Chaque année, la Croatie accueille toujours davantage de touristes venant des quatre coins du globe. En 2019, les touristes étrangers représentaient 88,5% du secteur touristique croate avec 17,353 millions d’arrivées. L’Istrie en accueillait 4,5 millions, soit 22,9% du secteur touristique, suivi par le comté de Split-Dalmatie avec 3,7 millions d’arrivée (18,7%). Dubrovnik, mondialement connu pour les décors de la série américaine Game of Thrones, réalisait le plus grand nombre de nuitées étrangères en Croatie avec 4,3 millions de nuits.
Avec Rijeka nommée capitale européenne de la culture cette année, tous les indicateurs semblaient positifs pour envisager une saison touristique 2020 aussi belle si ce n’est meilleure que 2019. L’épidémie de Covid-19 qui circule en Europe, officiellement depuis mars 2020, est pourtant venu considérablement ternir ces prévisions. Le secteur touristique croate a vu son activité diminuer de moitié et accuse un important manque à gagner. Alors que son économie est toujours plus dépendante du tourisme, des incertitudes planent sur sa capacité de résilience après la pandémie qui sévit toujours à l’heure où nous écrivons ces lignes.
Retour sur la gestion de l’épidémie
Dès la fin du mois de janvier 2020, le pays prend des mesures à tous les niveaux. A l’échelle européenne, la Croatie, qui occupait pour la première fois la présidence du Conseil de l’UE, déclenche le 28 janvier 2020 la première étape du mécanisme de réaction de l’Union en cas de crise (IPCR – Integrated Political Crisis Response) et permet un partage de l’information amélioré entre les membres. Le 2 mars 2020, la présidence du Conseil de l’UE active l’intégralité du dispositif IPCR et permet ainsi de réunir les institutions de l’UE et les Etats membres touchés pour une meilleure coordination de l’action.
A l’échelle nationale, le gouvernement met en place des mesures de protection et une campagne de prévention dans les aéroports dès le 24 janvier. Dès le 9 mars, une quatorzaine est imposée aux personnes venant de régions à risques notamment la Chine, l’Italie ou la Corée du Sud. Les cours sont interrompus pour tous les élèves et étudiants du pays à compter du lundi 16 mars. Comme dans la plupart des pays d’Europe, un confinement général est finalement décrété. En Croatie, celui-ci est imposé à partir du 19 mars, les magasins, bars, restaurants et entreprises non essentiels à l’activité du pays ferment. En parallèle, le télétravail se développe et beaucoup d’entreprises y ont recours.
A partir du 27 avril, les commerces commencent à rouvrir progressivement et le 4 mai marque la fin du confinement. L’épidémie redevient sous contrôle, le pays rouvre ses frontières dès le 11 mai en espérant sauver la saison touristique. Le gouvernement continue même d’assouplir les mesures et permet dès le 30 juin à tout citoyen de l’Union Européenne de rentrer de nouveau librement sans obligation de test ou de mesure d’auto-isolement. Néanmoins, les voyageurs non-européens doivent toujours présenter un test PCR négatif de moins de 48 heures et justifier la raison de leur venue. Faute de quoi ils pourront être soumis à des mesures d’isolement.
Le confinement aura donc permis de stabiliser et de réduire le nombre de nouveaux cas jusqu’à la mi-juin où l’épidémie est repartie de nouveau et faisant face à une hausse de cas, des mesures de lutte contre la pandémie ont été renforcées à partir de la mi-Juillet. Depuis la mi-octobre les chiffres se détériorent et la Croatie fait face comme nombre de pays européens à une seconde vague.
Une baisse de l’activité touristique
Partout dans le monde, l’épidémie de Covid-19 a freiné le secteur touristique. Les voyageurs français, par exemple, ont privilégié des vacances dans leur pays plutôt qu’à l’étranger comme le révèle l’enquête réalisée par BVA-entreprises du voyage en juin 2020. 59% des français comptaient partir en vacances et parmi lesquels seulement 8% envisageaient de se rendre à l’étranger.
La Croatie qui accueille habituellement de nombreux touristes n’a pas été épargnée. Tout d’abord, au niveau des transports, une baisse du trafic a été observée. En juillet, l’aéroport de Zagreb a enregistré une baisse de 78,8% par rapport à 2019, tandis que Split enregistrait une baisse de 76,5% et Dubrovnik de 88,6%. Les arrivées par voie maritime ont également diminué de 42,1% en juillet par rapport à l’année précédente.
Ensuite, une baisse des arrivées dans les établissements touristiques a été observée. En juillet 2020, le pays comptabilisait 2,2 millions d’arrivées contre 4,3 millions pour le même mois l’année précédente, ce qui représente une baisse de 48,1%. Le nombre de nuitées touristiques a considérablement diminué; elles étaient de 14,7 millions en juillet 2020 contre 25,5 millions l’année précédente, soit une baisse de 42,5%. Pourtant, ce sont toujours les touristes venant de l’étranger qui constituaient en juillet 2020 91% du secteur touristique : 31,3% venaient d’Allemagne et 16.2% de Slovénie.
Cet été, les principaux touristes qui ont réservé une ou plusieurs nuits venaient d’Allemagne pour 31,3%, de Slovénie pour 16,2%, de Pologne pour 9,8%, de Tchéquie pour 9,5% et d’Autriche pour 7.4%. Tous ces pays ont tout de même réalisé moins de nuits que l’année précédente. Fortement touchés par l’épidémie, les bateaux de croisières habituellement nombreux en Croatie – environ une centaine par mois l’été – n’a accueilli qu’un seul bateau entre le 1er avril et le 31 juillet. Cela représente une baisse de 95,6% pour le semestre de janvier-juin par rapport à la même période en 2019, le nombre de passagers a diminué de 99,3%.
Bilan de la situation économique
Tout d’abord, il convient de détailler les caractéristiques de cette économie. La Croatie est la deuxième économie la plus avancée de la région de l’Europe du Sud-Est après la Slovénie. Elle totalise 4,059 millions habitants parmi lesquels 1,534 millions de personnes étaient en emploi en août 2020. Après la crise de 2008, elle a vu son PIB reculer de 14% entre 2009 et 2014 avant d’observer une croissance soutenue depuis 2015 qui a atteint les 3% en 2019 avec un PIB à 55 milliards d’euros.
La Croatie peut également se vanter d’avoir réussi à diminuer drastiquement le chômage qui s’élève à 6,8% à la fin de l’année 2019. Au niveau des finances, la gestion est excellente. En effet, depuis 2017, le pays en a terminé avec la procédure de déficit excessif et elle maîtrise aujourd’hui ses déficits publics (-0,8% en 2016, +0,6% en 2017, +0,8% en 2018). Le pays rembourse progressivement sa dette qui atteignait 71.3% du PIB en 2019.
Malgré une bonne gestion financière et une conjoncture favorable, l’économie présente tout de même d’importantes faiblesses structurelles. Tout d’abord, elle est fortement dépendante du tourisme. Celui-ci représente notamment pas moins de 20% du PIB. Ensuite, le secteur industriel est déficient et provoque un important déficit commercial. En effet, bien que le pays exporte chaque année davantage il importe également de plus en plus. A tel point que le déficit commercial se creuse depuis 2015 (de -6,9 milliards d’euros en 2015 à -9,8 milliards d’euros en 2019).
La Croatie est également un pays qui perd des habitants depuis de nombreuses années et particulièrement sa population active. Alors qu’en 1995, elle possédait une population active de 2,091 millions, elle n’en détient aujourd’hui plus que 1,760 millions.
L’impact de la crise sanitaire sur l’économie croate
Les activités de services ont observé une baisse conséquente de leur chiffre d’affaire de 11,7% pour la période janvier-juillet en comparaison avec la même période de l’année précédente. Dans les services, le secteur des transports maritimes s’avère le plus touché avec une baisse de 43% puis l’entreposage de 10,3%. Les seuls secteurs à avoir connu une augmentation par rapport à la période de janvier à juillet 2019 sont : le secteur de l’informatique de 11,8% (programmation informatique, conseil et activités liées), le broadcasting de 3,1% et le secteur de la construction avec une légère augmentation de 0,6%.
Le commerce de détail a également été impacté avec une baisse générale de 8,6% en mars et de 20,2% en avril. Même si le mois de mai, avec la fin du confinement, connaît un rebond avec une hausse de 24,6%, juin stagne à 0,8%. Puis on observe une nouvelle baisse respective de 0,2% et de 0,9% en juillet et en août par rapport aux mêmes mois de l’année 2019. Les secteurs les plus touchés sont la vente de véhicules motorisés avec une baisse de 24,1% et l’électroménager avec une baisse de 16,4%.
Plus globalement, la Croatie observe une chute de sa croissance et de son PIB à partir du mois de mars. Ce n’est pas tant le virus mais davantage les mesures restrictives qui ont impacté fortement la croissance. Les premières estimations montrent que le Valeur Ajoutée Brute a diminué de 11,9% au deuxième quart de 2020 en comparaison avec la même période de l’année précédente. La Commission européenne prévoit une baisse de 10,8% du PIB pour l’année 2020.
Pour limiter les conséquences négatives de la crise sanitaire, le gouvernement a pris des mesures fortes pour soutenir le secteur touristique. Il a préféré, à la mise en place du chômage partiel comme en France, le maintien de l’emploi grâce à une indemnité mensuelle de 4000 HRK (530 euros) ce qui représente 25% de plus que le revenu minimum. De nombreuses charges ont été reportées ou annulées et des crédits publics ont même été accordés aux entreprises. Les mesures instaurées pour la période avril-mai-juin ont coûté à l’Etat 45 milliards de HRK soit environ 11% du PIB et ont permis au chômage de se stabiliser. A partir du 1er juillet, les entreprises ont pu bénéficier d’une prise en charge du temps partiel par l’Etat avec des indemnités mensuelles allant de 400 à 2000 HRK en fonction de la réduction du temps de travail.
C’est indéniable, la pandémie va laisser des traces sur l’économie. D’ores et déjà le déficit public est estimé à -7% compte tenu des mesures financières de soutien à l’activité et la dette devrait de nouveau grimper à 86% du PIB en 2020. Depuis le début de l’année, la Croatie a enregistré une augmentation du nombre de chômeurs de 16% soit environ 9 300 personnes. Le kuna comparé à l’euro ne s’est pas tellement dévalué (de 0,1343 à 0,1311 entre février et avril) mais peine toujours a retrouvé son taux d’avant-crise (0,1321 le 2 octobre 2020).
Et maintenant?
L’épidémie de Covid-19 a obligé le gouvernement à prendre des mesures coûteuses mais nécessaires pour soutenir l’activité du pays. La hausse de l’endettement laisse présager une baisse des investissements publics futurs dans un pays qui en a pourtant grandement besoin. Il semble donc temps pour les dirigeants croates, et notamment pour les dirigeants qui viennent d’être réélus, de revoir leur politique économique.
L’une des missions assumées du Ministère de l’Économie et du Développement durable est, selon ses propres mots, d’“encourager la production industrielle”. Cependant les résultats manquent et il serait temps d’agir concrètement. Il est impératif que les dirigeants poursuivent leurs efforts dans ce sens et hissent la réindustrialisation en haut de leurs priorités.
Cette politique permettrait à la fois de réduire la dépendance aux importations et de diversifier l’économie nationale. Celle-ci deviendrait plus résiliente face aux fluctuations du marché et aux événements extraordinaires. Le chômage chez les jeunes qui atteint aujourd’hui 25% pourrait être réduit avec la création de nouveaux emplois. L’exode de la population active croate qui s’expatrie pour des raisons économiques dans d’autres pays de l’Europe de l’Ouest et notamment en Allemagne pourrait également être freiné. L’industrialisation permettrait également de diversifier les produits disponibles sur le marché et d’engendrer une hausse de la concurrence, bénéfique au consommateur.
Alors comment s’y prendre ? Empêcher les régulières fermetures d’usines pourrait être une première étape. Une des dernières annonces en date est la délocalisation de l’usine allemande Meggle spécialisée dans la fabrication de produits laitiers. Elle permettait à 160 ouvriers et à 340 producteurs-fermiers de vivre dans le Comté d’Osijek Baranja. Pour cette situation, le gouvernement pourrait intervenir pour empêcher la fermeture de l’usine ou bien proposer un rachat à travers la création d’une coopérative administrée par les ouvriers.
Les partenariats entre des sociétés croates et occidentales ont permis à la Croatie de bénéficier d’un important transfert technologique et dispose aujourd’hui d’un grand savoir-faire. Prenons par exemple le secteur de l’industrie automobile où plusieurs entreprises croates fabriquent des pièces et accessoires pour de grands groupes tels que Volkswagen, Aston Martin, PSA-Peugeot-Citroën, General Motors, BMW et bien d’autres.
Parmi elles, plusieurs sont spécialisées dans l’innovation et dans les technologies de pointe. Rimac automobili, par exemple, produit des supercars électriques et pourrait potentiellement concurrencer d’autres constructeurs de véhicules propres. Dok-king est une entreprise spécialisée dans les engins de déminages. Aujourd’hui, elle s’intéresse également à l’automobile et particulièrement au développement et à l’utilisation d’hydrogène en tant que carburant. Toujours dans le secteur automobile, la Croatie est également capable de produire en grande quantité comme l’entreprise Crobus qui fabrique des bus et véhicules utilitaires, principalement destinés à l’exportation.
Plutôt que de se focaliser sur l’apport de capitaux étranger pour stimuler l’industrie à travers des contrats d’exportation, pourquoi ne pas répondre à une demande intérieure existante ? Plutôt que d’importer de vieux bus d’Allemagne pourquoi ne pas acheter des fabrications croates ?
Pourquoi ne pas soutenir Crobus pour le développement d’un véhicule de tourisme bon marché ? Rimac Automobili et Doki-king disposent d’un important département de recherche et développement, pourquoi ne pas les associer avec Crobus pour la production d’une voiture à énergie propre croate ?
Aujourd’hui, de nombreuses voitures qui circulent en Croatie sont directement achetées en Allemagne. Ces capitaux qui partent à l’étranger représentent une perte importante pour l’économie nationale qui aurait tout intérêt à proposer au consommateur une alternative croate à ces importations. Bien qu’il existe d’autres secteurs vers lesquels l’Etat pourrait accorder plus d’intérêt qu’il ne le fait aujourd’hui comme l’éducation, qui demeure chère et pas toujours de qualité, ou encore l’environnement, à l’heure où des compagnies pétrolières cherchent toujours à exploiter des potentiels forages dans l’Adriatique, la réindustrialisation demeure la solution qui résoudrait de nombreux problèmes si elle était davantage encouragée.
Les propos de l’auteur sont personnels et ne peuvent en aucun cas engager la responsabilité juridique de l’Association Euro Créative.
Guillaume Pichelin
Guillaume Pichelin poursuit actuellement le Master franco-russe “Europe-Russie : Stratégies et Enjeux Globaux” à l’université de l’Amitié des Peuples de Moscou en partenariat avec SciencesPo Bordeaux. Il s’intéresse aux relations internationales, au développement et aux questions identitaires dans l’espace post-soviétique ainsi qu’aux processus de réconciliation dans les Balkans. Enfin, Guillaume recherche activement un stage en lien avec les thèmes et régions abordés précédemment pour le deuxième semestre 2020-2021.
Directeur général d’Euro Créative, analyste Défense/Sécurité