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Telex: sauver la liberté de la presse en Hongrie

Veronika Munk

Veronika Munk est la Fondatrice et l’Editrice en Chef du média hongrois Telex. Elle était auparavant et pendant près de 20 ans Editrice en Chef d’Index.hu

Cet entretien a été réalisé par Lucie Deffenain et Sofia Erpenbach.

Euro Créative : En juillet dernier, Szabolcs Dull, rédacteur en chef d’Index.hu, a été licencié. Quelques jours plus tard, la quasi-totalité de la rédaction – soit environ 80 journalistes – a choisi de démissionner, craignant le contrôle total du gouvernement sur ce média. Veronika, comment cette décision – éminemment politique – a-t-elle été perçue par la société hongroise?

Veronika Munk : Index.hu était le premier site d’information en Hongrie et le principal point de référence. Pendant la pandémie, nous avons battu tous les records de lectorat parmi les médias hongrois, avec 1 à 1,5 million de lecteurs quotidiens. Nous savons également combien notre travail est important pour les lecteurs, puisque ces dernières semaines – quand il était déjà clair pour tout le monde que la rédaction d’Index.hu était en danger – nous avons reçu des tonnes de messages de toutes sortes de personnes nous disant ce qu’Index.hu représentait pour eux personnellement. Il y a donc eu un discours public sur la « signification de l’affaire Index.hu » avant même notre démission, mais le nombre de personnes qui ont été ouvertement solidaires avec nous et qui nous ont suivis sur Facebook immédiatement après cela a été réconfortant et encourageant. Une grande manifestation pour la liberté de la presse a eu lieu dans les rues de Budapest le jour de notre démission.

Étant donné que le personnel d’Index.hu avait démissionné et que la transformation du célèbre site d’information vieux de 20 ans a laissé un vide important dans le discours public hongrois, il semble évident que les Hongrois veulent des informations crédibles et qu’ils sont prêts à payer pour cela. À l’heure actuelle, le nombre de personnes qui soutiennent financièrement la presse libre en ligne en Hongrie est plus élevé que jamais.

Le journal Index.hu est néanmoins toujours actif comme on peut le voir. Qui le contrôle et y travaille maintenant ? Comment les choses ont-elles changé depuis votre départ en termes de contenu ? Est-ce un exemple symbolique de la volonté des autorités de détruire les médias libres depuis 2010 ?

Je ne veux pas faire de commentaires sur les activités et la représentation actuelles d’Index.hu. Je préfère investir mes énergies créatives pour rendre Telex aussi efficace et influent que possible dans la société hongroise. Depuis que j’ai démissionné, je me concentre sur Telex, le nouveau quotidien indépendant en ligne que nous lancerons bientôt avec mes collègues qui ont démissionné d’Index.hu. Nous avons commencé notre campagne de financement participatif il y a 9 jours, et nous avons déjà plus de 30 000 supporters. Aucun projet médiatique en Hongrie n’a jamais eu autant de soutiens.

Comme vous le signalez, la plateforme Telex a été lancée il y a quelques jours. Quels sont les objectifs de ce futur média ? S’agit-il de relancer Index.hu sous un autre nom ? Ou avez-vous d’autres objectifs ?

Telex ne peut pas être le « nouvel Index.hu« , il y a toujours un site d’information qui fonctionne sous ce nom. Bien sûr, nous ne pouvons pas nous empêcher de penser que beaucoup de gens nous considéreront toujours comme tel, puisque la majorité du personnel sortant de ce site continuera à travailler avec nous. Nous sommes fiers du travail que nous avons accompli jusqu’à présent, nous sommes fiers de notre passé et, comme nous l’avons souvent fait auparavant, nous défendons le fait que le seul endroit où nous pouvons imaginer travailler est un média indépendant et libre. Telex sera justement cela, quelque chose qui appartient à ses lecteurs et à ses membres du personnel, quelque chose qui leur ressemble.

En tant que média indépendant, vous serez probablement une fois de plus une cible évidente pour les autorités. Comment pouvez-vous vous protéger contre cela? Avez-vous trouvé des solutions (juridiques, financières, etc.) que vous n’aviez pas à l’époque d’Index.hu? En outre, y a-t-il eu des réactions officielles au lancement de Telex?

Les fondateurs de Telex ont tiré la leçon du sort d’Index.hu : un média qui appartient à quelques grands investisseurs externes et qui dépend entièrement des recettes publicitaires est vulnérable. C’est pourquoi le comité de rédaction prévoit de rester le propriétaire majoritaire de la société d’édition de Telex, et de fonctionner à long terme via un système d’abonnement. S’il y a des investisseurs dans la société d’édition de Telex, ils doivent donner toutes les garanties possibles qu’ils n’influenceront pas le contenu que nous publions, ni la structure de la rédaction. C’est pourquoi nous avons la certitude que Telex demeurera indépendant.

Plusieurs centaines de milliers de personnes ont compté sur Index.hu comme leur principale source d’information pendant des années, et beaucoup d’entre elles se sentent abandonnées sans notre travail.

Nous pensons que nous avons de grandes chances d’atteindre notre objectif compte tenu de la situation actuelle. En effet, plusieurs centaines de milliers de personnes ont compté sur Index.hu comme leur principale source d’information pendant des années, et beaucoup d’entre elles se sentent abandonnées sans notre travail. Ces personnes sont donc prêtes à soutenir financièrement notre projet. Nous avons lancé une campagne de financement participatif (accessible en anglais à cette adresse) le 4 septembre dernier et jusqu’à présent, nous avons rassemblé plus de 30 000 sympathisants qui ont contribué avec leur argent pour nous aider à lancer le projet Telex.

Depuis l’arrivée au pouvoir de Viktor Orbán, la Hongrie a connu une chute spectaculaire en termes de liberté de la presse et des médias. Pouvez-vous nous donner un aperçu de la situation des médias en Hongrie à ce jour?

La presse libre en Hongrie est en mauvais état, le nombre de médias indépendants contrôlant le pouvoir a fortement diminué au cours des dix dernières années, car de plus en plus de journaux, de radios et de télévisions ont des propriétaires qui ont des liens avec les partis et les hommes politiques. La situation actuelle des médias hongrois ne touche pas seulement les journalistes et les salles de rédaction, mais aussi les lecteurs qui ont de moins en moins de sources indépendantes auprès desquelles s’informer. Un paysage médiatique où les voix indépendantes perdent constamment du terrain affaiblit la démocratie. Dans une démocratie qui fonctionne, les gens ont le droit d’accéder aux informations nécessaires pour pouvoir prendre des décisions en connaissance de cause.

Telex améliorera certainement la situation : nous commencerons par une grande salle de rédaction, avec une cinquantaine de journalistes et de rédacteurs, plus une équipe de publication de 6 à 10 personnes, ce qui fait de ce projet l’un des plus grands sites d’information jamais créé en Hongrie. Notre objectif est de fournir un service d’information de base ainsi que des informations plus approfondies sur divers sujets, des reportages d’investigation – tout cela de manière indépendante et impartiale.

Telex – « Ca ne tient qu’à vous ».

Enfin, qu’attendez-vous de l’UE et/ou de ses États membres face à la détérioration de l’environnement médiatique en Hongrie ? Voyez-vous des possibilités de soutien aux médias indépendants (et plus largement à la société civile)?

La Commission européenne peut être très forte dans plusieurs secteurs lorsqu’il s’agit par exemple de subventions gouvernementales illégales, de fusions et acquisitions potentiellement dangereuses ou de questions de concurrence similaires. Mais la structure de l’industrie hongroise des médias semble leur convenir, tant que l’Autorité hongroise de la concurrence n’a rien à redire sur la situation. Je suis journaliste, pas décideur politique, mais je pense que l’UE en général peut contribuer de plusieurs manières à la mise en place de conditions équitables pour le secteur des médias, où les règles s’appliquent à tous les acteurs. Par exemple, elle pourrait certainement contribuer au financement des nouveaux médias dans les pays où la situation est la plus critique.

Je pense que le pluralisme des médias et la possibilité d’obtenir des informations rapides, fiables et exactes sont essentiels pour prendre des décisions libres.

En ce qui concerne les citoyens, je leur suggère de soutenir financièrement les médias sur lesquels ils peuvent compter, s’ils en ont les moyens. Je pense que le pluralisme des médias et la possibilité d’obtenir des informations rapides, fiables et exactes sont essentiels pour prendre des décisions libres. Aider les gens à avoir cette possibilité est et a toujours été mon objectif, et je ne peux parler que pour moi-même, mais je pense que c’est un objectif qui peut être important dans le monde entier.

En conclusion, comment pourrions-nous concrètement soutenir Telex et les quelques derniers médias hongrois indépendants?

Tout le monde peut soutenir financièrement Telex sur tamogatas.telex.hu/en. De plus, toute couverture médiatique est d’une grande aide pour nous.

L’équipe d’Euro Créative remercie Veronika Munk pour le temps qu’elle nous a accordé lors cet entretien et souhaite bonne chance à toute l’équipe de Telex pour cette nouvelle (et nécessaire) aventure. Sok szerencsét!

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1 commentaire pour “Telex: sauver la liberté de la presse en Hongrie”

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