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Mélodrame électoral en Pologne: 3 leçons pour 1 constat

Par Romain Le Quiniou.

La farce politique polonaise aura ainsi connu plusieurs actes, permettant une succession d’intrigues rocambolesques menant finalement à la pathétique déclaration de la Commission Électorale le 10 mai au soir. Celle-ci – pourtant marginalisée par le pouvoir – prenait finalement acte de l’invalidité de l’élection. Et pour cause, 72h plus tôt, la non-organisation de l’élection – pourtant légalement maintenue – était annoncée. La démocratie pour Kaczyński, la Commedia dell’Arte pour bon nombre d’observateurs. En attendant, les polonais sont les spectateurs d’une situation virant à l’absurde.

De ce chaos, 3 leçons sont à retenir. Des leçons qui renvoient en fait à des tendances préexistantes que les controverses récentes n’ont fait qu’accentuer.

Leçon n°1: la lente décrépitude de la démocratie polonaise

Néanmoins le PiS et ses alliés semblent déterminés à continuer dans cette voie. L’objectif est alors la mise en place de la contre-révolution voulue par Jarosław Kaczyński. »

Le retour au pouvoir du PiS à partir de 2015 a conduit à une détérioration particulièrement inquiétante de la démocratie en Pologne. Les autorités nationales ont ainsi favorisé les tendances illibérales sur un modèle semblable à celui mis en place par Viktor Orbán en Hongrie. Si les deux situations ne sont aujourd’hui pas comparables, la tendance demeure tout de même inquiétante pour la Pologne. Selon le récent rapport de l’ONG américaine Freedom House, la Pologne serait passée du stade de « démocratie consolidée » à « démocratie semi-consolidée ». La détérioration est lente mais son amplification semble aujourd’hui inexorable.

Cette détérioration n’est guère étonnante du fait des atteintes portées aux principes démocratiques par les autorités ces dernières années. C’est notamment la remise en cause de l’indépendance judiciaire qui inquiète à la fois une partie de la société civile polonaise et les instances européennes. La gravité de la situation a notamment conduit en 2017 la Commission Européenne à sanctionner la Pologne par la première phase de l’Article 7 du Traité de l’Union Européenne – sorte d’arme nucléaire communautaire. Sans succès. En parallèle, la Cour Européenne de Justice a également tenté de contraindre les autorités polonaises à l’abandon de leur projet concernant la mise en place de sanctions disciplinaires à l’encontre des juges. Néanmoins le PiS et ses alliés – notamment le Ministre de la Justice Zbigniew Ziobro – semblent déterminés à continuer dans cette voie. L’objectif est alors la mise en place de la contre-révolution voulue par Jarosław Kaczyński – leader controversé du PiS.

Pour parvenir à leurs fins, le PiS et Kaczyński ont gagné une première bataille : les élections législatives de l’automne 2019. Mais cette victoire ne sera validée qu’avec le maintien de leur allié Andrzej Duda à la Présidence. D’où l’importance de ce scrutin présidentiel pour la coalition gouvernementale. Sans Duda, leur agenda réformateur serait bien plus difficile à mettre en place. Le maintien de ces élections en mai devait ainsi permettre une victoire aisée pour le Président sortant – crédité d’une victoire dès le premier tour. Un report rendait le résultat plus incertain du fait de la probable aggravation de la situation sanitaire et de la crise économique.

Face à cette équation, le PiS n’a pas hésité à faire fi des principes démocratiques et constitutionnels pour maintenir à tout prix l’élection. Preuve en est, les autorités ont ignoré la nécessité de tenir une campagne électorale équitable mais ont aussi modifié la loi électorale à quelques semaines seulement du scrutin. Enfin, c’est un accord entre les chefs des partis de coalition Kaczyński et Gowin – pourtant simples députés de la Sejm – qui a conduit à la non-organisation de ces élections. La probable reconduite de Duda à la Présidence devrait conduire au renforcement de l’affaiblissement démocratique de la Pologne.

Lecon n°2: une polarisation politique toujours plus inquiétante

Ainsi, même dans une période où la nation devrait se rassembler afin de faire face, les forces politiques polonaises semblent incapables de dépasser leurs divergences.

La polarisation politique est présente en Pologne depuis de nombreuses années. Celle-ci n’est pas apparue en 2015 avec le retour du PiS, même si elle semble se renforcer depuis cette date. Le pays apparait aujourd’hui idéologiquement fracturé tandis que la haine mutuelle se renforce. L’assassinat du Maire de Gdańsk Paweł Adamowicz en janvier 2019 en est la preuve tragique. Pourtant, déjà en 2010 à Lodz, l’assassinat de Marek Rosiak – membre de l’antenne locale du PiS – avait déjà alerté la Pologne sur la dangereuse tendance qui se dessinait. Malgré cette violence meurtrière qui affecte désormais le champ politique, les « deux camps » – le PiS et ses alliés face à l’opposition dite démocratique – semblent s’éloigner inexorablement.

Cette tendance s’est évidemment retrouvée ces dernières semaines dans les débats concernant la tenue des élections. La recherche des « ennemis de la nation » ou des « traitres » est ainsi devenue un raccourci souvent employé pour toute question politique en Pologne. D’un côté, les partisans du PiS ont accusé l’opposition de renier les principes démocratiques et constitutionnels de la Pologne en s’opposant à la tenue des élections. De l’autre, l’opposition a reproché – et cela paraît légitime au vu du contexte – de mettre en danger la santé du peuple polonais. La candidate de la Plateforme Civique – principal parti d’opposition – Małgorzata Kidawa-Błońska avait d’ailleurs appelé au boycott de ces élections. Ainsi, même dans une période où la nation devrait se rassembler afin de faire face, les forces politiques polonaises semblent incapables de dépasser leurs divergences.

Devant ce constat sans appel, il est quasi certain que cette polarisation va perdurer voire s’amplifier au fil des mois. Les sujets de division pourraient cependant évoluer. L’inquiétude porte notamment sur une possible polarisation de la question européenne. Et ce malgré le fait que la population polonaise demeure parmi les plus europhiles d’Europe. Une récente étude réalisée par Piotr Buras et Pawel Zerka montre ainsi que le consensus autour de l’UE semble s’éroder chez les électeurs de Duda – et plus largement du PiS. Avec la crise économique, ce sentiment a toutes les chances de se renforcer. Ainsi, à moyen terme, le PiS pourrait être tenté de politiser encore un peu plus cette question et remettre ainsi en question le rôle et donc la nécessité de l’UE. Avec ces élections le PiS s’est montré prêt à tout pour parvenir à ses fins politiques – même à risquer la santé de son peuple. Alors comment ne pas imaginer le sacrifice de l’UE en cas de situation politique désespérée ?

Graphique tiré de l’étude de l’ECFR conduite par Piotr Buras et Pawel Zerka

Leçon n°3: une coalition gouvernementale de plus en plus fragilisée

La question n’est ainsi plus de savoir si l’entente cordiale entre l’ensemble de ces acteurs politiques se maintiendra mais si elle pourrait imploser en cours de mandat. Une séparation entre les deux ailes du PiS paraît ainsi inévitable à terme et conduira à une recomposition profonde du paysage politique polonais.

Les analyses – notamment étrangères – de la vie politique polonaise ont souvent eu tendance à surestimer l’unité de la coalition gouvernementale. On oublie ainsi de préciser que le PiS ne gouverne pas seul – et ne dispose donc pas de la majorité parlementaire à proprement parler. En effet, la coalition gouvernementale appelée Droite Unie (Zjednoczona Prawica) rassemble le PiS (198 sièges) mais aussi Porozumienie (18 sièges, dirigé par Jarosław Gowin) et Solidarna Polska (19 sièges, dirigé par Zbigniew Ziobro). De plus, n’oublions pas que cette coalition gouvernementale connaît une situation particulière puisque le Président comme le Gouvernement disposent d’un pouvoir et d’une influence plus limitée que l’on pourrait le croire. Le vrai patron de la Pologne étant Jarosław Kaczyński, Président du PiS. Et cela suscite forcément de fortes tensions en interne. Tensions certes peu visibles publiquement mais qui sont connues depuis longtemps déjà. La bataille pour la succession Kaczyński n’est pas nouvelle.

La situation invraisemblable autour de ces élections a illustré dramatiquement l’instabilité de la coalition gouvernementale. Dans un premier temps, les divergences entre les trois alliés sont apparues au grand jour lorsque Gowin – alors Vice Premier Ministre des Sciences et de l’Enseignement Supérieur – s’est publiquement opposé à la tenue des élections. Son avis – à savoir le report des élections de deux ans – ayant été ignoré, il a fini par démissionner. C’est aussi l’opposition de plusieurs députés de son parti – empêchant le PiS d’atteindre la majorité parlementaire fixée à 231 voix – qui a conduit à la non-tenue de l’élection. Dans un second temps, des tensions sont également apparues au sein même du PiS. Une aile modérée pouvant être représentée par le Premier Ministre Mateusz Morawiecki se serait opposée frontalement à l’aile dure rassemblée autour de Kaczyński et apuyée par l’allié Ziobro. Certaines rumeurs ont même évoqué une tentative de démission du Premier Ministre, refusée par le Boss. Vraies ou non, celles-ci prouvent que la guerre de succession a gagné en intensité ces dernières semaines.

Avec la révélation au grand jour de cette instabilité, il se pourrait que rien se soit plus jamais comme avant, alors que le PiS et ses alliés sont au début de leur mandat (2019-2023). À ce titre, la dissolution de la Sejm – un temps évoquée – afin d’organiser des élections anticipées pourrait devenir une réalité dans les prochains mois. En effet, la fronde menée par Gowin a montré que le PiS ne pouvait se passer des voix de ses deux partenaires de coalition. Certaines divergences entre Porozumienie et Solidarna Polska pourraient ainsi exacerber les relations et empêcher le PiS de légiférer aussi librement qu’il le souhaite. De plus, les jeux politiques et les égos de chacun pourraient fragiliser un peu plus l’unité de la coalition. La question n’est ainsi plus de savoir si l’entente cordiale entre l’ensemble de ces acteurs politiques se maintiendra mais si elle pourrait imploser en cours de mandat. Une séparation entre les deux ailes du PiS paraît ainsi inévitable à terme et conduira à une recomposition profonde du paysage politique polonais.

Une telle recomposition aura bien évidemment des répercussions sur l’ensemble du paysage politique polonais et donc sur l’opposition. Aujourd’hui, et ce malgré les troubles des dernières semaines, le PiS et ses alliés dominent aisément la politique polonaise. Le principal parti d’opposition, la Plateforme Civique, est en état de ruines. Pour eux, la vraie problématique n’est pas de savoir si Małgorzata Kidawa-Błońska aurait rassemblé 3 % des voix ou si Rafał Trzaskowski – Maire de Varsovie et nouveau candidat de la PO – atteindra le second tour. L’absence de vision et d’incarnation politiques traduisent un problème plus profond: celui de la non-compréhension des attentes sociétales. PO et ses alliés doivent enfin assumer leurs multiples échecs et prendre acte de leur incapacité chronique. Il faut désormais se réinventer et proposer une alternative cohérente autre que « l’anti-PiS » primaire. Attendre l’implosion du PiS n’est pas non plus une option. Le dynamisme des « petits » partis et candidats doit servir notamment d’exemple et de leçon. Plus largement et en dehors de toute considération partisane, c’est un projet rassembleur dont la Pologne a besoin.

Constat général: la situation en Pologne ne doit pas laisser indifférent

Le fiasco électoral de ces dernières semaines semble donc accélérer les tendances de fond de la vie politique polonaise. La Pologne va connaître pour la première fois depuis de nombreuses années une période caractérisée par de fortes incertitudes socio-économiques. Cela pourrait avoir de fortes conséquences sur le paysage politique polonais tandis que la détérioration de la démocratie (au moins à court-terme) et la polarisation politique de la société devraient perdurer.

Ce qu’il se passe en Pologne doit attirer notre attention pour au moins deux raisons évidentes. D’une part, la Pologne est un pays important au sein de l’UE. Cela est visible en termes économiques, démographiques ou militaires. Moins sur le plan politique actuellement. Néanmoins, un renforcement global de l’Europe ne pourra se faire sans une Pologne forte et impliquée dans les affaires européennes. À ce titre, une instabilité politique durable en Pologne serait une très mauvaise nouvelle. D’autre part, ce qui se déroule en Pologne n’est pas un phénomène purement polonais ou centre-européen. La détérioration de la démocratie et la dangereuse polarisation de la vie politique n’ont pas seulement cours à Varsovie ou à Budapest. Ce sont des tendances visibles dans de nombreux pays européens. Les mois et les années à venir seront donc une épreuve commune. En Pologne comme en France.


Les propos de l’auteur sont personnels et ne peuvent en aucun cas engager la responsabilité juridique de l’association Euro Créative.

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