Cela fait désormais plus de 12 ans que la ville de Mostar n’a pas connu d’élections locales. Une situation de blocage qui est le fruit de l’incapacité des deux partis majoritaires de la ville – à savoir le Parti d’Action Démocratique (SDA) de Bakir Izetbegović et l’Union Démocratique Croate de Bosnie et Herzégovine (HDZ-BiH) dirigée par Dragan Čović – de réformer le système électoral local.
Pourtant, le 17 juin 2020, ces deux partis sont parvenus à un accord décisif. D’une part, les élections locales seront tenues en même temps que les autres élections locales en Fédération de Bosnie-et-Herzégovine (FBiH), le 15 novembre prochain. D’autre part, à la suite des élections locales, selon cet accord, le statut municipal sera modifié, en conférant plusieurs pouvoirs au Président du conseil municipal pour contrôler l’action du Maire, y compris le contrôle sur l’exécution et le rapport des comptes annuels. Les deux partis s’engageant à examiner ces dispositions une fois les élections locales terminées – avec une date limite fixée à décembre 2021. C’est-à-dire avant les élections nationales prévues pour 2022.
En réaction, le Haut Représentant de l’Union Européenne Josep Borrell et le Commissaire Européen au Voisinage et l’Élargissement ont fait part de leur satisfaction dans une déclaration commune le même jour. Ainsi, cette réforme du système électoral local est considérée comme essentielle par l’UE, afin de permettre aux autorités d’organiser finalement des élections.
Rappelons qu’en novembre 2010, la Cour Constitutionnelle bosnienne avait abrogé les règles imposées en 2004 par l’ancien Haut Représentant International pour la Bosnie-Herzégovine Paddy Ashton. Le système électif instauré prévoyait, dans son ensemble, la présence de 17 conseillers élus dans un seul collège électoral, et de 18 autres répartis sur une base territoriale de 6 collèges qui élisaient le même nombre de conseillers, malgré une incohérence en termes du nombre d’électeurs dans les districts.
Cette différence démographique a conduit les juges de la Cour Constitutionnelle de Bosnie à se prononcer sur le principe d’égalité de vote, qui dans ce cas, n’aurait pas été respecté. Dans le même temps, la Cour a considéré comme inconstitutionnelles l’ensemble des règles électorales instaurées par les autorités locales en 2001 (le “Election Act”), qui régulaient l’élection des conseillers municipaux. En conséquence de cette sentence, la Cour constitutionnelle de Bosnie avait accordée aux autorités compétentes six mois pour harmoniser toutes les dispositions en question.
Toutefois, la sentence de la Cour n’avait amené à aucun changement. En effet, si le parti croato-bosniaque HDZ-BiH, qui possédait la majorité au conseil communal, était en faveur d’un collège unique, le SDA bosniaque demandait des garanties pour sa minorité, selon le principe d’égalité de vote.
Depuis lors, l’absence de réforme du système électoral a empêché les citoyens d’élire leur nouveau Maire ainsi qu’un nouveau conseil municipal. Après l’expiration de son mandat en 2012, l’ancien Maire Ljubo Bešlić (HDZ-BiH) n’a conservé que la possibilité d’exercer par intérim certaines de ses fonctions et avec des tâches sur le budget très réduites. En conséquence, les dernières élections ont eu lieu à Mostar en 2008 et le conseil municipal n’a pas été renouvelé après 2012.
En octobre 2019, Irma Baralija, Présidente de la section de Mostar du parti libéral Naša Stranka, a déposé un recours à la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) du fait de la non-application des dispositions de la Cour Constitutionnelle bosnienne pour les limitations en matière de respect de l’égalité de vote. Cette dernière a accusé l’État de Bosnie-Herzégovine d’entraver la possibilité de voter et d’être élu dans la ville de Mostar, en raison d’une négligence concernant la réponse politique apportée aux demandes de l’UE concernant la réforme du système électoral.
La Cour Européenne des Droits de l’Homme de Strasbourg s’est prononcée en sa faveur, estimant que l’impasse politique (ainsi que juridique) a été motivée par l’incapacité et la réticence des autorités bosniennes à appliquer une sentence de la Cour Constitutionnelle bosnienne de 2010 sur les modalités de vote aux élections locales, à Mostar. Les juges de Strasbourg ont confirmé qu’en cette occasion, une discrimination a été provoquée envers la population de Mostar en raison de l’impossibilité d’aboutir à de nouvelles élections.
La CEDH, le 29 octobre 2019 (et dans la version finale de 29 janvier 2020) a donné six mois au Parlement bosnien pour modifier la loi électorale, rappelant que s’ils n’agissaient dans cette direction, la Cour Constitutionnelle de Bosnie avait le pouvoir de mettre en œuvre des mesures transitoires, afin de garantir les droits politiques des citoyens de Mostar.
Ces pressions judiciaires expliquent ainsi en partie la signature de l’accord entre Izetbegović et Čović, en présence de l’Ambassadeur britannique Matthew Field et du Chef de Délégation de l’Union européenne Johann Sattler. Un accord, comme nous l’avons déjà dit apprécié à Bruxelles, puisque la résolution de ce conflit électoral figurait parmi les « 14 priorités clés concernant la demande d’adhésion de la Bosnie-Herzégovine à l’UE ».
En outre, les perspectives de modifications ultérieures du système électoral bosnien devront aussi concorder avec ce qui est suggéré par la Commission européenne concernant le respect des normes communautaires en matière de droits de l’homme – et notamment l’arrêt « Sejdic-Finci », plusieurs fois cité. De plus, la prise en compte des recommandations de l’OSCE/BIDDH pourrait améliorer la qualité démocratique et la transparence du processus électoral dans le pays. Le Conseil d’Europe lui aussi semble se satisfaire du processus engagé à Mostar.
Dans un entretien accordé à Friends of Europe, Irma Baralija pense que cette affaire a mis en lumière certains aspects clés de la politique nationale bosnienne et européenne: “Tout d’abord, elle a montré que les soi-disant défenseurs de l’intérêt national préféreraient se concentrer sur des intérêts de parti restreints plutôt que sur ceux de leurs citoyens. […] Cependant, les habitants de Mostar et de Bosnie-Herzégovine savent que l’UE est capable de beaucoup plus. Ils croient encore au rêve européen et à son projet de paix, d’intégration et de solidarité. Ils ont juste besoin de plus de preuves.”
En conclusion, le cas de Mostar peut être interprété comme l’exemple d’un nouvel élan dans le processus de réformes judiciaires et politiques en vue de l’adhésion à l’UE. Il reste cependant à attendre que cet élan soit diffusé et appliqué à travers le pays. Et qu’il ne soit pas seulement la conséquence d’une sentence venant de la Cour Constitutionnelle ou d’une instance supranationale.
Les propos de l’auteure sont personnels et ne peuvent en aucun cas engager la responsabilité juridique de l’association Euro Créative.
Letizia Storchi
Passée auparavant par l’Université de Bologne (Bachelor en Sciences Politiques Sociales et Internationales) et l’Université Catholique de Louvain-la-Neuve (Études Européennes), Letizia est désormais titulaire d’un Master en Relations Internationales obtenu à l’Université de Turin. Elle a notamment réalisé une thèse sur le processus d’intégration européenne de la Bosnie-Herzégovine publiée par l’Observatoire Transeuropa sur les Balkans et le Caucase (accessible ici). Enfin, elle a également réalisé un stage au sein de l’Institut « Europe Direct » en communication et social media. Letizia parle italien, anglais et français.
Directeur général d’Euro Créative, analyste Défense/Sécurité