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Une France « petit bras » en Macédoine du Nord

Petit pays s’il en est, la Macédoine du Nord et son marché d’un peu plus de 2 millions d’habitants attirent peu les investissements et les entreprises français. La formule est presque « euphémistique », tant les échanges sont faibles. S’ils sont en croissance continue depuis 2012, l’Hexagone compte toujours pour moins de 2% des importations du pays, contre plus de 10% pour l’Allemagne et la Grande Bretagne.

Des échanges croissants mais toujours faibles

Jusqu’à récemment ces relations, bien que minces, étaient très largement favorables à la France, mais la situation s’inverse peu à peu. Les exportations françaises vers ce pays des Balkans comptaient pour 98,4M d’euros en 2019 (+23% par rapport à 2018), quand les importations macédoniennes ont bondi de 52% culminant à 92,1 M d’euros. Si ces chiffres montrent une tendance commerciale haussière entre Skopje et Paris, les classements respectifs attestent néanmoins du potentiel peu exploité. La France est ainsi le 19ème fournisseur et le 20ème client (comptant pour moins de 1%) de la Macédoine du Nord, quand la Macédoine du Nord est de son côté le 99ème fournisseur et le 119ème client de la France. Si proches géographiquement, et pourtant si loin commercialement.

Une comparaison avec le Gabon peut être pertinente pour comprendre à quel point la France échange peu avec Skopje, alors même que les entreprises tricolores travaillent avec des pays qui ont le même profil (d’après les données de France Diplomatie). En effet, la Macédoine du Nord compte 2.08 millions d’habitants, quand le Gabon en recense 2.12 millions. Le PIB par habitant du pays des Balkans est de 6.400 USD en 2018, contre 6.800 USD pour le pays d’Afrique centrale.

A profil démographique et à richesse par habitant presque équivalents, la comparaison des échanges en 2018 interroge. Quand la France a exporté 79,6 M d’euros de bien en Macédoine du Nord, ce montant s’élevait à 458 M vers le Gabon (5,7 fois plus). Le constat est le même pour les importations vers la France. L’Hexagone a importé pour 60,7 M de biens macédoniens en 2018, contre 148 M de biens gabonais (soit 2,5 fois plus).

Le tableau ci-dessous dresse le portrait de l’évolution des exportations et importations entre Paris et Skopje depuis 2010. L’augmentation est certes incontestable, mais il est intéressant de noter que l’excédent commercial français a été divisé par trois depuis 2016. Le solde commercial français se détériore notamment à cause de la rapide diversification de la production d’équipements électrique et électronique en Macédoine du Nord, qui offre également des tarifs compétitifs par rapport à d’autres pays d’Europe Centrale et Orientale. Par exemple, le salaire minimum mensuel brut en 2018 en Macédoine du Nord était de 277euros, alors qu’il était de 311euros la même année en Bulgarie (pays de l’Union où le salaire minimum est le plus bas). Le coût faible de la main d’œuvre rend compétitives les exportations macédoniennes.

Évolution des importations/exportations – Source: Douanes françaises.

Les exportations de matériel de transport sont en tête des produits les plus exportés par la France, au sein desquelles les véhicules automobiles représentent près de 31 M d’euros d’échanges. À noter que la marque française Citroën rencontre un vrai succès dans le pays, plaçant fréquemment un modèle sur le podium.

De son côté, la Macédoine du Nord exporte vers l’Hexagone principalement du matériel électrique et des équipements mécaniques. Si les exportations de biens vers la France augmentent, l’Allemagne est de très loin le premier marché pour Skopje, en absorbant plus de 50% des ventes à l’étranger. Selon le Ministère des Affaires allemand, quelques 200 entreprises allemandes sont installées en Macédoine du Nord, employant plus de 20.000 personnes.

Les dix premiers clients de la Macédoine du Nord, en M EUR et en % – Source: Banque Nationale de la République de Macédoine du Nord.

Des explications historiques…

S’il est difficile de ne pas s’accorder sur l’interprétation des résultats, il est moins aisé de comprendre les raisons d’échanges qui peinent à décoller. Surtout lorsqu’on les compare avec ceux du voisin d’outre-Rhin. Une des explications justifiant le volume des échanges avec l’Allemagne sont les gastarbeiter macédoniens – des travailleurs immigrés s’étant inscrits dans un programme officiel d’accueil de main d’œuvre en place en Allemagne de l’Ouest entre 1955 et 1973 – et plus généralement l’immigration macédonienne à l’époque de la Yougoslavie, qui a contribué à l’établissement de relations entre les deux pays.

Le tableau suivant, provenant de l’article L’émigration yougoslave de Catherine Gokalp en 1974, détaille les pays d’accueil de l’immigration yougoslave, une répartition dans laquelle l’Allemagne prend une part très importante.

Au sein de la Yougoslavie, le territoire de l’actuelle Macédoine du Nord était parmi ceux où le taux de chômage était le plus élevé (toujours d’après l’article de Catherine Gokalp), grossissant ainsi les rangs des candidats à l’émigration. Ces migrations ont contribué à établir des liens entre les deux pays, toujours très actifs aujourd’hui. En comparaison, la France accueillait en 1971 environ sept fois moins d’immigrés des Balkans, ne permettant pas l’établissement d’une communauté aussi dynamique. Aujourd’hui, le Ministère des Affaires Étrangères français recense moins de 3.400 Macédoniens vivant en France (en 2015), quand l’homologue allemand indique qu’ils sont 100.000 sur son territoire.

…Et une méconnaissance structurelle

Au-delà de cette mise en perspective historique, le profil commercial de l’Allemagne et la proactivité de ses entreprises apportent également des éléments de réponse. Ainsi, le Mittlestand allemand – en référence au tissu industriel du pays, souvent familial, de taille très variable mais avec une forte inscription dans la durée – est parfaitement adapté à l’export, et correspond bien au profil des entreprises macédoniennes. À l’inverse, les TPE-PME françaises sont trop petites pour s’intéresser à un marché difficile d’accès comme celui de ce pays. Parallèlement, les grands groupes peinent à voir le potentiel d’un pays qui semble trop petit pour justifier d’importants coûts d’installation.

Par ailleurs, la méconnaissance des Balkans Occidentaux dans son ensemble empêche aussi les entreprises de se positionner sur un marché qui se présente pourtant comme une « porte d’entrée régionale ». La Macédoine du Nord étant en bonne position pour intégrer l’Union européenne plus ou moins long-terme. En dépit des conflits historiques ou diplomatiques avec certains pays de l’UE (Grèce, Bulgarie), le pays a su prendre d’importantes mesures pour lutter contre la corruption et le crime organisé tout en mettant en place plusieurs réformes afin de renforcer l’indépendance de la justice ou pour restructurer les services de renseignement et l’administration publique. Ces efforts de convergence vers les normes européennes renforcent l’attrait et la crédibilité de Skopje auprès des investisseurs. Notons également que plusieurs organismes aident les entrepreneurs, comme Business France qui opère depuis Sofia tandis que la Chambre de Commerce Franco-Serbe conseille les entreprises pour les territoires serbes et macédoniens.

Une porte ouverte sur la région qui nécessite quelques précautions

Il faut néanmoins souligner que travailler avec la Macédoine du Nord nécessite des précautions, et une bonne compréhension des pratiques commerciales et administratives locales. Par exemple, peu de groupe français répondent aux appels d’offres sur les marchés publics de peur de ne pas réussir à avoir les financements. Ainsi, ils chercheront plutôt à travailler sur des projets financés par l’Union européenne ou de grandes banques internationales reconnues. Selon l’ONG Transparency International, en 2019 la Macédoine du Nord se classait ainsi 106ème (sur 137). En comparaison, la France pointe à la 23ème place. Dans la région, Skopje obtient le pire score, à égalité avec Tirana. Pour reprendre l’exemple précédemment utilisé du Gabon, les entreprises françaises sont pourtant parfois prêtes à travailler avec des pays où la corruption est présente puisque la République gabonaise obtient un score inférieur au score macédonien, se trouvant en 123ème position.

Source: Transparency International (2019).

Ces précautions donc, justifiées, expliquent dans une plus large mesure pourquoi les entreprises européennes ne se positionnent que rarement sur de grands projets dans la région, contrairement à la Russie ou à la Chine, pays moins exigeants sur ces sujets. La corruption reste ainsi un frein conséquent, qui a été rappelé par Amélie de Montchalin, Secrétaire d’Etat chargée des Affaires Européennes (2019-2020), lors de son entretien avec Nikola Dimitrov, Ministre des affaires étrangères de Macédoine du Nord. Leur rencontre, en mai 2020, avait notamment pour but de finaliser les conditions du déploiement de l’Agence Française de Développement (AFD) dans le pays. Parmi les missions de cette agence, la lutte contre la corruption fait partie des objectifs clés afin de mieux intégrer le pays dans les flux commerciaux européens.

Ces craintes sur la fiabilité des partenaires, ces différences culturelles sur la manière de faire du commerce, ces méconnaissances du potentiel sont autant de raisons qui justifient de collaborer avec un partenaire local pour mener à bien une initiative. Réussir en Macédoine du Nord, c’est une façon d’appréhender les autres marchés de la région. Et, si le pays ne compte que 2 millions d’habitants, l’ensemble des Balkans Occidentaux représente un marché de près de 18 millions de personnes.

Saisir cette opportunité de « l’entrainement » par la Macédoine du Nord serait bienvenu, la France fait en effet peu de commerce avec les cinq autres pays de la région. Le tableau suivant, dont les données proviennent des douanes françaises, compare les exportations et les importations entre la France et ces pays en 2019, en million d’euros.

Source: Trésor.

Ainsi, si la Macédoine du Nord est un des pays avec lequel la France échange le plus dans cette région du monde, des possibilités d’accroissement existent aussi avec les pays voisins.

Ainsi, l’une des réponses aux arguments tels que la taille limitée du marché intérieur, le faible PIB ou la corruption élevée semble être la nécessité de tisser des liens. Il apparaît effectivement essentiel de stimuler les rencontres à travers une communauté dynamique France – Macédoine du Nord dans le but de passer outre les éléments bloquants. Les entreprises françaises sont généralement réticentes à investir dans les territoires mal connus si des liens forts ou historiques n’existent pas. Si le passé n’a pas permis de tisser des liens, les acteurs actuels – qu’ils soient des acteurs économiques mais aussi du monde diplomatique ou issues de la société civile – doivent alors s’employer à construire la relation du futur.

La Macédoine du Nord, une porte à ouvrir avec précaution, mais ambition.


Les propos de l’auteur sont personnels et ne peuvent en aucun cas engager la responsabilité juridique de l’Association Europe Créative.

Guirec Joubert

Guirec Joubert est diplômé d’un Master en Affaires Européennes et Mondiales (SciencesPo Rennes). Guirec a également passé une année universitaire en Pologne à l’Université de Varsovie (2016-2017). Ses différents voyages et ses différentes rencontres lui ont permis de développer un fort intérêt pour la région d’Europe Centrale et Orientale, attisant de fait sa curiosité pour ces voisins si proches mais méconnus. Guirec a notamment décidé de se spécialiser sur la région des Balkans Occidentaux et plus particulièrement sur la Slovénie, convaincu que ces pays – situés au coeur de l’Europe – représentent un enjeu particulier pour l’Union Européenne.

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