNP (orange et bleu foncé dans l’illustration ci-dessous). Il s’agit d’une victoire sans précèdent dans l’histoire du pays puisque la coalition de droite conservatrice obtient 54% des suffrages et deux-tiers des sièges du Parlement. Cette ‘super-majorité’ donne alors une marge de manœuvre immense pour le Gouvernement de Viktor Orbán (nommé à nouveau Premier Ministre) et marque profondément le paysage politique hongrois – les conséquences sont lourdes pour les partis d’opposition. Le nouveau Gouvernement est ainsi libre de mener de nombreuses réformes « afin de faire progresser le pays » – selon les mots du Premier Ministre – mais aussi de détruire une partie du travail fait avant lui par le MSZP pour des raisons idéologiques et politiques. 

Répartition des sièges lors des élections législatives de Mai 2010. Source : Wikipedia

Les premiers pas du Gouvernement Orbán II sont ainsi marqués par l’élaboration d’une nouvelle Loi fondamentale (entrée en vigueur en 2012). Celle-ci doit en théorie tirer un trait sur l’héritage communiste dans la mesure où l’ancienne Constitution – bien qu’amendée à de nombreuses reprises – datait de 1949. Cette loi est largement critiquée par les partis d’opposition et à l’international (et plus particulièrement au sein de l’Union européenne). Selon une opinion émise par la Commission de Venise (sous l’égide du Conseil de l’Europe) ladite Loi fondamentale mettrait en péril l’état de droit, les contrepouvoirs et la liberté de la presse. Par ailleurs, la Loi fondamentale illustre aussi la volonté du Gouvernement Orbán II de faire des valeurs traditionnelles un élément clé de sa politique. Ainsi l’attachement de la Hongrie à la Chrétienté, la définition du couple comme l’union d’un homme et d’une femme ou le rappel que le fœtus est considéré comme un être vivant sont inscrits dans le texte officiel.

Simultanément à la mainmise progressive d’Orbán sur la vie politique de son pays et par extension sur l’ensemble de la société, l’opposition de gauche commet une grave erreur stratégique qui engendra un second échec en 2014. À la suite de la défaite de 2010, les principaux leaders du parti MSZP – Ferenc Gyurcsány, Gordon Bajnai et Attila Meszterházy – ne parviennent plus à s’entendre. Les dissensions s’accroissent et Gyurcsány quitte le parti pour créer la Coalition Démocratique (Démokratikus Koalíció) tandis que Bajnai fonde le parti Ensemble (Együtt). L’opposition est divisée et incapable de se reconstruire. La voie est ouverte à une domination sans partage sur la Hongrie pour Orbán. 

Bilan de la politique domestique de Viktor Orbán

Au niveau économique, le bilan des Gouvernements Orbán II, III et IV est d’une manière générale assez positif. Signe évident, la croissance est au rendez-vous : depuis 2010, l’économie hongroise n’a connu qu’une année de récession (2012 à -1,6%) alors que la croissance moyenne sur ces 10 dernières années est de plus de 2,5% (avec des années 2017 et 2018 proche des 5% de croissance). Evidemment, les fonds structurels et la bien portance de l’économie mondiale ont influencé positivement ce bilan. Notons que les infrastructures routières et ferroviaires ont été l’un des domaines où les investissements ont été les plus importants et où il y a eu le plus de progrès. Néanmoins, on peut regretter le manque d’investissement dans des secteurs pourtant cruciaux comme l’Éducation ou la Santé par exemple. De manière générale, les critiques deviennent de plus en plus nombreuses parmi les citoyens hongrois concernant des dépenses superflues que celles-ci soient entreprises pour la rénovation ou la construction de complexes sportifs ou pour certaines campagnes publicitaires (comme lors de la Consultation Nationale d’Octobre 2016). Autre signe de la bonne forme de l’économie, la fluidité et le dynamisme du marché du travail en Hongrie. En effet, avec un taux de chômage de 3,4%, la Hongrie est le cinquième pays de l’Union Européenne avec le taux de chômage le plus bas. Evidemment, ce bon résultat doit rester mesuré compte tenu du pourcentage important d’emplois précaires. En ce sens, la Hongrie est encore aujourd’hui le quatrième pays avec le salaire minimum le plus bas de l’Union européenne. Cependant, le salaire minimum hongrois et le niveau de vie des ménages augmentent continuellement depuis 1990 sans interruption

Source: Université de Sherbrooke

Malgré ces bonnes statistiques économiques sur la période 2010-2020, une question essentielle demeure : comment l’économie hongroise se comportera-t-elle dans les prochaines années alors qu’un ralentissement de l’économie mondiale se profile et que les fonds structurels européens sont voués à diminuer ? Face à ce dilemme deux problèmes structurels de l’économie hongroise – que le Premier Ministre Orbán n’a su corriger au cours de ses dix ans de pouvoir – pourraient impacter négativement le développement du pays. En premier lieu, l’économie hongroise est excessivement dépendante de l’économie allemande. En effet, celle-ci repose en grande partie sur les investissements des firmes allemandes qui s’implantent en Hongrie notamment pour profiter des bas salaires. Autre exemple concret, le marché allemand absorbe 27% des exportations hongroises. En second lieu, la Hongrie fait face depuis de nombreuses années à un affaiblissement démographique inquiétant. Depuis 1990, la Hongrie a perdu plus d’un demi-million d’habitants (plus de 5% de sa population totale). Le Gouvernement tente d’y remédier avec la mise en place d’une politique nataliste que ce soit à travers la mise en place de mécanismes financiers avantageux ou de discours politiques incitatifs. Sans réel succès jusqu’à présent. Fait particulièrement inquiétant, la jeunesse est particulièrement concernée par l’exil.

Source: Bureau Central de Statistiques Hongrois

Au niveau social, Viktor Orbán ne peut se targuer d’un bilan aussi encourageant qu’au niveau économique. Son Gouvernement continue en effet de favoriser les classes supérieures au détriment aux classes moyennes et inférieures. Et ce ne sont pas les « cadeaux » ou petits « coups de pouce » financiers à destination des retraités ou des ménages à faible revenu pendant les périodes électorales qui parviendront à masquer cette réalité. D’une manière plus générale, les Gouvernements Orbán ont largement ignoré la situation des exclus de la société. À titre d’exemple, le Gouvernement a instauré à l’Automne 2018 la criminalisation des sans-abris, désormais inscrite dans la Constitution hongroise. Autre exemple : le traitement des populations roms – largement marginalisées au sein de la société – et dont la situation n’a pas évolué ces dix dernières années. En témoigne la condamnation de la Hongrie par la Cour Européenne des Droits de l’Homme pour défaut de protection des minorités roms dans le cadre de l’Affaire Király.

Autre problème d’importance notable pour la société hongroise : la corruption. Depuis 2015, le niveau de corruption a même connu une aggravation sous les Gouvernements Orbán. La Hongrie est même classée 25ème au sein de l’Union Européenne, juste devant la Grèce et la Bulgarie[3].

Enfin, le bilan de la politique domestique de Viktor Orbán ne peut occulter la détérioration et le détricotage de l’État de droit qui se traduit par une rétrogradation du pays, passant de démocratie « libre » à « semi-libre» selon l’ONG Freedom House. Parmi les composantes de l’état de droit particulièrement touchées figure la liberté de la presse. En 2011, le Gouvernement a voté une loi concernant les médias qui a fait l’objet de nombreuses critiques en Hongrie et à l’étranger ayant notamment pour conséquence la parution d’un avis très critique accompagné de recommandations de la part de la Commission de Venise. Ensuite, les autorités ont modifié ladite loi après avoir trouvé un compromis avec les institutions de l’Union européenne. Cependant, la situation a continué de se dégrader au fil des années conduisant à la faillite et à la fermeture de plusieurs grands médias et journaux nationaux comme le Nepszabadsag et le Magyar Nemzeten 2017, ou encore le Heti Valaszen en 2018 par exemple. Selon Reporters Sans Frontières, la Hongrie a perdu 14 places au classement mondial sur la liberté de la presse en 2018 pointant ainsi à la 87èmeplace sur les 180 pays classés en 2019

Plus généralement, Orbán a ignoré les problèmes structurels de la société ou les a même dangereusement aggravés. En parallèle, il a concentré sa politique domestique autour du thème de l’immigration. En effet, ce dernier est parvenu à jouer sur la peur de ses concitoyens quant à l’immigration de masse. Ainsi sa décision de refuser fermement l’instauration de quotas migratoires par l’Union Européenne est largement supportée en Hongrie

Bilan de la politique extérieure de Viktor Orbán

Sous la direction de Viktor Orbán, la Hongrie semble avoir retrouvé un rôle certain au sein de son environnement régional mais aussi au sein de l’Union européenne malgré les nombreuses controverses. Premièrement, au niveau régional, la Hongrie est un membre dynamique et incontournable du Groupe de Visegrád. Au cours de cette dernière décennie, ce groupe s’est largement renforcé à l’échelle européenne notamment grâce à l’émergence d’une ligne politique et de volontés communes sur plusieurs sujets. Porte-étendard du groupe, le thème migratoire a permis à la Hongrie et ses alliés de gagner une première bataille contre Bruxelles bien incapable de parvenir à un accord européen sur le sujet. Le groupe V4 est désormais partie prenante du débat européen sur l’immigration alors que le non-respect des exigences de Bruxelles n’a engendré jusqu’à maintenant aucunes grandes représailles (pas de sanctions financières ou institutionnelles majeures). Ce sujet particulier illustre alors la solidarité existant entre les quatre pays de Visegrád. On peut notamment citer l’exemple de la relation privilégiée existant entre la Hongrie et la Pologne face à la possible utilisation de l’Article 7 par l’Union Européenne (sanctions de l’UE face aux détériorations répétées de l’État de droit). Bien évidemment, cette coopération assez efficace ne peut masquer quelques sujets de discorde comme celui des relations avec la Fédération de Russie. Dans son voisinage régional, la Hongrie a également joué un rôle prépondérant concernant la thématique de l’élargissement. En guise d’exemple, les efforts engagés par la Hongrie pour l’accession de la Croatie à l’Union Européenne lors de sa présidence tournante en 2012. Plus généralement, la Hongrie est très active dans la région des Balkans Occidentaux où elle multiplie les échanges et accords commerciaux et plaide pour une entrée de ces pays dans l’Union européenne dans un avenir proche. Preuve en est avec la nomination du Hongrois Olivér Várhelyi comme Commissaire européen pour le voisinage et l’élargissement en 2019. Néanmoins, toutes les relations de la Hongrie avec ses voisins ne sont pas au beau fixe. Ainsi, les relations entre la Hongrie et l’Ukraine se sont détériorées considérablement notamment en raison d’une loi nationale défavorisant l’usage des langues des minorités hongroises dans le pays. En guise de représailles à cette loi, la Hongrie a bloqué toute progression de l’Ukraine au sujet de son rapprochement avec l’OTAN. Plus généralement, le Gouvernement de Viktor Orbán est très actif dans ses relations avec les minorités hongroises vivant dans les pays voisins (Slovaquie, Ukraine, Roumanie, Serbie et Slovénie). En ce sens, outre l’octroi de la nationalité hongroise à de nombreuses personnes, le gouvernement finance des projets dans le domaine de la culture et de l’éducation pour permettre à ces minorités de continuer à préserver leur langue et culture. 

Source des chiffres: Wikipédia

Deuxièmement, au niveau de l’Union Européenne, les relations entre la Hongrie et Bruxelles sont généralement plutôt houleuses. L’apogée de ces tensions ayant été atteint avec le vote symbolique (n’ayant aucune force contraignante) émanant du Parlement européen en Septembre 2018 à propos de l’enclenchement contre la Hongrie de la procédure du fameux Article 7 du Traité sur l’Union Européenne. Cet article prévoit, en cas de violation récurrente des valeurs fondamentales de l’UE, de retirer « certains droits dérivant de l’application des traités de l’UE dans le pays concerné, y compris le droit de vote de ce pays au sein du Conseil. ». De son côté, le Gouvernement profite de ces critiques et disputes pour blâmer la bureaucratie bruxelloise en accusant celle-ci de vouloir imposer en Europe un modèle de sociétés multiculturelles, favorisant l’immigration et contrôlé par les élites issues du monde de la finance et ses lobbies (et notamment les proches du philanthrope d’origine hongroise Georges Soros). Ainsi, l’accroissement des tensions profite autant à la Hongrie qu’à l’Union Européenne pour la poursuite de « leurs objectifs de politique interne ». En effet, le Premier Ministre hongrois représente aujourd’hui le leader d’un courant de pensée alternatif à celui de Bruxelles : l’illibéralisme. Ces dernières années, Orbán a tenté de faire de sa politique nationale une alternative crédible au modèle ultralibéral dominant en Europe. Son idéologie remet en cause le multiculturalisme, critique des mœurs considérées comme trop libérales et prône un certain conservatisme social via le retour aux valeurs traditionnelles – telles que le mariage, la famille ou la religion. Enfin, dans la conception illibérale, aucun obstacle ne doit s’opposer à l’intérêt national, pas même l’Etat de droit, la démocratie, ou les droits individuels. Autrement dit, il serait parfois préférable d’avoir un Etat qui ne respecte pas toutes les valeurs et les principes démocratiques tant celui-ci sert fidèlement les intérêts du peuple. Orbán s’oppose ainsi au modèle d’Europe progressiste proposé par Emmanuel Macron depuis son élection en 2017 et est ainsi devenu une personnalité politique de premier plan au sein de l’UE. De plus, grâce aux bons résultats de son parti lors des deux dernières élections européennes (2014 et 2019), Orbán dispose d’une force non-négligeable au sein du système politique européen. Le Fidesz est ainsi devenu l’une des forces vives du Parti Populaire Européen. Néanmoins la radicalisation de ses positions a accru les divergences d’opinions le concernant et le Fidesz a été exclu temporairement de ce groupe politique en 2019. Cela pourrait représenter un tournant décisif dans la politique européenne de Viktor Orbán qui ne dispose pas d’une grande marge de manoeuvre au vu de l’europhilie largement majoritaire du peuple hongrois.

Enfin, la Hongrie d’Orbán s’est distinguée au niveau international par des relations plus que cordiales avec les trois grandes puissances régionales que sont la Chine, la Russie et la Turquie. Le Premier Ministre hongrois a notamment été fortement critiqué par ses homologues européens qui voient d’un mauvais œil le rapprochement appuyé d’un pays de l’UE envers ces puissances autocrates. Il y a notamment l’inquiétude que ces relations pourraient porter préjudice à l’ensemble de l’UE et à ses États membres à terme. En témoignent les vétos et blocages utilisés par la Hongrie contre des avancées européennes dans le but de satisfaire ses alliés chinois ou russe. Le Premier Ministre Orbán a su également tisser une relation particulièrement étroite avec la Turquie de Recep Tayyip Erdoğan. Dans ce contexte bilateral,la Hongrie bénéficie d’une particularité qui se traduit par sa proximité avec les pays turcophones. En effet, de par son histoire et sa langue, la Hongrie revendique un lien linguistique, culturel et historique avec la Turquie et plus généralement avec les pays turcophones. Ainsi en 2018, la Hongrie est devenue Etat observateur du Conseil Turcique regroupant cinq pays turcophones coopérant dans les domaines économiques, énergétiques et surtout culturels. Depuis, la Hongrie a multiplié les échanges économiques et culturels avec ces pays et a même participé aux jeux nomades mondiaux. 

En conclusion, le Premier Ministre Viktor Orbán – au pouvoir depuis presque dix ans – dispose d’un bilan mitigé. Si les succès économiques sont visibles et contentent largement la population, le bilan de sa politique sociale demeure largement problématique. Au niveau international, Viktor Orbán est parvenu à rehausser le rôle de la Hongrie en devenant un élément dynamique et impliqué de la région d’Europe Centrale et Orientale et un acteur quasi incontournable sur la scène politique européenne. Un constat général terni par la tendance de la Hongrie à mener une politique étrangère dangereusement individualiste.

Dix ans après son retour au pouvoir, Orbán demeure toujours grandement populaire en Hongrie et part donc favori pour les législatives de 2022. Il reste apprécié des personnes favorisées, de la plupart des personnes âgées – qui ont un très mauvais souvenir du communisme – des personnes vivant en milieu rural et des hongrois de l’étranger. Il est par contre bien plus critiqué chez les jeunes et les personnes vivant en milieu urbain. Du fait de l’histoire du pays, beaucoup de hongrois cherchent en lui la figure du chef de l’État, une personne forte pouvant protéger les intérêts du peuple notamment contre des menaces extérieures. Viktor Orbán a su jusqu’ici incarner cette figure, satisfaisant ainsi les attentes d’une majorité des hongrois. Cependant, ses différents succès électoraux s’expliquent également par l’absence d’une opposition forte et convaincante plus que par un bilan très positif. En ce sens un certain nombre de personnes ont encore en mémoire une mauvaise expérience des gouvernances socialistes de 2002 à 2010 et voient en Orbán une meilleure alternative. Les dérives autoritaires du premier ministre sont inquiétantes, mais la Hongrie demeure une démocratie et l’opposition commence à s’organiser via la jeunesse et les réseaux sociaux. Les élections municipales en Octobre dernier sont la preuve que les choses peuvent changer à condition que « l’union sacrée » des différents partis d’opposition résiste et perdure jusqu’aux prochaines élections législatives (2022). 


Les propos de l’auteur sont personnels et ne peuvent en aucun cas engager la responsabilité juridique de l’Association Europe Créative.

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