Par Solène MBOUSSA
Voilà plus d’un an que le chercheur Michał Bilewicz attend que le Président polonais Andrzej Duda valide sa nomination au titre de Professeur, la plus haute distinction académique du pays. Requérant une simple signature, sa procédure est inhabituellement longue et Bilewicz craint d’être une nouvelle fois ignoré par les autorités. Spécialiste de l’antisémitisme, de la xénophobie et du langage de la haine, Bilewicz s’était retrouvé sous le feu des projecteurs en 2018, suite à un cours donné au Musée de l’Histoire des Juifs Polonais (Polin). Commentant la vague antisémite menée par le pouvoir communiste en Mars 1968, le chercheur avait affirmé qu’un langage de haine aussi important qu’il y a 50 ans était de retour au sein de la société polonaise. Un discours qualifié d’« anti-polonais » par des militants et des politiques. Deux sénateurs du PiS étaient même allés jusqu’à interpeller le Ministre de la Culture pour le « manque d’objectivité » du chercheur.
Cette non-nomination – qui s’ajoute au cas similaire de l’ex-Directeur du Musée Polin, Dariusz Stola – nous rappelle que l’Holocauste est un sujet historique controversé pour la Pologne. En février 2018, le Sénat avait adopté une loi punissant par des amendes ou des peines de prison toutes personnes attribuant « à la nation ou à l’Etat (…) la responsabilité ou la coresponsabilité des crimes nazis commis par le IIIème Reich allemand ». Condamnée par la communauté internationale, la loi fut amendée quelques mois plus tard. Cette position a également participé à une détérioration des relations diplomatiques avec l’État d’Israël qui ne fût pas représenté lors des commémorations du 80èmeanniversaire du début de la Seconde Guerre Mondiale à Varsovie en Septembre dernier.
D’une manière plus générale, le gouvernement du PiS tente depuis plusieurs années de (re)prendre en main le récit historique national. Cela passe par un contrôle plus poussé du monde académique, notamment par la mainmise sur l’Institut de la Mémoire Nationale (IPN), la réécriture des programmes scolaires ou l’ouverture de plusieurs musées nationaux (voir notamment la controverse de Westerplatte). L’Histoire a une place prépondérante au sein de la société polonaise. Cela peut s’expliquer en partie par les tragédies historiques que le pays a subi au cours de son histoire et plus encore par la chape de plomb imposée par la domination communiste pendant presque 50 ans. Depuis 30 ans, la Pologne redécouvre donc son histoire, produisant inévitablement controverses et divergences. Ce processus est nécessaire à la société polonaise et il n’est pas terminé, que cela concerne la Pologne des années 1940/50 ou la Pologne des Années 1980/90. Ce processus doit cependant se faire sans entraves liberticides et sans instrumentalisation politique pouvant conduire à une polarisation dangereuse de la société ainsi qu’à une réécriture falsifiée de l’histoire polonaise.
Président fondateur d’Euro Créative, spécialiste Europe centrale