Les élections législatives polonaises d’Octobre 2019 sont importantes car elles décideront de la stratégie du pays durant les 4 prochaines années. Outre des défis internationaux ou sociétaux, la Pologne devra également relever des défis économiques importants. Depuis plusieurs années son économie connaît un développement remarquable. L’objectif pour le parti qui formera un gouvernement sera alors de continuer sur la voie du succès économique. Favori des sondages le parti Prawo i Sprawiedliwość (PiS) devrait être reconduit au pouvoir pour les quatre prochaines années. Le PiS est installé au pouvoir depuis Octobre 2015, une période durant laquelle la situation économique globale était bonne. A ce moment-là, des problématiques comme le Brexit ou la guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis n’existaient pas. En effet, la période était caractérisée par une croissance économique mondiale soutenue et visible – notamment au sein de de l’Union Européenne.
Au lendemain de la victoire du PiS, de nombreuses voix se sont élevées pour exprimer leurs doutes quant à la capacité du parti à gérer économiquement le pays. Après quatre années de pouvoir, le PiS détient un bilan économique largement positif. Pour preuve, avec un taux de croissance de 5,1% en 2018 (voir Figure 1), la Pologne est l’un des pays avec la plus forte croissance de l’UE. Cette situation économique a entrainé une baisse du chômage, qui a atteint en août 2019 le taux historiquement bas de 5,2% (voir Figure 2). Dans le même temps, l’optimisme des consommateurs est très élevé. Dynamisées par cette croissance, les entreprises polonaises font même face à un manque de main d’œuvre afin d’atteindre pleinement leur potentiel. C’est la raison pour laquelle la Pologne a permis un grand afflux migratoire, principalement d’origine ukrainienne. En outre, ces bons résultats ont permis à la Pologne de remonter dans les classements internationaux, par exemple de se classer 3ème dans le Top 20 Investment countries report. Il y a également une forte confiance internationale dans la stabilité de l’économie polonaise. Finalement, le gouvernement du PiS a annoncé récemment être capable de proposer un budget en équilibre pour 2020, ce qui serait une première dans l’histoire moderne de la Pologne.
Figure 1. Le crosissance économique en Pologne.
I – Un gouvernement qui prend des mesures sociales
L’une des grandes réussites du PiS durant son mandat se trouve dans sa gestion budgétaire. En effet, le PIS est parvenu à combler l’écart de TVA (VAT gap) de 36,9 milliards de złotys en 2016 à 13,8 milliards en 2018. Cette mesure a permis au pouvoir des gains financier qui ont été réalloués au financement de généreux programmes sociaux. Le gouvernement PiS est le premier gouvernement depuis 1989 à élaborer une politique de transferts sociaux, promettant ainsi la mise en place d’un État providence à la polonaise.
La politique sociale du PiS n’est pas nouvelle, le programme 500+, mis en place en 2018, en étant l’un des piliers. Dans un objectif de soutient des familles avec plus d’un enfant, le gouvernement donne chaque mois 500 złoty (environs 115 euros) aux familles en situation de précarité. Outre la volonté d’aider les classes sociales les plus démunies, l’objectif de cette mesure est également d’encourager la natalité dans un pays où le taux de natalité est dangereusement bas. Parmi les autres programmes sociaux, nous pouvons citer l’instauration d’une subvention annuelle concernant la rentrée scolaire, la mise en place d’un 13èmemois de pension aux personnes âgées ou l’abaissement de l’âge de départ à la retraite (60 ans pour les femmes, 65 pour les hommes).
La campagne électorale pour les législatives est alors l’occasion de réaffirmer ce tournant social. Le PiS décide même d’élargir son offre en offrant un 14èmemois de pension pour les retraités, une augmentation du salaire minimum (4000 złoty (925€) à l’horizon 2023), l’extension du programme 500+ ou encore l’abaissement de l’âge de la retraite pour certaines professions comme les enseignants. Ces promesses électorales ont permis au PiS d’accroître sa popularité et de dynamiser sa campagne, ce qui place le parti largement en tête des sondages pour les élections législatives. En face, l’opposition bafouille et ne parvient qu’à promettre à la population le maintien des avantages sociaux acquis jusqu’ici.
Ces aides financières ont entrainé une hausse importante de la consommation et ont permis à l’économie polonaise de continuer sa croissance, et ce malgré un ralentissement de l’économie mondiale. De plus, ces mesures ont entrainé une baisse de l’index Gini, la population polonaise évoluant dans un système plus égalitaire. Cependant, la consommation n’est pas un moteur stable de croissance économique. Il reste donc des défis à relever pour entretenir le développement économique de la Pologne durant le prochain mandat.
Figure 2. Chômage en Pologne, 2015-VIII 2019
II – Quelle stratégie pour la croissance future ?
La multiplication des aides sociales nous amène cependant à nous interroger sur la pertinence d’une stimulation de la consommation comme stratégie économique pour la Pologne. En effet, ces décisions vont avoir un coût financier certain. L’inquiétude porte notamment sur les répercussions de telles mesures sur les petites et moyennes entreprises (hausse de la taxation, hausse des salaires). Plus largement, c’est la problématique du maintien de la croissance à long-terme qui se pose. La Pologne post-communiste, et notamment depuis 2004, a connu une période de croissance économique constante. Jusqu’à présent, l’économie polonaise était caractérisée par une main-d’œuvre compétente, disponible et bon marché, une consommation importante et un accès au marché unique européen (80% des exportations polonaises étant destinées à l’UE). Cependant, ces moteurs de croissance arrivent à leurs limites et la Pologne devra éviter le ‘middle income trap’ du fait d’une croissance fondée seulement sur un coût de main d’œuvre faible.
Pour éviter la stagnation de son économie, le futur gouvernement devra dynamiser et diversifier son économie. Et cela doit passer par l’innovation technologique. Cependant, le parti au pouvoir ne s’est pas franchement illustré sur ce point. Par exemple, le programme de mobilité électrique s’est avéré être un échec (plan de production d’un million de voitures électriques en 2025). Plus généralement, le grand plan gouvernemental pour un développement viable annoncé par le Premier Ministre Mateusz Morawiecki visait à augmenter le niveau des investissements à 25% du PIB. Toutefois, cela n’a pas été le cas puisque le niveau des investissements a chuté à 18% du PIB, l’un des plus bas en Europe et qui plus est largement inférieur à celui des pays partenaires du groupe de Visegrad. Un faible niveau d’investissement va de pair avec un faible niveau de Recherche & Développement. En 2004, les dépenses de R&D atteignaient 0,6% du PIB GDP, contre 1% maintenant. Une fois encore, ce chiffre place la Pologne parmi les mauvais élèves européens en la matière. En outre, le nombre de brevets déposés par les polonais ainsi que et le nombre de partenariats entre les entreprises et les universités sont trop peu nombreux.
De plus, il apparaît nécessaire améliorer l’environnement des entreprises afin d’augmenter l’attractivité économique du pays. Selon un rapport de la Banque Mondiale, la Pologne a reculé à la 33ème place en 2019 (contre 27ème en 2018) dans ce domaine. Cette position en baisse s’explique en partie par le maintien d’un système fiscal trop compliqué qui rallonge les procédures de paiement au sein des entreprises. Ce point est confirmé par l’index International Tax competitiveness 2019, qui place la Pologne à la 35ème place, loin derrière des pays tels que l’Allemagne (16ème), la République tchèque (10ème) ou la Lituanie (4ème). Également, les procédures judiciaires pourraient être simplifiées alors que les tribunaux consacrent aujourd’hui en moyenne 232 jours au règlement des procès économiques. Malheureusement, la réforme judiciaire du PiS n’a pas réglé ce problème et il reste encore beaucoup à faire afin de fluidifier le système. À titre d’exemple, le champion d’Europe – La Lettonie – n’a besoin que de 85 jours pour régler des procès économiques devant les tribunaux.
Selon le rapport Polska 2030 publié par McKinsey et Forbes, le pays a la capacité d’augmenter considérablement son PIB et son bien-être économique. Cependant, pour ce faire, des modifications doivent être apportées. Le rapport recommande : une compétitivité et une productivité accrues, des investissements plus importants, un capital humain hautement qualifié et un environnement commercial amélioré. Ainsi, une planification stratégique économique à long terme serait plus judicieuse qu’une politique économique à court terme basée sur des prestations sociales.
III – La question de la transition écologique
Un autre défi économique important pour la Pologne au cours des quatre prochaines années sera la transition énergétique. En effet, afin de poursuivre son développement économique, la Pologne va devoir produire plus d’énergie. Il apparait donc inévitable à terme de changer de politique énergétique compte tenu des pressions internationales visant à réduire les émissions de CO2 et à remplacer l’utilisation du charbon par des énergies renouvelables. Néanmoins, le mix énergétique de la Pologne n’est pas favorable, le charbon étant la principale source d’énergie – constituant même 80% de son énergie. La hausse des prix du charbon, la hausse des prix de l’ETS (EU Emissions Trading System) et les politiques européennes plus restrictives visant à protéger le climat ont exercé des pressions sur le secteur énergétique polonais. Ceci a alors entraîné une augmentation des prix de l’énergie, une augmentation contenue tant bien que mal par le gouvernement au cours de l’année électorale 2019. Une production énergétique basée à 80% sur le charbon est donc à long terme insoutenable. Une transformation énergétique doit être menée afin de préserver la compétitivité économique du pays et le bien-être de ses citoyens.
Il faut en être conscient, la transformation énergétique en Pologne aura un coût élevé. Un coût financier tout d’abord de part des investissements financiers nécessaires en termes d’infrastructure par exemple. Un coût social ensuite, essentiellement du fait des réductions d’emploi au sein de l’industrie charbonnière en Pologne. Cela pourrait s’avérer particulièrement problématique pour le PiS puisqu’une région comme la Silésie – région charbonnière de la Pologne – est une région électorale importante et un lieu de grande popularité pour le parti au pouvoir. Ainsi, on peut se demander si le PiS sera capable de sacrifier une vision politique court-termiste pour une vision stratégique de transformation économique à long-terme.
Cependant, la transformation énergétique de la Pologne peut être gérée progressivement par le biais d’un large ensemble de politiques publiques. Une politique éducative efficiente pourrait ainsi réorienter les compétences professionnelles vers d’autres secteurs que l’industrie minière. Avec le temps, et le départ à la retraite des mineurs, l’emploi global dans ce secteur diminuera naturellement. Néanmoins, le gouvernement tente de préparer une stratégie pour changer la structure du secteur énergétique polonais. Selon le document gouvernemental Polityka Energetyczna Polski do 2040 (Stratégie énergétique polonaise pour 2040), la transformation impliquera : (1) une part plus faible du charbon dans la production énergétique (sa production devrait déjà diminuer de 80% à 60% en 2030); (2) une augmentation de la part des énergies renouvelables dans le mix (énergie solaire et énergie éolienne en mer); (3) mise en place de la production d’énergie nucléaire (à partir de 2023); (4)le recours au gaz comme une stabilisation de l’ensemble du système énergétique[18].
La réussite du PiS de ces quatre dernières années va selon toute vraisemblance lui permettra une réélection aisée. Toutefois, le PiS va devoir réorienter sa politique économique puisqu’un développement fondé sur la consommation n’est pas une source de croissance stable, en particulier en cas de ralentissement économique ou de crise à long terme. Il faut donc davantage d’investissements et un développement de l’économie reposant sur les nouvelles technologies plutôt que sur de gros transferts sociaux. Deuxièmement, une partie importante de la préservation de la croissance future est la transition énergétique. Le mix énergétique basé à 80% sur le charbon ne peut perdurer et doit être remplacé progressivement par un mix énergétique diversifié centré autour des énergies renouvelables et du nucléaire.
Pour conclure la Pologne a besoin d’une stratégie à long terme et d’une vision pour son développement futur. Une vision capable de dynamiser et de maintenir la croissance polonaise dans le cas d’un environnement économique international positif mais aussi capable de d’offrir des gages de résistance en cas de dépression économique généralisée. Ceci reposera sur la capacité du prochain gouvernement à favoriser ce type de développement par rapport à des gains politiques à court terme.
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