Aller au contenu

Quo Vadis Austria ? Retour sur les élections législatives

Ibiza gate’ ou les vacances forcées du FPÖ

Cette année, la campagne électorale en Autriche a été suivie avec grand intérêt par la communauté internationale. Un regard rétrospectif sur les mois précédents permet de comprendre les causes de cet intérêt. En effet, le 17 Mai 2019 marque le début de ce que les Autrichiennes et les Autrichiens appellent ‘l’Affaire Ibiza’. Pour beaucoup d’entre eux, les îles Baléares sont devenues le symbole d’une génération de politiciens vaniteux mettant en danger les règles du jeu démocratique. À l’été 2017, Heinz-Christian Strache, chef du Parti de la Liberté d’Autriche (FPÖ), a été filmé en caméra cachée dans une villa à Ibiza en train de négocier des fonds avec une personne qu’il pensait être une oligarque russe. La raison pour laquelle la vidéo a été publiée plus d’un an après la formation du gouvernement de coalition ÖVP-FPÖ, fait toujours l’objet d’une enquête auprès de la commission SOKO Ibiza. Le Parquet National Financier Autrichien a décidé récemment qu’Heinz-Christian Strache ne serait pas poursuivi en justice pour ces faits car, à l’époque, il n’exerçait pas la fonction de Vice-Chancelier.

«Genug ist genug»Trop c’est trop»), dit alors le Chancelier Sébastian Kurz lors de son premier discours après ‘l’affaire Ibiza’. Trop de soupçons pesaient sur le FPÖ et pouvaient salir les mains du jeune politicien issu du Parti Populaire Autrichien (ÖVP). Mais pour Kurz, mettre fin à la coalition avec le FPÖ signifiait aussi de nouvelles élections, une campagne intense et l’aveu qu’un gouvernement avec le FPÖ n’était peut-être pas une si bonne idée. Le 27 mai, le Parlement exprima sa défiance vis-à-vis du Chancelier, et pour la première fois, un gouvernement purement administratif sous la direction de Brigitte Bierlein fût mis en place. Pour Sebastian Kurz, c’était le prix à payer pour se séparer de son Vice-Chancelier. Depuis son arrivée au pouvoir en 2017, Kurz est devenu la personnification du changement. Il a mis en application les deux piliers centraux de son programme, à savoir la stabilité (il évoque à la fois de stabilité économique et la stabilité sociétale) et l’activisme politique (contre l’immobilisme, caractéristique des précédentes coalitions au pouvoir selon lui). Avec le FPÖ à ses côtés, Kurz a mis fin au fébrile compromis politique des grandes coalitions avec les sociaux-démocrates (SPÖ). Ce dernier, parti traditionnel de la politique autrichienne est touché par une crise profonde depuis plusieurs années. Malgré l’échec du gouvernement Kurz-Strache, le SPÖ n’est pas parvenu à mobiliser les électeurs de droite déçus et s’est encore affaibli. De son côté, Kurz a su garder son électorat de droite et convaincre de nombreux électeurs mécontents du FPÖ.

SORA/ORF, Austrian Parliamentary Election 2019, Voter Transition Analysis, October 2019

Étonnement, le sujet dominant de la campagne ne fut pas fait Ibiza et le scandale de la corruption, mais la protection du climat. Après la désillusion politique de 2017, qui les avait privés de représentation au Parlement, les écologistes (Grünen) sont de retour.

Résultats des élections législatives : le retour de l’ex-Chancelier Kurz

Sebastian Kurz est en effet le grand gagnant de ces élections – et ce malgré certaines affaires qui auraient pu nuire à son image. Pendant la campagne électorale, l’Autriche a été confrontée au ‘Shredder-Gate’ (des disques durs du bureau de Kurz – volontairement détruits peu après l’affaire Ibiza) ou encore aux dissimulations de la part de l’ex-Chancelier concernant le montant des frais de campagne de son parti en 2017. Toutefois, le président du parti ÖVP a réussi à mener les siens à la victoire obtenant 37,5% des votes, soit 6 points de plus que deux ans auparavant. L’autre grand gagnant est le parti écologiste Grünen avec un score en hausse de 10 points suivant le jeune parti libéral NEOS (+3) en faible mais constante progression. Le FPÖ (-10) et le SPÖ (-6) sont les perdants de ces élections.

En analysant plus en détail les résultats, on peut dégager certains traits particuliers de cette élection. Ainsi, si l’on analyse l’électorat du parti écologiste, on se rend compte que celui-ci est représenté à 50% par les femmes tandis qu’un tiers des moins de 30 ans l’a également soutenu. Pour cet électorat, il s’agit d’un vote de conviction profond puisque la raison principale de leur vote s’explique par le contenu du programme électoral. Au contraire, les électeurs d’ÖVP et du FPÖ disent accorder plus d’importance à la personnalité des candidats. Ceci fut évidemment un désavantage pour le parti d’extrême-droite qui a perdu plus d’un tiers de son électorat du fait de la destitution de son Président controversé, Heinz-Christian Strache. Ces deux partis attirent de leur côté des classes sociales différentes puisque d’un côté les retraités se reportent majoritairement vers l’ÖVP et de l’autre les ouvriers votent à presque 50% pour le FPÖ confirmant les faiblesses du parti SPÖ qui n’arrive plus à séduire les travailleurs.

Enfin, le taux de participation a chuté d’environ 5 points. Un chiffre conséquent qui fait réfléchir mais qui peut s’expliquer par le recul de la confiance des citoyens autrichiens envers leur démocratie. En effet, alors qu’ils étaient 72% à percevoir la démocratie comme la meilleure forme de gouvernement, ils ne sont aujourd’hui plus que 63%.

Le futur Chancelier Kurz à la recherche d’une (nouvelle) coalition

Pour son deuxième mandat, Sebastian Kurz a donc l’embarras du choix pour former un gouvernement. En Autriche on espère que la formation de ce gouvernement ne durera pas trop longtemps, au plus tard jusqu’en Janvier. Kurz et les partis discuteront les grands thèmes qui dominent actuellement le paysage politique, comme la protection du climat, les réformes du système fiscal et du système éducatif, la sécurité ou l’immigration.

Tout d’abord on peut se demander quelle est la probabilité d’une reprise de la coalition ÖVP-FPÖ. En observant les positions respectives de ces partis, il est évident que FPÖ et ÖVP sont les plus compatibles sur le plan politique. Le retour de cette coalition semble être le choix le plus évident, car les changements entrepris pourraient être poursuivis sans nécessiter d’âpres discussions. Par exemple, il y a eu un consensus au niveau de la réduction du budget pour l’intégration des réfugiés et des migrants. Les autres partis ont en revanche critiqué cette approche, la jugeant « contre-productive ». En outre, FPÖ et ÖVP sont d’accord sur un système fiscal qui privilégie les entreprises dans le but d’aider à développer l’économie autrichienne. Durant sa campagne, le chef du parti FPÖ Norbert Hofer a déclaré souhaiter le rétablissement de la coalition avec l’ÖVP après les élections. Mais après un résultat décevant, l’extrême droite autrichienne se remet en question et se prépare à faire son retour dans l’opposition. Ceci dit, le FPÖ pourrait bénéficier d’une seconde chance si les négociations de coalition avec les autres partenaires potentiels venaient à s’éterniser. Ainsi, le FPÖ aurait suffisamment de temps pour une restructuration au sein du parti.

Les autres partenaires potentiels sont le SPÖ et les Verts. Pour eux, les tractations autour d’une coalition avec l’ÖVP seront plus difficiles car il faudra trouver de nombreux compromis politiques. En effet, leurs positions sont souvent opposées à celles de l’ÖVP, au point que les partis pourraient exiger que certaines de ses décisions antérieures soient annulées. Rappelons également que parmi les électeurs d’ÖVP, 34% souhaitent une coalition avec le FPÖ, 20% avec les Verts et seulement 16% avec le SPÖ. Après de longues années de polarisation politique entre les conservateurs et les sociaux-démocrates, la confiance a disparu.

Une coalition avec Grünen n’est pas évidente et demandera également des compromis mutuels. La politique climatique n’est certainement pas la priorité de Sebastian Kurz et de son parti. Dans ce domaine, il faudrait de plus solides engagements du côté des conservateurs. En face, les Verts devront faire évoluer leur politique migratoire et leur attitude dite de ‘Willkommenskultur’ pour trouver un terrain d’entente avec l’ÖVP. L’espoir est de mise puisque le Vorarlberg et le Tirol – deux régions de l’ouest de l’Autriche – ont déjà montré au niveau régional, qu’une coalition entre les conservateurs et les Verts pouvait être couronnée de succès. Un optimisme qui doit rester toutefois mesuré puisque les précédentes négociations (en 2003) entre les deux partis au niveau national avaient abouti à un échec. Cependant, nous ne pouvons guère comparer la situation d’il y a 16 ans avec celle d’aujourd’hui.  En effet, la jeune génération en Autriche s’intéresse – à l’image de la jeunesse européenne – activement aux questions environnementales et climatiques et joue un rôle déterminant dans l’espace politique national. Il n’y a qu’à voir la situation politique en Allemagne où les partis traditionnels – dont le parti conservateur de la CDU – peinent à convaincre une jeunesse plus favorable aux Verts. Ainsi, une ouverture politique envers le parti Grünen pourrait être un choix politique payant pour le (probable) futur Chancelier Kurz. Une telle coalition apporterait sans doute une plus grande diversité et un certain renouvellement au sein du gouvernement. Le parti écologiste étant un parti attachant une grande importance à la parité et à la jeunesse.

Continuité politique attendue au sein de l’Union Européenne

Malgré ses 8 millions d’habitants, l’Autriche possède une importance diplomatique non-négligeable. Vienne, sa capitale, accueille de nombreuses institutions internationales comme l’Agence Internationale de l’Energie Atomique, l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole, l’Organisation Internationale de la Migration ou l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe. Plus encore, la République autrichienne, située en plein cœur de l’Europe se présente comme un pont entre l’Europe occidentale et orientale. Cette position stratégique est notamment renforcée du fait du contexte des négociations de l’élargissement de l’UE vers les pays des Balkans de l’Ouest. Preuve en est de l’implication autrichienne dans ce dossier, le commissaire autrichien à la Commission Européenne, Johannes Hahn (ÖVP) était responsable du portefeuille élargissement européen et politique européenne de voisinage (2014-2019). Reconduit à son poste de commissaire, l’ancien Ministre des Sciences et de la Recherche, sera désormais affecté au portefeuille du budget et de l’administration. Un autre domaine dans lequel l’Autriche veut peser en tant qu’État partisan d’une stricte rigueur budgétaire. On se rappelle notamment des critiques du Chancelier Kurz à propos des propositions d’Emmanuel Macron concernant une possible mutualisation des dettes à l’échelle européenne. Si la politique européenne de l’Autriche se focalisera sur des questions spécifiques comme nous venons de le voir, elle sera également affectée par la nature de la coalition mise en place au niveau national.


Les propos de l’auteure sont personnels et ne peuvent en aucun cas engager la responsabilité juridique de l’Association Europe Créative.

Une version PDF est disponible

Étiquettes:

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *