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‘Seuls les croyants seront sauvés’: l’Église du salut ou de la mort ?

Le 15 décembre 2018 avec la permission du Patriarcat oecumenique de Constantinople, l’Ukraine a obtenu un “tomos” pour créer la nouvelle Église orthodoxe d’Ukraine. La nouvelle Église est devenue un symbole d’unité des Ukrainiens, où il n’y avait plus de division entre les croyants des patriarcats de Kyiv et de Moscou. On peut dire que c’était une sorte de renaissance de la foi chrétienne en Ukraine où la question de la religion est devenue à nouveau pertinente. Désormais, l’Ukraine veut montrer qu’elle diffère de la Russie non seulement par la langue et la culture, mais aussi par les règlements religieux. Il s’agit d’un autre geste significatif dans la distanciation de l’Ukraine face à la Russie.

Du fait de la propagation de l’épidémie, cette division entre les deux Églises principales d’Ukraine est revenue sur le devant de la scène à l’approche de Pâques. Avec une interrogation plus générale quant à la société: les Ukrainiens sont-ils prêts à sacrifier non seulement leur propre sécurité, mais aussi celle des autres pour le Salut de leur âme? Les Églises orthodoxes soutiennent-elles de tels sacrifices et quelle en est la raison ?

Le dimanche 19 avril, l’Ukraine a célébré les Pâques orthodoxes (Velykden en Ukrainien). Des cérémonies ont eu lieu dans 13 658 temples dans toutes les régions de l’État. Le Ministère de l’Intérieur a rapporté que près de 130 000 citoyens ont participé aux services. « Le service dans la plupart des temples s’est déroulé sans violation, et les gens ont surtout écouté les appels de la police pour se conformer à la quarantaine », a déclaré le Chef de la Police nationale ukrainienne, Igor Klimenko. Dans le même temps, la Police a enregistré 19 incidents de non-respect des temples dans 13 régions. Une infraction étant relevée lorsque plus de dix croyants (avec ou sans masques de protection) étaient réunis dans un même lieu de culte. Le 24 avril, selon l’information de la Ministre de la Santé, l’Ukraine a battu son propre record de contaminations par le virus (8 125 cas au total). En deux jours, une semaine après le weekend de Pâques et le Dimanche des rameaux (Verbna nedilia), il y a donc eu plus de 1.000 nouveaux cas ! Une coincidence pour le moins troublante…

Pourtant, à la veille de Pâques, le Président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a appelé les croyants à s’abstenir d’aller à l’église pour les célébrations de Pâques afin de stopper la propagation massive du Covid-19. Il a précisé que l’État n’avait pas la possibilité légale de fermer les églises, mais il espérait que les fidèles suivraient les conseils du Ministère de la Santé. De son côté, la Police de Kyiv a publié une déclaration officielle le même jour, annonçant qu’elle patrouillerait dans les 179 édifices religieux de la capitale pour réduire les violations de distanciation sociale par les croyants. Rappelons également que des mesures de quarantaine ont été introduites à l’échelle nationale dès le 12 mars, interdisant tous les événements publics et rassemblements de masse.

Ces conseils formulés par les autorités ont été appréhendés différemment par les autorités religieuses ukrainiennes. L’Église orthodoxe ukrainienne et l’Église grecque catholique ont publié des déclarations officielles exhortant les fidèles à célébrer Pâques depuis leur domicile en regardant la télévision. Six chaînes nationales ont ainsi accepté de diffuser les cérémonies.

« Nous apprendrons à célébrer d’une manière nouvelle. Nous respectons les règles de quarantaine non avec contrainte mais avec conviction »

Sviatoslav Chevtchouk – Archevêque de l’Église gréco-catholique ukrainienne

La nouvelle Église orthodoxe d’Ukraine a également annoncé le respect des consignes officielles. En effet, selon la décision du synode, seuls les prêtres et le clergé, les lecteurs et les chanteurs, ainsi que toute personne impliquée dans le culte et la diffusion – au maximum 10 personnes – étaient présents pendant les services religieux. Des déclarations encourageantes ternies par les propos de l’ancien Patriarche de l’Église orthodoxe d’Ukraine du Patriarcat de Kyiv, Filaret.

« Une épidémie est la punition de Dieu pour les péchés des hommes… La cause du Covid-19 est le péché de l’humanité. Quelle est la particularité du péché? Il ne protège pas le bien mais le mal et il ne fait pas que le protéger il le propage également. Je veux dire d’abord le mariage homosexuel. »

Mykhailo Antonovytch Denysenko – Ancien Patriarche de Kyiv

En revanche, le métropolite Pavlo, Chef de la Laure de Kyiv-Petchersk – sous contrôle du Patriarcat de Moscou – a exhorté les croyants à défier les restrictions gouvernementales et à continuer de venir à l’église. Alors qu’il continuait à promouvoir la venue des croyants dans pour les messes, estimant que le virus ne tuerait que les non-croyants, la Laure a finalement été contaminée. Selon des données récentes, près d’une centaine de cas de Covid-19 y ont été identifiés et deux moines sont morts. Le métropolite Pavlo lui-même a été hospitalisé à l’hôpital. Après la propagation du virus parmi les ecclésiastiques, la Laure a été mise en quarantaine le 14 avril. Cependant Onufriy, le Métropolite de Kyiv et de toute l’Ukraine du Patriarcat de Moscou, a adressé aux croyants que, malgré la maladie des rites de Pâques seraient pratiqués.

« La prière et les visites au temple sont plus importantes que la quarantaine et le Covid-19. »

Monseigneur Pavlo – Gouverneur de la Laure des Grottes de Kyiv

Le comportement irresponsable des autorités religieuses de l’Église orthodoxe ukrainienne du Patriarcat de Moscou va à l’encontre de la loi ukrainienne. Ainsi, selon l’Article 181 du Code Criminel de l’Ukraine, l’atteinte à la santé des personnes sous prétexte de prêcher des doctrines religieuses ou l’organisation des rites religieux est punie par la loi. L’organisation ou la gestion d’un groupe dont les activités sont menées sous prétexte de prêcher des doctrines religieuses ou des pratiques religieuses et qui sont associées à des atteintes à la santé humaine ou à des abus sexuels, – est passible d’une peine d’emprisonnement d’une durée maximale de trois ans ou d’une peine d’emprisonnement de la même durée.

Une semaine après Pâques, alors que de multiples violations de la loi ont été constatées, une seule procédure pénale a été ouverte, comme indiqué par le Ministère de l’Intérieur. Si des mesures de restriction sont implémentées par le gouvernement sur tout le territoire ukrainien, pourquoi seulement les églises sous l’autorité du Patriarcat de Moscou enfreignent les règles ? Est-ce qu’il y a une raison particulière ? Nous le savons, pendant Pâques, les églises collectent une quantité incroyable de dons. La quantité de ces dons dépend évidemment du nombre de congrégations. Si nous comparons le nombre de congrégations, nous verrons que l’Église orthodoxe ukrainienne du Patriarcat de Moscou se classe au premier rang des églises ukrainiennes en nombre de congrégations, 12 000. Un chiffre à peu près égal au nombre de communautés de l’Église orthodoxe d’Ukraine et de l’Église gréco-catholique d’Ukraine réunies (7096 et 3765).

La conclusion est que pendant que certaines Églises ferment, d’autres essaient de gagner de l’argent. En exemple, nous pouvons évoquer le maintien du site internet de la Laure malgré sa fermeture, avec la possibilité de verser les dons directement sur le compte bancaire des responsables religieux. Nous pouvons soupçonner que la bienveillance des autorités s’explique par une supposée implication dans un système de corruption. En effet, il parait n’y avoir aucune autre raison logique pouvant expliquer que les autorités accordent des exceptions pour l’Église orthodoxe ukrainienne du Patriarcat de Moscou alors que la pandémie fait rage en Europe et que le nombre de personnes infectées augmente chaque jour en Ukraine.

Pour en revenir aux statistiques de ces derniers jours, nous pouvons dire que les réunions de personnes à l’Église durant les fêtes de Pâques ont fait progresser de façon significative le nombre de personnes infectées. La situation s’avère particulièrement inquiétante dans le Donbass où de nombreuses messes ont été organisées par l’Église orthodoxe ukrainienne du Patriarcat de Moscou. C’est aussi la région où le seul cas d’une procédure pénale a été enregistré. Une propagation de l’épidémie dans cette region durement affectée par la guerre depuis six ans nourrit des inquiétudes face à une situation sanitaire déjà dramatique.

Reste alors l’amorce d’un débat plus philosophique à propos de la foi et de sa capacité à sauver le peuple dans une période aussi difficile. En tout cas, l’Église n’est clairement pas propice à la circonscription du virus. La foi tue-t-elle ceux qui ne vont pas à l’Église? Oui, mais seulement si dans leur entourage quelqu’un va à l’Église malgré les interdictions officielles !


Les propos de l’auteure sont personnels et ne peuvent en aucun cas engager la responsabilité juridique de l’association Euro Créative.

Nina Basok

Nina Basok possède un Bachelor en Langues, Littérature française et Traduction ainsi qu’un Master en Études Francophones (Université Nationale de Taras Chevtchenko). Elle a notamment été membre Parlement Européen des jeunes en Ukraine. Nina a ensuite poursuivi ses études au Collège d’Europe à Natolin où elle s’est spécialisée sur la Politique Européenne de Voisinage. Sa thèse portait ainsi sur l’évolution des relations franco-allemandes et leurs politiques étrangères actuelles envers l’Ukraine et la Russie dans la cadre du ‘Format Normandie’. Enfin, Nina dispose d’une expérience internationale ayant vécu en France, en Allemagne et en Pologne, parlant ainsi couramment ukrainien, russe, anglais, francais, allemand, polonais et italien.

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