Métro de Belgrade: "Cette fois-ci devrait être la bonne"

Vieille de presque un siècle, l’idée de construire un métro à Belgrade a refait surface à de nombreuses reprises. Aujourd’hui, la capitale serbe est l’une des dernières grandes villes d’Europe à ne toujours pas posséder de réseau métropolitain.

En 2008, ce projet a été réactualisé à la faveur d’échanges entre la mairie de Belgrade et les entreprises françaises, Alstom et Egis. Dans un contexte de renforcement des relations bilatérales au début des années 2010, la France a tout d’abord financé sur don une première étude de pré-faisabilité entre 2012 et 2019.

La visite du Président de la République, Emmanuel Macron, en 2019, a marqué une nouvelle étape forte pour le développement des relations franco-serbes. L’année suivante, la France octroyait un deuxième don de 8,3 millions d’euros pour financer une étude de faisabilité réalisée par Egis (phase 1 de la ligne 1). Puis le gouvernement français a fait une proposition de financement pour la partie système de transport dont l’ensemblier serait Alstom, mais regroupant plusieurs entreprises concernées par la construction du métro. En novembre 2020, un accord intergouvernemental (AIG) était signé, prévoyant la mobilisation de prêts du Trésor et de crédits garantis pour la réalisation du métro – cet AIG concerne également un projet de « smart-grid » pour le réseau de distribution électrique.

Plus récemment, au début du mois de février 2021, une délégation ministérielle (ministres des Finances et des Transports) incluant également le vice-maire de Belgrade, s’est rendue en France, à l’invitation des entreprises Egis et Alstom. Reçue par plusieurs ministres français ainsi que par le Président de la République, qui recevait au même moment le Président serbe Aleksandar Vučić, elle a pu constater la diversité et la qualité de l’offre française en matière de transports urbains.

À Belgrade, l’ambassade de France suit de près ce projet phare, qui suscite de nombreuses attentes. Le projet de métro de Belgrade, qui soulève également des interrogations, est en outre régulièrement contesté dans la presse serbe. Le service économique de l’ambassade de France a accepté de nous recevoir pour répondre à nos questions.

Source: Alex Blokstra – Unsplash.

Entretien avec le service économique de l’ambassade de France en Serbie

Guillaume Pichelin: Le métro de Belgrade est un projet de “très” longue date. Depuis 1923, date de la première initiative, les décideurs politiques ont tenté à de multiples reprises de réaliser cette construction. Pourquoi cette fois-ci devrait être la bonne ?

Service économique: Cette fois-ci devrait être la “bonne” pour plusieurs raisons. L’aggravation de la pollution et des embouteillages incitent les pouvoirs publics à réactualiser ce “projet de longue date” qui est maintenant vital pour le bon développement de la capitale, en pleine expansion.

Aujourd’hui, il existe une véritable volonté politique serbe pour la réalisation d’un réseau métropolitain. Le projet est porté par le président Vučić qui en a fait un objectif prioritaire ainsi que par le ministre des Finances, Siniša Mali, qui est également le Président de la Task Force pour la construction du métro et a porté ce projet dans ses précédentes fonctions de maire de Belgrade.

La phase de faisabilité du projet (phase 1 de la ligne 1) s’achèvera début 2022 et les entreprises chargées de la construction sont déjà en train de se préparer. Le gouvernement serbe souhaite débuter les travaux du dépôt de Makiš au sud de Belgrade (entreposage d’équipements, maintenance des trains), avant la fin de l’année 2021. De véritables objectifs ont été établis avec des délais concrets. L’achèvement de la ligne 1 est envisagé pour 2028 tandis que la ligne 2 devrait être livrée en 2030. Une  troisième ligne est aussi envisagée, mais sans date précise pour le moment.

Guillaume Pichelin: En 2020, Transparency International a classé la Serbie 94ème à égalité avec le Brésil, le Suriname, l’Ethiopie, le Sri Lanka, la Tanzanie, le Pérou et le Kazakhstan. Les pouvoirs publics serbes ont décidé d’attribuer la construction du projet à trois entreprises dont deux françaises : Egis, Alstom et Power China. Comment s’est passé l’appel d’offres pour le métro de Belgrade ? Et comment la France vérifie-t-elle que l’argent est correctement dépensé dans un pays encore loin des standards européens en matière de lutte contre la corruption ?

Service économique: L’accord intergouvernemental signé en novembre 2020 respecte la procédure des marchés publics serbes, la France soumettant à la Serbie une liste de fournisseurs français sélectionnés et qualifiés ayant manifesté leur intérêt pour la réalisation du projet. Parmi celles-ci, les autorités serbes ont décidé de faire confiance à Alstom.

Concernant la lutte contre la corruption, tous les acteurs du projet sont aujourd’hui particulièrement mobilisés. La France est signataire de la Convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales et les entreprises françaises sont extrêmement vigilantes. Une clause précisant les engagements des deux parties en faveur de la lutte contre la corruption a d’ailleurs été incluse dans l’AIG. Par ailleurs, en ce qui concerne le prêt du Trésor, le règlement des factures est effectué directement par la banque Natixis agissant pour le compte de l’Etat français au fournisseur ou prestataire, après leur vérification par le Service économique de l’Ambassade de France.

Guillaume Pichelin: A l’origine la construction devait commencer en 2016 puis en 2020 et finalement en 2021. Les plans ont changé à plusieurs reprises et le montant des travaux a été augmenté par la même occasion. Que s’est-il passé exactement ?

Service économique: Effectivement, la situation a beaucoup évolué ces dix dernières années. Plusieurs spécifications techniques ayant changé, les tracés des lignes ayant également été modifiés et les plans prévoyant aujourd’hui à certains endroits des stations plus profondes. Par conséquent, toutes ces modifications ont engendré une réévaluation des coûts à la hausse.

Il est vrai qu’il y a eu beaucoup de bruit dans les journaux serbes au sujet du métro. Néanmoins, il faut être prudent car les médias ne précisent pas toujours s’ils évoquent la construction du métro avec une seule ligne, deux lignes ou bien trois lignes.

Aujourd’hui, la construction des deux premières lignes est estimée à environ 4,4 milliards d’euros, dont 2,3 pour la ligne 1. Pour la phase 1 de la ligne 1 (16,6 kms), l’investissement est évalué à environ 500 millions d’euros pour le système de transport (Alstom) et 1,3 milliard d’euros pour le génie civil (Power China).

Guillaume Pichelin: Comment s’organise la construction du métro ? La France construit-elle toute seule le métro ? Est-ce qu’elle emploie uniquement des ingénieurs français ou des sociétés serbes ou étrangères vont également participer ?

Service économique: Egis réalise actuellement l’étude de faisabilité de la phase 1 de la ligne 1 qui devrait être achevée début 2022. La construction de cette phase sera partagée entre deux entreprises : Alstom pour le système de transport et l’entreprise chinoise, Power China pour le génie civil. Les entreprises françaises coopèrent avec des partenaires locaux, et notamment des entreprises sous-traitantes et elles emploieront donc de nombreux employés serbes.

Guillaume Pichelin: Il existe déjà un “métro” à Belgrade, si l’on peut dire puisqu’il se limite à l’exploitation d’une seule ligne qui part de Vukov spomenik pour aller jusqu’à Novi Beograd de l’autre côté de la Sava. Est-ce que cette ligne va être intégrée dans le nouveau réseau ou bien restera-t-elle indépendante ? A quoi ressemblera le futur tracé du métro ?

Service économique: Cette ligne fait partie du réseau BG VOZ qui est un autre projet à long terme. L’objectif est de créer 4 lignes intra urbaines et 3 lignes extérieures à Belgrade qui s’étendront sur plusieurs dizaines de kilomètres.

Ce réseau ferroviaire sera intégré au réseau métropolitain et il y aura donc une profonde restructuration des systèmes de transport de la capitale. Un véritable travail d’intermodalité sera nécessaire (bus, tramways, trolleybus, métro, train) et la mairie de Belgrade a déjà pris contact avec RATP Dev pour bénéficier de son expertise dans le domaine.

Source: N1Info.

Guillaume Pichelin: Quelles sont les problématiques rencontrées pour définir les quartiers que le réseau métropolitain devra desservir?

Service économique: Les entreprises françaises n’ont pas la main sur les tracés du métro. Elles sont ici pour mettre à disposition leur expertise et c’est le client, Beogradski Metro i Voz (BMV), qui décide du tracé final.

Guillaume Pichelin: Comment le métro peut véritablement transformer Belgrade selon vous ? Quels seront les impacts positifs et négatifs pour les habitants ?

Service économique: Le métro de Belgrade permettra de diminuer de manière significative le trafic routier et de réduire la pollution. Il aura également un impact sur le pouvoir d’achat de la population puisqu’il sera évidemment moins cher d’utiliser le réseau métropolitain que de circuler en voiture. Dans le même temps, il est vrai que ce type de projet n’est pas sans incidence sur l’immobilier. Il est possible que les logements prennent de la valeur dans les quartiers proches des futures lignes et stations de métro.

Guillaume Pichelin: Comment voyez-vous l’avenir de la ville de Belgrade dans les prochaines années?

Service économique: Belgrade est une ville attractive et qui se développe rapidement. Les investisseurs français, européens et internationaux considèrent la ville – et la Serbie de manière générale – comme un lieu où il fait bon investir, compte-tenu de sa proximité des capitales européennes et de la région (bonnes connexions aériennes), de la qualité de ses infrastructures et de la main-d’œuvre. Cette dynamique devrait se poursuivre.

Dans le même temps, Belgrade est confrontée à des problèmes environnementaux que nul ne peut ignorer : traitement des déchets, eau, pollution atmosphérique… Consciente de ces défis, les autorités serbes et la ville de Belgrade ont initié plusieurs projets d’infrastructure visant à mettre le pays en conformité avec les normes environnementales européennes. Elle s’appuie en partie, pour cela, sur de l’expertise internationale, dont celle de la France, qui détient un véritable savoir-faire dans ce domaine. Ainsi, Suez Environnement construit un nouveau centre de traitement des déchets à Vinča, l’une des plus grandes décharges d’Europe encore à ciel ouvert. Celle-ci ne se trouve qu’à quelques kilomètres de la ville de Belgrade et, jusqu’il y a peu, déversait ses déchets directement dans le Danube. La ville a par ailleurs d’ambitieux projets d’assainissement et de traitement des eaux usées, sur laquelle des entreprises françaises et européennes se sont positionnées. 

Belgrade souffre par ailleurs de pollution atmosphérique. Il s’agit d’un problème multifactoriel qui est lié au chauffage au bois, à la présence de centrales à charbon et au trafic routier. Là encore, les autorités serbes ont connaissance du défi à relever, mais cela engage des investissements conséquents et des mises aux normes qui ne peuvent se réaliser du jour au lendemain. 

Forts de ces constats et compte-tenu des projets en cours, il est indéniable que Belgrade maintiendra son statut de capitale régionale, grâce à un bon maillage de transports, et se développera tout en restant agréable à vivre. Une fois achevé, le métro, qui sera de fait l’un des plus modernes au monde, constituera une belle vitrine pour la ville. Dans un autre domaine, tout aussi important, la concession de l’aéroport Nikola Tesla de Belgrade à l’entreprise française Vinci Airports lui permettra d’accueillir 15 millions de passagers au terme du contrat, contre 6 millions aujourd’hui. Tous ces projets de développement d’infrastructures vont accompagner et structurer la ville dans son expansion.


Euro Créative remercie chaleureusement le Service économique de l’ambassade de France à Belgrade pour le temps accordé au cours de cet entretien.

Cet entretien a été réalisé par Guillaume Pichelin.

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