Le 21 avril 2019, l’acteur Volodymyr Zelenskyy gagnait l’élection présidentielle et devenait le sixième Président de l’Ukraine. Plus de 70% des Ukrainiens ont voté pour M. Zelenskyy et pour son programme « Ukraine – un pays de rêve », croyant sincèrement au nouveau visage de la politique ukrainienne et à ses promesses de nouveau départ pour le pays.
À l’heure où nous écrivons ces lignes, alors que se profilent les élections locales, le Président Zelenskyy est au pouvoir depuis maintenant 17 mois. Cependant son véritable règne n’a commencé qu’en août 2019, lorsque les élections législatives ont accordé la majorité absolue des sièges à son parti « Serviteur du peuple », une première dans l’histoire de l’Ukraine indépendante. Avec 254 députés sur 450 (56% des sièges), M. Zelenskyy rassemble depuis lors entre ses mains des pouvoirs extraordinaires qui lui permettent d’influencer presque tous les processus du pays, permettant hypothétiquement de mettre en œuvre l’ensemble de ses idées et de ses décisions.
La question est de savoir si le président Zelenskyy a réussi à rapprocher l’Ukraine du pays de rêve qu’il avait promis à ses électeurs. Pour cela nous avons analysé ses plus grandes promesses et l’avancée de leur réalisation à ce jour.
Sécurité humaine – Sécurité nationale
Lors de sa campagne électorale, le candidat Zelenskyy avait deux choses en tête
« Mettre fin à la guerre dans le Donbass, récupérer les territoires occupés et obliger l’agresseur à rembourser les dégâts. »
Volodymyr Zelenskyy (2018)
L’assurance de mettre fin à la guerre dans le Donbass était l’une des principales promesses de Zelenskyy. Dans un entretien en août 2020, il a de nouveau exprimé l’espoir que la guerre se terminerait cette année.
Un cessez-le-feu complet et global a été proclamé dans le Donbass le 27 juillet, comme convenu par les représentants de l’Ukraine, de la Russie et de l’OSCE lors d’une réunion du Groupe de contact tripartite le 22 juillet. Dès le premier jour du cessez-le-feu, l’armée ukrainienne a dénombré plusieurs accrochages (avec des lance-grenades, des mitrailleuses et des armes légères) et les observateurs de l’OSCE 111 violations du régime du « silence ». Depuis la trêve est constamment rompue.
Par conséquent hormis un échange de prisonniers très médiatisé, V. Zelenskyy n’a pour l’instant pas un meilleur bilan que son prédécesseur Petro Porochenko ; la fin du conflit russo-ukrainien semble encore très lointaine. En outre, certaines initiatives du Président et de son équipe pour démontrer ses efforts et obtenir des résultats rapides sont discutables. L’acceptation du processus Steinmeier en octobre 2019 a ainsi été très critiquée mais sa mise en place butte sur la révision de la Constitution et l’organisation d’élections transparentes en zone rebelle.
La question de la Crimée annexée est restée en dehors du cadre de la reprise du dialogue avec le Kremlin. Au cours de l’année, le président V. Zelenskyy a confirmé publiquement à plusieurs reprises la position officielle de l’Ukraine de ne pas reconnaitre l’annexion russe. A ce jour ce dossier n’a connu aucune avancée. D’autre part la situation dans les mers Noire et d’Azov reste explosive en raison du blocus russe du détroit de Kertch.
La Russie poursuit son agression militaire, politique, économique, énergétique et informationnelle contre l’Ukraine. A ce jour rien ne nous permet de penser que le Président Zelenskyy sera en mesure de tenir sa promesse de paix.
Rapprochement Euro-atlantique
Petro Porochenko avait inscrit le rapprochement avec l’OTAN dans la Constitution ukrainienne durant sa présidence. Zelenskyy a suivi son prédécesseur dans ce domaine.
Les 30 et 31 octobre 2019, le Conseil de l’Atlantique Nord de l’OTAN a rendu visite à l’Ukraine et un sommet de la commission OTAN-Ukraine s’est tenu dans la foulé à Kyiv. Ces réunions ont permis de développer les projets et activités conjoints, d’intensifier la coopération contre les menaces hybrides, de renouveler l’assistance à l’Ukraine en matière de commandement, de cyberdéfense et de santé, et même d’organiser des exercices conjoints en mer Noire (Coherent Resilience en 2020).
En juin 2020 l’Ukraine a rejoint la Géorgie, la Suède et la Finlande au sein du Partenariat pour les opportunités accrues (EOP, Enhanced Opportunities Partnership) ce qui constitue une étape importante dans les relations avec l’Alliance. En septembre 2020, V. Zelenskyy a, en établissant la nouvelle Stratégie de Sécurité nationale de l’Ukraine, confirmé que celle-ci passe par l’adhésion à l’OTAN. Ainsi, nous pouvons parler d’un maintien du cap euro-atlantique et de la coopération avec l’OTAN. Pour assurer cet objectif, le gouvernement ukrainien prévoit de lancer un ensemble de réforme pour rapprocher l’armée des normes de l’OTAN, encore très éloignées, et redonner du prestige et de l’attrait aux carrières militaires.
En ce qui concerne l’intégration européenne, le Président a plusieurs fois déclaré qu’il s’agissait d’une priorité absolue. Les autorités ont ainsi essayé de mettre en pratique un rapprochement continu et approfondi avec l’UE. En particulier, une trentaine de « lois d’intégration européenne » ont été adoptées, nécessaires pour entamer les négociations sur l’Accord ACAA (Accord sur l’évaluation de la conformité et l’acceptation des produits industriels) dit « exemption de visa industriel ». Toutes les conditions de la dernière tranche du quatrième programme d’assistance macroéconomique de l’UE ont été remplies et un prêt de 1,2 milliard d’euros a été accordé à l’Ukraine pour surmonter les effets de la pandémie.
Cependant le ‘régime turbo’ du gouvernement de Zelenskyy a affecté la qualité de la législation, ce qui a suscité des critiques, notamment de la part des partenaires occidentaux. D’autre part, les divergences de positions entre membres du parti créent un contexte défavorable à l’intégration européenne ukrainienne. En parallèle, l’Union européenne semble déjà difficilement mener à bien l’élargissement envers les Balkans occidentaux et les propos de certains responsables occidentaux ne vont pas dans le sens d’une perspective d’adhésion à l’UE pour l’Ukraine. Rappelons à ce titre les mots du Secrétaire d’Etat Clément Beaune « l’élargissement dans les Balkans sera le dernier ».
Démocratie par référendum
Lors de sa campagne électorale, Zelenskyy a souligné que son premier projet de loi concernerait la pratique du référendum. Il visait à permettre au peuple ukrainien d’influer sur les décisions principales du gouvernement en multipliant les recours à la démocratie directe, en utilisant au maximum les dernières technologies. En réalité ce projet de loi sur le référendum n’a été reçu par la Rada que le 9 juin 2020 et n’est pour l’instant passé qu’en première lecture.
L’innovation clé du projet actuel est la possibilité de vote électronique lors des référendums. Cependant le plus difficile, de l’aveu même des auteurs de l’initiative, est d’assurer techniquement la protection des données personnelles des électeurs et les systèmes de vote électronique contre les interférences non-autorisées. On peut se demander si cela sera possible compte tenu des capacités des cybercriminels modernes.
Même une rapide connaissance du projet permet de conclure qu’il contient des normes inconstitutionnelles. En particulier la proposition de pouvoir abroger une loi par référendum est en contradiction directe avec l’article 75 de la Constitution qui ne reconnait comme organe législatif que la Verkhovna Rada, le Parlement ukrainien. Par conséquent, le processus de finalisation et d’adoption de ce projet de loi s’annonce long. D’autre part, le référendum peut être un moyen d’exprimer la volonté du peuple mais aussi un moyen de manipulation. On espère que la future loi sur le référendum sera de haute qualité, claire et compréhensible, et non une menace additionnelle pour la démocratie en Ukraine.
En attendant, le Président a annoncé la mise en place d’un référendum portant sur 5 questions en parallèles des élections locales du 25 octobre 2020. Selon le journaliste français basé à Kyiv Sébastien Gobert, Zelenskyy « veut savoir ce que pensent les Ukrainiens, et de quoi ils parlent dans leurs cuisines. » Ainsi les questions portent sur des aspects divers allant de la consommation du cannabis à usage médical à la mise en place d’une zone économique spéciale à l’Est ou aux peines des fonctionnaires corrompus.
Justice et égalité
Durant sa campagne, V. Zelenskyy promettait de « lever l’immunité du Président, des députés et des juges » et de « commencer à introduire l’égalité et la justice.». Il allait même jusqu’à promettre d’introduire une procédure de destitution du Président et des députés.
Début septembre 2019, la Verkhovna Rada a adopté des lois initiées par le président nouvellement élu « sur les modifications de l’art. 80 de la Constitution ukrainienne (sur l’inviolabilité des députés) » et « sur une procédure spéciale de révocation du Président (impeachment) « . Ces lois, adoptées du point de vue formel, pourraient témoigner de certains progrès dans l’accomplissement des promesses électorales de V. Zelenskyy.
Les députés ont ainsi vraiment perdu leur immunité parlementaire, avec des conséquences à la fois positives et négatives. Cependant, compte tenu de la majorité parlementaire absolue et de l’extrême faiblesse des systèmes de freins et de contrepoids (notamment le rôle clef du Procureur Général qui dépend du Président), le nouveau mécanisme pour traduire les députés en justice constitue en réalité une menace pour l’opposition.
V. Zelenskyy s’était également engagé à lutter contre l’absentéisme des députés qui deviendrait un motif automatique de privation du mandat. Les projets d’amendements à la Constitution sur ce sujet ont été déposés mais la Cour constitutionnelle les a jugés inconstitutionnel. Quant à l’adoption de la loi sur la procédure spéciale de mise en accusation du Président, elle n’a pas résolu la question de la privation de son immunité, elle ne fait que reprendre des dispositions constitutionnelles déjà existantes. Pour finir, concernant l’immunité des juges, rien n’a été fait depuis l’élection présidentielle de 2019.
Lutte contre la corruption
Une grande partie du programme du candidat Zelenskyy était consacré à vaincre la corruption, en éliminant ses causes profondes et en renforçant la répression.
Le candidat avait notamment déclaré: « Je n’ai jamais volé et je ne permettrai à personne de le faire« . Assez logiquement son programme contenait des prescriptions claires comme la tolérance zéro à tous les niveaux, l’impossibilité de libération sous caution pour les suspects, l’interdiction à vie d’exercer une fonction publique et la confiscation des biens pour les condamnés et la protection des lanceurs d’alerte.
Cependant la plupart des analystes s’accordent à dire que jusqu’à présent les mesures prises sont bien en deçà des ambitions initiales. Le 17 octobre 2019 la Rada a adopté la loi sur les lanceurs d’alerte, qui est rentrée en vigueur au 1er janvier. Elle instaure une récompense de 10% de la somme en jeu dans le cas d’une révélation de pot de vin. Cependant, dans la pratique, ce mécanisme n’a pas encore prouvé son efficacité et n’a en aucune façon amélioré l’état de la lutte contre la corruption.
Après avoir examiné de grands axes de sa campagne, on peut conclure qu’à ce jour le pays de rêve de Zelenskyy reste un rêve. Les mauvais choix de personnel du président, le manque de cohésion idéologique de son parti ainsi que la détérioration de la situation économique consécutive à la pandémie mondiale ne fournissent pas de leviers pour un changement positif.
Pour le moment, les sondages font état d’un soutien populaire au Président en baise constante témoignant de la frustration au sein de la société. Les élections locales pourraient bien être un camouflet pour le Président et ses alliés politiques. L’espoir demeure tout de même en Ukraine. Les prochains mois diront s’il pourra finalement tenir toutes ses promesses ambitieuses ou s’il trahira finalement la confiance de ses électeurs.
Les propos de l’auteure sont personnels et ne peuvent en aucun cas engager la responsabilité juridique de l’Association Euro Créative.
Bogdana Shynkarenko
Bogdana Shynkarenko est diplômée de l’université Taras Shevchenko de Kyiv en droit international et de l’Université de Lyon en Master AlterEurope, spécialisé dans les relations de l’UE avec les pays du voisinage oriental. Bogdana dispose de plusieurs expériences professionnelles dans des structures publiques (Ministère des Affaires étrangères ukrainien), privées, et dans des ONG (Croix Rouge française) spécialisées dans les projets de développement. Ses expériences et ses études lui ont à permis de développer ses connaissances de la région. En plus du français et et de l’anglais, Bogdana parle également ukrainien et russe.
Directeur général d’Euro Créative, analyste Défense/Sécurité