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L’éternelle question des déplacés internes en Bosnie-Herzégovine

Le problème des Personnes Déplacées Internes (IDPs) n’est toujours pas résolu en Bosnie-Herzégovine en 2020. Nous évoquons ici ceux qui, pendant la guerre des années 1990, ont été contraints de quitter leur domicile sans pouvoir y retourner. Selon la définition de l’UNHCR sont définies « Internally Displaced Persons » ceux qui: “[…] ont été contraints ou obligés de fuir ou de quitter leur domicile ou leurs lieux de résidence habituels pour éviter les effets de conflits armés, de situations de violence généralisée, de violations des droits de l’homme ou de situations de périls par des conditions naturelles ou humaines, et ceux qui n’ont pas franchis une frontière d’État internationalement reconnue.

Dans le cas de la Bosnie-Herzégovine, les raisons principales sont soit la destruction du logement en raison du conflit direct, soit l’impossibilité de résider dans une zone spécifique sur la base de l’origine ethnique et religieuse de sa famille en raison du partage de la Bosnie-Herzégovine entre les deux Entités. L’Agence des Nations Unies pour les Réfugiés a estimé à environ 2.2 millions le nombre de personnes qui ont été contraintes de quitter leur domicile à cause de la guerre, parmi lesquelles environ 50.000 ont été placées en « centres collectifs nationaux ». Ces centres collectifs avaient été conçus pour accueillir temporairement les ménages, en vue d’une nouvelle allocation de logement dans l’Entité correspondante.

En 2015, l’Agence a estimé qu’environ 98.000 personnes étaient encore considérées comme IDPs, nombre finalement descendu en 2019 à 96,421 selon le rapport annuel de Human Right Watch. Au contraire, le rapport d’IDMC (Internally displaced monitoring centre) calcule à 99.000 le nombre de réfugiés actuels (en 2019) pour des conséquences directes ou indirectes de la guerre. On déduit que le nombre réel de réfugiés observé par différents centres de recherche indépendants (bien qu’il puisse varier de quelques milliers d’unités), reste très élevé et que l’attribution de nouveaux logements semble très lent.

Rapport Bosnie-Herzégovine 2019 IDMC

Selon l’article de Milena Mitrovic, publié au début de l’année sur Balkan Insight, il y aurait encore 8000 personnes dans ces centres collectifs, dont les conditions hygiéniques et sanitaires sont dans un état de misère et où les soins médicaux sont presque nuls. Aujourd’hui, 158 centres sont occupés par les plus pauvres, les infirmes, les chômeurs et les exclus par la société.

Prenons l’exemple du centre de Mihatovići, à environ 20 km de Tuzla (dans la FBiH) qui recueille environ 500 personnes, pour la plupart des survivants musulmans du massacre de Srebrenica et plusieurs familles d’ethnie Rom – qui n’appartiennent donc à aucun des trois « Peuples Constituants » reconnus par le Gouvernement central. Cette différence subtile dans l’appartenance ou pas à l’un des trois Peuples Constitutifs et la non-application de la sentence “Sejdic-Finci” sur la reconnaissance des droits civils et politiques des minorités, empêche les Roms et les autres habitants du centre collectif de faire demande de subvention financière et sociale (y compris un logement) au gouvernement central. Pour rappel, la sentence « Sejdic-Finci » a été énoncée de la Cour Européenne des Droits de l’Homme en 2019 et est censée protéger contre la pratique de division des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire sur base ethnique et religieuse.

Ainsi, la situation est contraire aux termes fixés par la “Déclaration sur l’intégration des Roms dans le processus d’élargissement de l’UE” – signée en 2019 – qui préconise une plus grande implication de la minorité dans les politiques publiques de l’État de Bosnie-Herzégovine. Toutefois, cette dernière demeure obligée, selon les Accords de Dayton (Annexe VII), d’attribuer un logement à chaque personne qui se trouve dans un des « refugee shelters ». Cependant, il n’y a pas aucune indication sur les moyens, la mesure, le calendrier et les institutions publiques qui concernent cette tâche.

L’obligation d’application des Accords de Dayton en matière d’ IDPs a par ailleurs été réaffirmée par l’UNHCR à Sarajevo en décembre 2017, avec la promotion d’une nouvelle stratégie de soutien à la relocalisation des personnes présentes dans les camps, nommée:  » Strategy of supporting solutions for vulnerable internally displaced persons and returnees in BiH » . Cette stratégie prévoyait l’implication active de tous les organismes de gouvernement, afin de trouver une solution homogène au problème des centres collectifs.

Les rapports récents de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, ainsi que les rapports de nombreux centres de recherche internationaux, ne font pas apparaître aucune amélioration significative sur les conditions de vie de ces personnes. Dans un État où le un gouvernement central est faible et divisé en Entités, Cantons et Municipalités et où le système bureaucratique est corrompu, toutes les solutions possibles apparaissent impossibles tout simplement car aucune institution d’aucun niveau ne se charge du problème.

En 2013, la Banque pour le développement du Conseil de l’Europe (CEB II) a mis en évidence le thème des IDPs bosniens et a mis à disposition 60 millions d’euros pour la construction de nouveaux logements et pour la rénovation de 121 centres sur 158, avec l’objectif de terminer entre le 2017. Malheureusement, en raison de la fragmentation administrative sur laquelle repose l’État de Bosnie-Herzégovine, seulement une petite partie des fonds a été utilisée en manière appropriée pour la réussite du projet, selon Milena Mitrovic.

Notons toutefois qu’il existe parfois des initiatives locales positives – comme le relate un article apparu sur SarajevoTimes. C’est le cas d’une initiative des maires de 58 municipalités qui se sont unis pour favoriser la construction et la rénovation de 785 maisons et 390 appartements pour les réfugiés et les IDPs, avec une contribution économique de 63 millions d’euros de la part de l’UE. Début février 2020, on estime que 1500 unités d’habitations ont déjà été construites, et 1700 autres sont en cours de construction d’ici fin 2022.

En conclusion, les retards continus dans l’allocation des ressources publiques par les administrations publiques et l’absence totale de lignes directrices au moment de la signature des Accords de Dayton, ont conduit à une situation d’incertitude et de malaise pour tous ceux qui ont perdu leurs domiciles pendant la guerre. Malgré les avertissements continus de l’UNHCR et les subventions économiques de l’UE, il est clair qu’il n’existe toujours pas de réel programme de soutien aux personnes en difficulté, ni d’attribution appropriée d’unités d’habitation. Quelque chose évolue lentement au niveau des organisations locales (grâce notamment à la contribution des ONGs), mais la voie de la résolution du problème des IDPs reste tortueuse et entravée par le système administratif fragmenté de Bosnie-Herzégovine.


Les propos de l’auteure sont personnels et ne peuvent en aucun cas engager la responsabilité juridique de l’association Euro Créative.

Letizia Storchi

Passée auparavant par l’Université de Bologne (Bachelor en Sciences Politiques Sociales et Internationales) et l’Université Catholique de Louvain-la-Neuve (Études Européennes), Letizia est désormais titulaire d’un Master en Relations Internationales obtenu à l’Université de Turin. Elle a notamment réalisé une thèse sur le processus d’intégration européenne de la Bosnie-Herzégovine publiée par l’Observatoire Transeuropa sur les Balkans et le Caucase (accessible ici). Enfin, elle a également réalisé un stage au sein de l’Institut « Europe Direct » en communication et social media. Letizia parle italien, anglais et français. 

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