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Quel avenir pour la jeunesse roumaine ?

Par Doris Manu.

Dans une Europe du Sud-Est où les taux de chômages sont élevés et où les salaires sont nettement inférieurs à la moyenne européenne, on a l’habitude de lire des gros titres annonçant que la moitié des jeunes de tel ou tel pays souhaitent partir. La Roumanie, État membre de l’Union Européenne depuis plus de 10 ans, avec une population qui avoisine les 20 millions d’habitants, ne fait pas exception puisque près de la moitié des 15-24 ans expriment régulièrement le souhait d’émigrer.

Ce constat s’ajoute à la perte de population que le pays a déjà connu sans discontinuer depuis la chute du régime communiste, soit un déficit de 3,8 millions de personnes. Les visas ayant été supprimés en 2007 lors de l’accession de la Roumanie à l’UE, beaucoup de citoyens sont partis dans d’autres pays de l’Union. Selon Eurostat, la Roumanie se classe au premier rang en Europe concernant le nombre de jeunes vivant à l’extérieur du pays. On estime ce nombre à environ 600 000 personnes nées en Roumanie, soit un enfant roumain sur huit.

Une pénurie de compétences

Le déclin démographique qui s’accompagne d’un départ de la jeunesse et d’une fuite des cerveaux entraîne inévitablement une pénurie de compétences et une perte de compétitivité. 

Les secteurs où la pénurie de compétences est la plus importante en Roumanie sont les technologies de l’information et de la communication (TIC) et la santé, suivis par l’éducation. En 2018, 90 % des entreprises roumaines qui ont tenté de recruter des spécialistes des TIC n’ont pas pu pourvoir les postes vacants. Dans le secteur de la santé, 3 000 médecins entrent dans le système chaque année, tandis que 3 500 en sortent au cours de la même période pour cause de retraite ou de migration, selon l’Association Médicale Roumaine

La pénurie de main-d’œuvre et de compétences dans les secteurs fournissant des services à la population, tels que l’éducation et la santé, ne fait qu’accroître l’émigration et la fuite des cerveaux. En effet, la population dispose de certaines attentes vis-à-vis de la qualité de ces services qui ne sont pas satisfaites et qui entraînent des frustrations telles que le désir de vivre ailleurs.

Face au sous-emploi et au coût de la vie, des envies d’ailleurs

Parmi les facteurs d’émigration les plus cités chez les jeunes, on trouve également le manque de perspectives d’emploi. Dans un pays où le salaire moyen représente environ un tiers du salaire moyen de l’UE27 et où les obstacles administratifs au travail transfrontalier sont très peu nombreux, la mobilité européenne ou internationale pour de meilleurs emplois ou un travail mieux rémunéré est le choix de nombreux jeunes diplômés. 

Les jeunes diplômés hautement qualifiés ne sont pas les seuls à être tentés par l‘émigration, les personnes non-qualifiées le sont aussi. Le coût de la vie et l’urbanisation étant en hausse, la main d’œuvre non-qualifiée venant des zones rurales préfèrent s’expatrier plutôt que de s’installer dans une capitale coûteuse à la recherche d’un emploi.

Inégalités, injustice et corruption : un système frustrant

Le sentiment de frustration qui pousse de nombreux Roumains à l’étranger est également une conséquence des inégalités, de l’injustice et de la corruption perçues. En matière d’inégalités, la Roumanie présente l’un des ratios les plus élevés de l’UE : les 20 % les plus riches de la population roumaine ont reçu sept fois plus de revenus que les 20 % les plus pauvres en 2017. Le sentiment d’inégalité perçu, associé à la corruption perçue, contribue au sentiment de désespoir et au manque de foi en un avenir meilleur pour la jeunesse roumaine. 

Le niveau élevé de corruption perçu a été à l’origine de nombreuses protestations contre le gouvernement ces dernières années. Les jeunes ont assisté en grand nombre à ces manifestations pour exprimer leur mécontentement quant à la manière dont la gouvernance actuelle du pays affecte dramatiquement leur avenir.

Les tentatives politiques d’interférer dans la lutte contre la corruption ont également suscité des critiques internationales. Dans l’indice 2019 de perception de la corruption de Transparency International, la Roumanie a été rétrogradée par rapport à l’année précédente et a reçu le score peu flatteur de 44 points sur 100. Il s’agit du score le plus bas de toute l’UE, qui s’explique par l’existence « de mesures pour saper l’indépendance judiciaire et d’une incapacité à poursuivre la corruption de haut niveau« . Même sans évoquer les tentatives les plus récentes des autorités nationales de modifier le code pénal et d’influer sur le système judiciaire, la confiance dans le système judiciaire demeure très faible, celui-ci étant perçu comme corrompu, politisé ou incompétent.

Une crise politique durable

La crise politique généralisée a eu pour conséquence le changement ou la recomposition du gouvernement à de nombreuses reprises ces dernières années. 

La difficile cohabitation d’un gouvernement social-démocrate (sous la direction de Viorica Dăncilăentre 2018 et 2019) avec un Président de l’opposition (Klaus Iohannis du Parti National Libéral depuis 2014) a pris fin lorsque la coalition gouvernementale du PSD s’est effondrée. Il n’y a ensuite pas eu d’accord sur la tenue d’élections anticipées et le nouveau gouvernement dirigé par le PNL n’a survécu que très peu de temps avant de perdre un vote de confiance au Parlement. Quelques jours plus tard, ce même gouvernement est pourtant revenu au pouvoir après avoir reçu un nouveau mandat du Président qui a été approuvé par le Parlement.

Dans un climat d’instabilité politique, les décisions politiques adoptées par le gouvernement n’inspirent pas confiance et sécurité aux jeunes citoyens ordinaires. La confiance dans les partis politiques et les institutions de l’État est à son plus bas niveau. 

Que devrait faire la Roumanie ?

En priorité, le gouvernement devrait investir massivement dans l’éducation, soutenir l’esprit entrepreneurial de la jeunesse et augmenter les salaires dans les secteurs qui fournissent des services publics. Une population jeune et instruite qui voit des perspectives d’emploi et des emplois bien rémunérés dans son pays ne cherchera pas autant de débouchés ailleurs.

Deuxièmement, l’État devrait introduire des mesures fiscales qui réduisent les inégalités économiques et l’écart entre le développement urbain et rural. Les jeunes en quête de plus d’équité et de justice dans la société roumaine n’émigreront donc pas par frustration et déception face à la manière dont les moins privilégiés sont traités. 

Enfin, les partis politiques ainsi que les responsables politiques et les institutions qu’ils dirigent devraient respecter les principes de bonne gouvernance et de séparation des pouvoirs. C’est la seule façon de rétablir la confiance et de regagner le respect des jeunes qui, autrement, partiront à la recherche de sociétés mieux gouvernées.


Les propos de l’auteure sont personnels et ne peuvent en aucun cas engager la responsabilité juridique de l’Association Euro Créative.

Doris Manou

Doris Manou a une formation en Relations Internationales et en Études Européennes. Elle travaille actuellement à la mission de l’Union Européenne à Tirana dans le cadre de la politique d’élargissement de l’Union Européenne. Les principaux intérêts de Doris portent sur la politique internationale, les affaires internationales et la région des Balkans Occidentaux. Enfin, Doris dispose d’une véritable expérience internationale ayant vécu en Belgique, en Roumanie, en Croatie, en Serbie, au Kosovo, en Macédoine du Nord et en Albanie.

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